TABLE DES MATIÈRES |
Le Soleil, le 29 août 1898 |
|
|
|
|
|
|
|
|
Mais revenons à notre visite des principaux établissements de la colonie, dont nous sommes malheureusement forcés de dire qu’un mot.
Le château qui sert de résidence à M. Comettant et où se trouvent en même temps son bureau privé et l’administration de l’île, s’élève sur un site des mieux choisis au fond de la baie Ste-Claire. C’est une résidence princière, munie de toutes les améliorations modernes et donnant aux occupants tout le confort des grandes villes. Le fait est qu’on ne peut rêver une habitation construite avec plus d’élégance, un goût plus exquis. Le maître des océans et sa famille y vivent heureux et il ne fallait rien de moins qu’un château de ce genre pour les empêcher de trop regretter le séjour de la vieille France. Jamais nous n’oublierons le séjour malheureusement trop court que nous y avons fait et nous garderons de M. Comettant et de sa charmante famille le meilleur souvenir. Guidés par monsieur Menier, nous partons du château et nous nous rendons à l’hôpital – car il y a sur l’île un hôpital qui ne le cède à ceux des villes, que par leurs dimensions. Nous constatons avec plaisir qu’il n’y a, dans le moment, aucun malaise et nous nous empressons d’en faire le compliment à M. le Dr. Schmitt, le directeur de l’établissement. Ce monsieur qui est le plus charmant homme du monde, nous répond qu’il est obligé d’occuper ses loisirs à perfectionner ses connaissances en chimie. Son désir est de faire de l’île un endroit des plus salubres et ses efforts ont déjà été jusqu’ici couronnés d’un succès qui atteint presque ses espérances. L’établissement est muni d’un laboratoire de chimie, d’une chambre d’analyse, d’une infirmerie, chambre de consultation, herbier et pharmacie, etc.; le tout tenu avec art et un grand soin. Dans une suite qui dépend de l’hôpital on nous fait voir des échantillons des animaux et des oiseaux qui habitent l’île.
Nous avons vu quelques spécimens de renard argenté, égaux aux plus beaux que l’on voit dans nos magasins de fourrures.
Le Dr. Schmitt a déjà préparé un grand nombre d’oiseaux qu’il a tout empaillés et expédiés à Paris pour l’exposition de 1900.
À l’hôpital surtout, (mais nous devons dire aussi partout ailleurs dans l’île) on a mis un soin jaloux à conserver les habitations et les magasins dans les meilleures conditions hygiéniques possibles. Il y a une affiche qui se voit partout et pour aucune considération on ne doit manquer aux prescriptions qu’elles contiennent, comme dépendances de l’hôpital, il y a des bains publics où les employés sont invités à se rendre tous les jours, de dix heures à midi excepté naturellement les dimanches et jours de fête. En un mot, nous ne pouvons nous empêcher d’admirer la peine que l’on se donne pour protéger la santé des habitants de l’île. Un autre point sur lequel on attire notre attention, et qui n’est pas de mince importance, c’est le Sanatorium situé environ à un mille et demi de l’hôpital et où sont conduits d’abord tous les animaux qui débarquent dans l’île. Les animaux y sont soigneusement examinés et on leur fait subir l’inspection de la tuberculine. Il est entendu qu’on doit prendre tous les moyens possibles pour s’assurer qu’ils n’ont aucun germe de tuberculine avant qu’ils ne soient conduits avec les autres aux étables. C’est là une mesure de précaution qui devrait être une leçon pour bien des personnes même dans nos villes.
Or, il n’est malheureusement que trop vital qu’un grand nombre de maladies, surtout la tuberculine se propage par le moyen du lait à l’Anticosti, on veut éviter à tout prix ce
désastre et les précautions sont tellement bien prises qu’on y réussira dans la mesure du possible.
Une visite des différents magasins offre aussi un intérêt considérable Il y a de tout: magasins de ferronnerie, ferblanterie, etc. Ces marchandises sont disposées dans d’élégantes constructions et chacune est étiquetée avec soins de telle sorte que n’importer quel employé peut en rien de temps se procurer ce qu’il désire. Inutile de dire que rien ne manque. Les abattoirs sont construits sur le plan le plus moderne; et ils ne sont pas encore bien considérables, mais ce qu’on y remarque, et nous nous plaisons à le dire, c’est l’extrême propreté qu’il y règne et la célérité avec laquelle les animaux sont abattus. Ces abattoirs sont un véritable modèle du genre. À la boulangerie on fabrique le pain d’après le système français. C’est dire qu’on donne d’excellents produits et le pain de six livres se vend 15 cents. Étant donné la valeur de la fleur, ce prix est très modique, plus modique qu’à Québec. Les entrepôts d’épicerie, de graine, de conserves, de chaussures, de marchandises sèches et d’habits faits, etc. sont très considérables et les marchandises sont vendues, avouons-le, à des prix plus bas qu’à Québec. En visitant l’entrepôt de mercerie, M. Menier nous fait part d’un projet qu’il mettra sous peu à exécution: celui d’expédier de France à Anticosti des métiers, afin de permettre aux résidents et aux employés de l’administration, de tisser les étoffes à vêtements. C’est là un système adopté dans bien des endroits français et qui donne le meilleur résultat. |
Le Soleil, le 28 août 1898 |
|
|
|
|
|
|
|
|
MM. Menier, propriétaire de l’île d’Anticosti, Martin et Ménard, sont
partis ce matin à bord du «Bacchante» pour la France. Le départ a eu lieu de la baie Ste-Claire, autrefois baie des
Anglais.
M. Menier, avant de partir, a tenu à remercier l’honorable M. Marchand du bienveillant accueil qui lui a été fait à Québec. |
Le Soleil, le 30 août 1898 |
|
|
|
|
|
|
|
|
Il va sans dire qu’il existe sur l’île une école où les enfants reçoivent l’enseignement élémentaire. Nul doute que plus tard, l’enseignement sera donné sur une plus grande
échelle.
On n’a jusqu’à présent qu’une chapelle temporaire avec un curé résident, logé et payé par M. Menier lui-même. Le curé dépend du diocèse de Chicoutimi. On commencera sous peu la construction d’une église plus vaste et dont M. Menier a figuré le projet de doter l’île. La population étant à présent de 500 personnes, on aura dressé là une paroisse considérable, et le besoin d’une grande église se fera bien tôt sentir. Sur le frontispice d’un des établissements nous voyons les mots «Service des travaux». Nous nous approchons et le chef de ce service, M. Jacquemart, un jeune homme de grand talent, ingénieur français distingué nous reçoit et nous invite à examiner les nombreux plans de travaux qu’il a préparés. Des ouvrages considérables ont été exécutés sous sa direction. C’est lui qui a dressé les plans de toutes les résidences et de tous les entrepôts de l’île, de même que tout ce qui relève du département de la ferme dont nous dirons un mot plus loin. Les habitations de l’ile sont construites sur le même plan et sont peinturées de même couleur. Les grandes maisons destinées à loger une famille avec enfants ont 22 pieds sur 22 à un étage et toit français. Les petites pour un homme et sa femme, ont aussi un étage avec toit français et les dimensions de solage sont de 18 par 18. M. Jacquemart occupe tout son temps à préparer des plans de toute sorte qui lui sont demandés par M. Menier. Il n’est guère possible de donner ici même une nomenclature de tous ces travaux. Nous tenons cependant à signaler un ouvrage remarquable tant par sa conception que par sa rapide exécution et les résultats qu’il est destiné à obtenir. Nous voulons parler de l’assainissement d’un marais à proximité de la ferme, par suite de l’ouverture de canaux qui se dirigent vers la mer. À la place de ces marécages où les moustiques avaient élu leur domicile, par millions nous voyons maintenant un superbe champ d’avoine qui donne la plus belle espérance. On a aussi pratiqué un immense canal par où s’écoulent les eaux du lac voisin, ce qui permet à ceux qui s’occupent de la ferme de retirer des quantités énormes de marne, destinée… Grâce au desséchement du marécage dont nous avons parlé, les moustiques ont été chassé et on n’en voit plus un seul. Ce n’est pas une sinécure que l’emploi de M. Jacquemart, car chaque jour il se présente de nouveaux travaux à élaborer. La première maison qui a été construite sur l’île est la cantine destinée à loger les employés qui y prennent aussi leur nourriture. C’est une bâtisse de grande dimension d’une propreté irréprochable et où les ouvriers trouvent tout le confort qu’ils puissent désirer. Ils ont l’avantage de jouir de la cuisine française et nous avons constaté que tout y est prévu à l’avance, même le menu de chaque jour qui est inscrit dans un cahier ad hoc. Le dortoir peut loger un grand nombre de personnes. Parcourons, maintenant, rapidement la ferme, car il nous faudra partir bientôt pour la baie Ellis, connue aussi sous le nom de la baie de Gamache. Elle est sous la direction de M. L. Picard, un agronome distingué dont M. Menier a su s’assurer les services. Nous nous attendions à voir une métairie rudimentaire. Qu’elle n’a pas été notre agréable surprise, en constatant que nous étions en présence d’une ferme moderne qui ne le cède en rien, si ce n’est quant aux dimensions à la ferme expérimentale d’Ottawa. Les céréales et les légumes y croissent en abondance et nous avons remarqué entre autre, de l’avoine, des carottes, et des choux au moins égaux à tout ce que le Québec produit de mieux : les étables sont peuplés de beaux animaux et au-dessus de chaque stalle est inscrit le pedigree de chaque animal. Elles sont pavées en ciment. La porcherie n’a pas moins de 200 pieds de long, divisée en compartiments où l’on élève les plus beaux spécimens de la race porcine. Ces compartiments sont au nombre de 40. Dans une salle d’attende à l’entrée de la porcherie où cuit les aliments et on les distribue aux porcs au moyen d’un chemin de fer Decauville, ce qui est très rapide et d’une grande utilité. De même que tous les autres départements de la métairie, la porcherie est tenue dans un ordre parfait. M. Picard a bien voulu se mettre à la disposition des visiteurs auxquels il a donné les renseignements désirables. On met un soin particulier au développement de la métairie qui s’étend de jour en jour avec une rapidité remarquable. Une scierie a été construite sur le bord du fleuve et c’est là que l’on manufacture le bois destiné à la construction de nouveaux établissements. On se demande, peut-être si durant l’hiver, alors que l’île est privé de toute communication, excepté par le moyen du câble, il survenait un incendie détruisant les maisons et les résidences, ce qu’il adviendrait des résidents de l’île.
Ce cas a été prévu comme tous les autres, et des caveaux de sûreté disséminés ça et là et contenant tout ce qui est nécessaire aux premiers besoins de la vie ont été construits à
l’épreuve du feu de telle sorte qu’il n’y a rien à craindre de ce côté-là.
|