Il ressort de la notice qui précède, que l’île Anticosti, en outre de sa valeur indiscutable au point de vue des pêcheries, possède sur son sol toutes les ressources naturelles pour fournir de l’occupation à une population nombreuse et pour subvenir à ses besoins.
Le fait qu’elle est pour ainsi dire inhabitée, et que ses ressources sont restées inexploitées, est la conséquence du système d’administration et de prohibition qui l’a régie depuis plus de deux siècles.
Pour se faire une idée de ce qu’elle aurait pu être sous d’autres institutions, il suffira de considérer l’état si différent de l’île voisine du Prince-Édouard, dans des conditions identiques et de grandeur moitié moindre, mais sous le régime de la liberté et de la division de la propriété individuelle, qui est devenue une province florissante du Canada, ayant son gouverneur et sa propre administration, avec une population de plus de 120,000 âmes, et où il y a plus de 400 kilomètres de chemins de fer.
Le fait que le capitaine Setter, le seul habitant qui ait jamais prétendu à un droit de propriété, avait créé une ferme de plus de 200 hectares, près d’Ellis-Bay, comparable sous tous les rapports à celles des autres pays, indique que, dans des conditions pareilles, il s’en serait créé d’autres, en outre de celle laborieusement exploitées sous le régime des fermages de courte durée.
L’habitant a néanmoins acquis, sous ce régime, le bien-être et l’aisance; sa préoccupation est de consolider cet état de choses par l’acquisition d’un titre permanent à la propriété de sol qu’il occupe.
Il a régné, tout d’abord, dans l’île, une réelle anxiété au sujet de la situation qui serait faite par le nouvel acquéreur. Mais l’information que la propriété allait passer dans des mains françaises a eu pour effet de calmer ces appréhensions, et d’inspirer à cette petite population une confiance dans l’avenir qu’elle n’a jamais eue à aucune époque antérieure.
Le territoire de l’île est assez vaste pour que de nombreux nouveaux venus y trouvent leur place, à la condition que ce soit de véritables travailleurs : pêcheurs, marins, cultivateurs et hommes de métier, que ne rebutent pas la rigueur du climat et le rude labeur que nécessitent partout les débuts d’un établissement dans un pays neuf.
Dans ces conditions, ils trouveront de grandes facilités pour se créer une position et un chez soi, dans des circonstances peu ordinaires d’indépendance et de bien-être, pour eux et leur famille.
Les documents et témoignages qui ont fourni les éléments de cette notice ont tout le caractère d’une authenticité indiscutable. Néanmoins, ainsi qu’il a été dit dans l’introduction, l’acquéreur s’est réservé un délai qui comprend toute la belle saison prochaine, pour ne faire contrôler l’exactitude et les appréciations.
Ce devra être le but d’une expédition qui aurait pour mission de faire, en juin, juillet et août, une reconnaissance complète de l’île, et d’en constater les ressources et les avantages, avant qu’il soit définitivement procédé à l’exécution du transfert de la propriété.
Avant de prendre cette décision, il y aura lieu de s’adresser au Gouvernement du Canada, à l’effet d’établir une entente sur les conditions de l’exercice de la propriété de l’île et de son occupation dans un intérêt français.
Il y a toute raison d’espérer que le gouvernement d’un pays qui, dans toute circonstance a manifesté sa sympathie pour la France, voudra bien en donner un nouveau témoignage dans cette occasion, en concédant toutes les facilités, à cet égard, compatibles avec l’exercice de mon droit de souveraineté.
Il y aura, de même, lieu de solliciter l’assistance du Gouvernement français, qui ne manquera certainement pas de témoigner, par tous les moyens en son pouvoir, de son intérêt pour la réalisation d’une entreprise qui a surtout pour but d’ouvrir un champ d’exploitation entièrement nouveau à l’activité de nos pêcheurs.
L’acte de vente confère de l’acquéreur la propriété entière de l’île Anticosti, avec ses dépendances et attenances, qui consistent en bâtiments d’habitation et d’exploitation, magasins, etc., à l’usage de l’administration actuelle de l’île, sans réserve autre que les emplacements des phares et des télégraphes, et que la propriété de héritiers du capitaine Setter.
Aucun des autres droits résultant des fermages temporaires des tenanciers du sol, des concessions de pêche, et des bénéficiaires de toute autre autorisation n’a une durée de plus d’une année, à l’expiration de laquelle la propriété sera libre de tout engagement, obligation ou charge quelconque, et non possesseur, quel qu’il soiT, sera le maître de déterminer, en pleine liberté, les mesures qui paraitront les plus propres à développer les ressources de l’île et assure la prospérité de ses habitants.
Jules Despecher,
Paris, rue Caumartin, no 12
Mai 1895