Anticosti menacée par la guerre
À Paris, pendant la durée de son congé obtenu le 21 décembre 1916, Martin-Zédé travaille beaucoup dans son bureau chez lui, écrit au gouverneur Malouin notamment au sujet de la comptabilité, rencontre Gaston Menier à quelques reprises, dîne
parfois avec son patron et souvent avec des amis dans de chics endroits.
Malgré d’accaparants soucis de santé, Martin-Zédé se tracasse pour Anticosti : en janvier, il manifeste quelque inquiétude pour la sécurité de
l’île en cette période de guerre mondiale.
Une préoccupation que même le gouvernement du Canada n’entretenait pas. Le régisseur croit que des submersibles allemands sillonnent les eaux du golfe du
Saint-Laurent et menacent la sécurité précaire de l’île.
D’après lui, il serait essentiel d’en assurer la défense contre tout assaut invasif de l’ennemi.
La petite population locale, dépourvue d’armes à feu depuis qu’Henri Menier en avait interdit l’usage et la possession, n’est en aucune manière préparée à
affronter une pareille éventualité et, moins encore, à la repousser.
« Toutes les armes et munitions qui avaient été saisies par Menier lors de l’achat de l’île étaient entreposées dans un hangar à
Port-Menier. » (Charlie
McCormick, Anticosti, p. 129)
Les appréhensions de Martin-Zédé s’appuient sur le fait qu’Anticosti occupe une position stratégique à l’entrée du Saint-Laurent. Il imagine que la
vulnérabilité de l’île peut aisément favoriser le succès d’une attaque allemande perpétrée à partir de submersibles.
Un déploiement même très modeste de soldats ennemis suffirait à permettre l’établissement, à la baie Ellis, d’une base capable de menacer le libre trafic maritime
dans les eaux de l’estuaire et du golfe.
« Le danger était grand. En effet, sauf nos gardes qui n’avaient que leurs rifles, personne en dehors de moi n’avait de fusil et qu’auraient pu faire nos 30
gardes si un sous-marin venait à Port-Menier?
Il se serait rendu maître en un instant du port, ses occupants se seraient emparé de nos magasins, de nos approvisionnements en vivres, charbon et pétrole. […]
Ils auraient pu faire chez-nous une base de sous-marins et bloquer entièrement la navigation du golfe et du Saint-Laurent, Québec et Montréal auraient été
embouteillées. » (Martin-Zédé, L’Île ignorée, tome
II, ch. XXI, p. 40, www.comettant.com )
Il importe, dans l’esprit de Martin-Zédé, de prendre le danger en considération et d’alerter les autorités canadiennes : il juge imminente l’invasion
d’Anticosti. « Il serait nécessaire que j’y aille », conclut-il.
Mais le court congé obtenu le 21 décembre dernier ne lui en accorde guère le loisir : Georges est contraint de demander de mois en mois un incertain
prolongement de convalescence et doit demeurer en France, disponible pour un éventuel rappel.
Blessé à l’épaule et à une jambe, souffrant du zona et de la fièvre paludéenne, Georges demande une visite médicale en février avec l’intention de
se faire rayer de l’armée d’Orient. (Martin-Zédé, Journal
d’Anticosti, le 5 février 1917, BAnQ)
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