TABLE DES MATIÈRES |
Le Soleil, le 31 août 1898 |
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Le principal moyen de communication entre l’île et Québec et autres endroits est le Savoy un gentil petit steamer dont la solidité égale la
rapidité et sur lequel on trouve le confort désirable.
Le capitaine Bélanger et tout son staff sont les dignes employés de M. Menier et donnent un excellent service. Mentionnons encore comme détails que l’on trouve sur l’île un fond… de l’eau excellente, etc. Non loin du quai, la forge qui prend des proportions d’un véritable établissement industriel. Partout on a adopté le système Decauville pour le chargement et le déchargement du Savoy de même que pour le transport des marchandises des travaux de la ferme, etc. Inutile de dire que ce système remplace avantageusement le service des chevaux. Les différentes parties de l’administration sont reliées entre elles par le téléphone, et c’est par ce moyen que l’on communique le plus rapidement avec la baie Ellis où M. Menier a un pied à terre. M. Jacquemart a préparé les plans d’un terrain qu’on est actuellement à niveler et qui servira à l’installation de sports de toute sorte, car on ne néglige rien pour que tous trouvent aussi agréable que possible un séjour dans l’île. Les employés sont actuellement au nombre d’environ 175 et ceux avec qui nous avons eu l’occasion de causer sont enchantés de leur sort. Ils sont entièrement satisfaits du salaire qu’ils reçoivent et de la manière avec laquelle on les traite. Nous avons eu l’occasion d’assister au débarquement de trois chevaux transportés par le Savoy, à la baie Ste-Claire. Comme nous l’avons dit déjà, le Savoy ne pouvant se rendre à l’extrémité du quai à toutes les marées, lorsque l’eau est basse, il met l’ancre, à une distance assez considérable. Va sans dire qu’étant donné les circonstances, ce n’est pas une mince affaire que de débarquer des chevaux. Pour contourner les inconvénients que présenterait ce travail, M. Menier a mis en pratique un moyen de son invention et qui réussit à merveille. On se sert de chalands construits d’une façon spéciale et dont les côtés sont mobiles tout en conservant le tout à l’épreuve de l’eau. Ces chalands sont trainés jusqu’à terre, où les chevaux débarquent à pied sec. Outre M. Menier, voici la liste des messieurs qui ont la direction de l’île : M. L. Comettant, gouverneur; M. Landrieux, chef de la comptabilité et des magasins; M. le Dr. Schmitt, chef du service médical; M. L. Picard, chef de culture; M. Robert Eustache, secrétaire de M. Menier pour l’île d’Anticosti. Ajoutons que M. George Martin, ami personnel de M. Menier pour le compte duquel il a exploré l’île et qui a été un des principaux acteurs dans l’organisation de la nouvelle colonie; M. le capitaine Bélanger, du Savoy. Jusqu’à présent, on a exploré qu’une infime partie de l’île, mais M. Menier a donné les instructions nécessaires pour que ce travail continue. Tant de choses ont été dites sur les productions de l’île que nous ne croyons pas opportun de revenir sur ce sujet. Après le déjeuner, nous partons pour la baie Ellis et l’honorable commissaire des Terres doit se rendre afin d’examiner les lots de grève que M. Menier demande au département de lui vendre pour la construction d’une jetée conformément à sa demande que nous avons publiée il y a quelques jours. Le trajet entre la baie Ste-Claire et la baie Ellis est une des plus jolies promenades que l’on puisse désirer, grâce à une avenue superbe que M. Menier y a fait ouvrir à grands frais. Le fait est que ce chemin a coûté deux mille piastres par mille. Tout le long des parcours, nous voyons grand nombre de campements pour l’usage des ouvriers et à maints endroits on a fait de légers défrichements afin d’éprouver la qualité du sol. En mettant le pied sur la côte qui domine la baie Ellis, ou l’ancienne baie Gamache, il n’est pas un d’entre nous qui n’évoque le souvenir du croque-mitaine de l’Anticosti dont les restes reposent depuis près d’un demi-siècle à cet endroit. Louis-Olivier Gamache a laissé des souvenirs bien vivaces, tant sur l’Anticosti que sur les côtes du golfe St-Laurent. Il n’est pas un navigateur qui ne connaisse la manière dont il s’y prenait pour faire la contrebande des fourrures en évitant les croissants de la compagnie de la Baie d’Hudson. On raconte même à l’envie, ses tours incroyables, ses relations avec le malin esprit qui lui obéissait comme un mousse et poussait même (qui l’aurait cru?), la condescendance jusqu’à souffler dans les bonnètes et les perroquets pendant que la proue du mystérieux navire glissait à tire d’aile sur une mer polie comme l’acier. Il était né à l’Islet en 1784 d’une famille originaire des environs de Chartres, et il débuta sa longue vie à l’école de la garcette.
Matelot dans la marine anglaise, son enfance se passa à parcourir le monde; mais, ses excursions finirent par le blaser.
Après avoir essayé un petit commerce le long de la côte de Rimouski, Gamache avait fini par se fixer dans l’île d’Anticosti, et le farouche aventurier ne tarda pas à se faire reconnaître comme un souverain absolu de cette île. Du fonds de sa baie, où il cultivait quelques arpents de terre, élevait quelques animaux et faisait la pêche en grand, l’ancien matelot dirigeait ses excursions sur la côte Nord, trafiquait avec les Montagnais et se moquait du monopole de la compagnie de la Baie d’Hudson. Si son hospitalité était proverbiale, ses excentricités n’en étaient pas moins et jointes à sa vie solitaire et à sa mort mystérieuse elles donnèrent lieu aux légendes qui se racontent encore sur son compte. |
Le Soleil, le 1 septembre 1898 |
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Après avoir été le thème des fables les plus étranges, dictées par la superstition, Louis-Olivier Gamache qui avait réussi à amasser une
certaine aisance, fut un beau jour trouvé mort dans sa maison située précisément à l’endroit où s’élève une maisonnette dont M. Menier s’est fait un
pied-à-terre.
C’est en 1854 qu’il mourut, et son corps fut déposé sur un tertre avoisinant où l’on voit une humble croix en bois entre deux sapins. Le nouveau maître d’Anticosti a ordonné de conserver ces deux arbres dont l’un est situé à la tête et l’autre au pied de la fosse où git le corps de Gamache, l’ogre de l’Anticosti. Qu’on nous pardonne cette digression, elle se place naturellement à l’esprit de tous ceux qui foulent pour la première fois le sol légendaire de la baie Ellis. C’est dans la baie Ellis que M. Menier rêve l’érection d’un havre qui est destiné, dans un avenir prochain à être de grands secours pour les navigateurs du golfe; si comme nous n’en doutons pas, M. Menier réussit dans ses projets nous aurons bientôt toute une nouvelle colonie dans la baie Gamache. M. Menier nous fait visiter cette partie de son nouveau domaine. Il nous montre un emplacement où il a l’intention d’ériger sous peu un chalet, où il passera la belle saison. Il nous montre sur son domaine, de jolis échantillons de céréales; nous fait visiter son chenil, car M. Menier possède une superbe meute destinée à la chasse à l’ours qui abonde dans l’île. Il a avec lui tout ce qu’il faut pour ce sport royal; ses piqueurs nous ont donné un échantillon de leur savoir faire. Ils nous ont donné le départ, l’entrée sous bois, la curie, le retour, le bonjour des chiens etc.; rien de plus intéressant que cette représentation de ce genre d’amusement que seul, les souverains ou les millionnaires comme M. Menier peuvent se payer. Nous avons passé là une heure des plus agréables, qui a suivi une autre heure de travail.
Les deux ministres ayant fait l’inspection des terrains que demande M. Menier. Nul doute qu’une entente aura lieu sous peu entre lui et le
gouvernement, nous croyons savoir que l’intention de M. Menier est d’établir dans un avenir assez rapproché une fabrique de pulpe clinique à
la baie Ellis. C’est là un des objectifs, et cette industrie ne pourra manquer d’être payant.
Un verre de champagne a été dégusté à la santé de M. Menier. L’honorable M. Marchand a profité de l’occasion pour le féliciter des efforts qu’il fait dans le sens d’un établissement d’une nouvelle colonie dans Anticosti. Vous serez, lui dit-il, l’auxiliaire du gouvernement qui a tant à cœur la colonisation de la province. M. Menier lui répondit qu’il comptait bien que les membres du gouvernement seraient des auxiliaires dans la colonisation de l’île d’Anticosti. Nous sommes revenus sur les cinq heures et nous avons pu jouir de nouveau de quelques heures de l’excellente hospitalité de M. Comettant. Pendant ce temps, le Savoy ayant mis l’ancre dans la rade, il fallut bien à regret songer au départ et sur les neuf heures nous levions l’ancre en route pour Québec. Lorsque le Savoy est passé en face de Rimouski, les citoyens de l’endroit on fait un feu de joie en l’honneur des deux membres du gouvernement. À leur grand regret les ministres ont été dans l’impossibilité d’arrêter à Rimouski, car il leur fallait de toute nécessité se hâter de se rendre à Québec, où les appelaient les préparatifs à la réception à l’honneur des membres de la conférence internationale. C’est cette raison qui avait fait hâter le départ de l’île d’Anticosti en dépit des invitations réitérées de monsieur Henri Menier qui voulait à tout prix retenir ces messieurs encore quelque temps dans son royaume. Les voyageurs sont arrivés à Québec dimanche soir sur les cinq heures après un travail des plus heureux, et un voyage des plus magnifiques sur tous les rapports, tant sous celui du travail accompli que les inoubliables réceptions dont été l’objet. Avant son départ pour l’Europe, lundi à bord de la «Bacchante», monsieur Menier a télégraphié aux honorables MM Marchand et Parent pour leur présenter les hommages au moment où il quittait les rives de l’Anticosti pour aller revoir la belle France. Nous lui souhaitons le plus heureux des voyages. |