Peu de Français savent que l’île d’Anticosti, située en face de l’estuaire du grand fleuve Saint-Laurent, qui arrose le Canada, appartient à un Français, M. Menier, qui, s’est créé là-bas un domaine gigantesque.
Il était malaisé d’avoir quelques renseignements sur l’œuvre de M. Menier. Nous avons pu recueillir les impressions suivantes d’un officier de la marine anglaise qui a visité l’île Anticosti, où il a reçu le meilleur accueil :
«En 1900, nous dit-il, je faisais une campagne sur les côtes de l’Amérique du Nord, à bord du Pallas, croiseur du troisième classe.
(The seventh Pallas was a Pearl class second class cruiser launched at Portsmouth in 1890, and sold in 1906.)
Les navires de guerre font rarement escale à Anticosti, qui est fermée par les glaces pendant huit ou dix mois de l’année. Or, le Pallas, détenu dans le voisinage de Québec, reçut l’ordre de consacrer huit jours à explorer les côtes d’Anticosti.
Le lendemain, au coucher du soleil, nous jetâmes l’ancre, dans la baie d’Ellis, sur la côte Sud-ouest de l’île.
Le bruit de nos chaines parut beaucoup déranger une bande de veaux marins qui, sortant subitement leurs têtes, poussèrent des cris semblables aux aboiements de chiens.
Le lendemain matin, le capitaine, l’honorable Walter Stopford, qui m’avait invité à l’accompagner, descendit à terre où M. Comettant, le gouverneur de l’île, nous fit un gracieux accueil.
Il autorisa notre équipage à prendre des homards, est les officiers à chasser les canards et les bécasses; mais, il nous avertit que la chasse aux ours noirs et aux cerfs, qui abondent dans les forêts, était interdite.
Partout, il y a de grandes forêts, presque impénétrables, de pins et d’érables; on a fait, cependant, des défrichements pour l’agriculture.
Ainsi, on a frayé un chemin long de 14 kilomètres, qui, partant de la baie d’Ellis, se termine à la baie des Anglais sur la côte Nord-Ouest.
M. Comettant nous a invité à faire avec lui, une promenade en voiture travers l’île : pendant une heure et demie nous avons circulé sur une bonne route, ayant l’épaisse forêt des deux côtés. En haut s’entremêlent les branches des arbres qui cachent le jour.
En avançant, nous entrevoyons du côté gauche de la mer, tandis que, à droite vers l’est, s’étend la forêt impénétrable.
De nouveaux chemins de traverse coupent la grande route, et de petites fermes se voient ça et là; mais le sol est en grande partie semé de grands fragments de roc, des débris de la période glaciaire.
Du haut d’une colline, nous apercevons Sainte-Claire, petite ville située sur la baie des Anglais, qui a été ainsi nommée par M. Menier en mémoire de sa mère.
Elle est composée de maisonnettes en bois, par rangées, nettes et bien entretenues.
On y remarque le bureau du télégraphe où arrivent tous les jours des nouvelles du monde extérieur. |
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Il n’y a qu’un seul autre moyen de communication avec le continent, savoir : un bateau à vapeur, le Savoy, qui circule tous les quinze jours, pendant l’été, entre Sainte-Claire et Québec, pour transporter à l’île toutes les denrées achetées à Québec.
La population de Sainte-Claire s’élève à 400 âmes, pour la plupart des Canadiens français.
Les gens mariés demeurent dans des maisons isolées; les célibataires dans des casernes avec dortoirs en haut et réfectoires au rez-de-chaussée.
M. Comettant, ancien capitaine au long cours, a introduit parmi ces citoyens la discipline et la propreté qu’il maintenait autrefois à bord de son navire.
Il n’y a pas d’agent de police, et il n’y a qu’une peine, celle d’exil pour ceux qui violent les lois dont les simples prescriptions sont encadrées et affichées, en vue de tout le monde, aux murs des bâtiments les plus importants.
Le seul centre de colonisation d’Anticosti se trouve à Sainte-Claire. Avant l’achat de l’île par notre compatriote, elle était inhabitée, excepté par quelques pêcheurs qui avaient l’habitude d’y venir pendant l’été et la quittaient à l’approche de l’hiver.
Au cours de notre promenade dans la ville, nous voyons des magasins où l’on vend des instruments d’agriculture, des outils de toutes sortes, des pièces mécaniques de rechange, etc., etc., rangés et étiquetés comme dans un arsenal de la marine.
Un atelier de forgeron, une scierie mécanique, et un chantier pour la construction de bateaux complètent ce département, qui est sous le contrôle de M. Malouin, à qui on peut donner le titre de ministère de la marine, sous la direction de M. Comettant.
M. Picard, ministre de l’agriculture, nous conduit à sa ferme modèle, où nous avons vu plusieurs bêtes à cornes à l’étable, une vaste porcherie, un pigeonnier, et un immense jardin potager où poussent des choux, des pommes de terre et du céleri, les plus beaux que j’aie jamais vus.
Nos aimables hôtes nous ont fait cadeau de sacs pleins de légumes pour remporter à bord du Pallas.
Le docteur Smith, médecin de l’île, est un naturaliste savant et enthousiaste. Il nous reçoit dans son hôpital, où son taxidermiste s’occupe à empailler de gros oiseaux de mer pour les ajouter à sa collection déjà si belle.
Dans l’hôpital il y a huit lits, rarement occupés, un musée et une salle de bains. On invite le public à se baigner ici gratuitement tous les jours, excepté le dimanche.
À ce moment, il n’y a pas de malades, fait qui témoigne de la salubrité du climat.
Nous avons assez de temps pour visiter un autre département, et voilà M. le directeur des travaux publics dans son bureau, entouré de cartes de l’île et des dessins des travaux projetés.
Mais il nous faut quitter Sainte-Claire, car les jours sont courts et la baie d’Ellis il y a une longue course à l’aviron jusqu’à la Pallas.» |
Renseignements supplémentaire sur le croiseur HMS Pallas et son capitaine, l'Honorable Walter G. Stopford.
His Majesty's Ship |
Pallas |
Class and Denomination of Ship |
Twin Screw Cruiser 3rd Class |
Captain or Commanding Officer |
Hon Walter G Stopford |
Station |
North America and West Indies |
Position of Ship at Midnight |
Puerto Corley, Honduras |