Mais s'il est trop certain que les nègres sont généralement paresseux, que l'ambition des richesses ne trouble point leur cerveau, que d'autre part ils sont très sobres et se contentent pour vivre d'un peu de maïs et de quelques bananes, à la condition de dormir une bonne partie de la journée et toute la nuit, il est certain que la faim, qui fait sortir le loup du bois, ferait aussi rentrer les noirs dans les champs de culture.
Je lisais, il y a quelque temps, dans un journal imprimé à la Nouvelle-Orléans, ce fait, qui milite en faveur de ce que j'avance. Le Croissant n'estime pas à moins de quatre millions de dollars, plus de vingt-six millions de francs, la propriété que se sont faits dans cette seule cité les nègres libres.
Toute activité ne s'éteint donc pas avec la liberté chez le noir, et on le calomnie en le disant incapable de gagner sa vie. Au reste, la régénération du moral chez le nègre s'accomplira dès qu'il lui sera permis de goûter les bienfaits de l'instruction.
On sait que le code noir défend au nègre esclave d'apprendre à lire. Ces malheureux noirs sentent si bien qu'ils ne seront réellement affranchis que lorsqu'ils seront instruits, qu'ils expliquent de la manière suivante la servitude de leur race.
Ils disent que Dieu, après avoir créé les noirs et les blancs, proposa aux premiers de choisir entre deux dons l'un de posséder de l'or, l'autre de savoir lire et écrire. Les nègres prirent l'or et laissèrent aux blancs la connaissance des lettres.
Irrité de la cupidité des noirs, Dieu ordonna qu'ils fussent perpétuellement gouvernés par les blancs et qu'ils les servissent partout en qualité d'esclaves.
Telle est la puissance de l'instruction qu'elle est reconnue par ces peuples primitifs eux-mêmes. L'ignorance les enchaîne dans les peuplades africaines avant de les asservir en Amérique.
De tout ce qui précède, il résulte pour nous la conviction que le coton ne courrait pas des dangers sérieux aux États-Unis si les nègres, affranchis de droit par la proclamation de M. Lincoln, proclamation approuvée par la législature de New-York, le devenaient de fait.
Pendant les premiers temps, sans doute, il y aurait des tiraillements dans les plantations; mais les noirs reprendraient bientôt d'eux-mêmes leurs travaux habituels.
D'un autre côté, quand on voit les blancs travailler avec les noirs en plein soleil d'été sur le port de la Nouvelle-Orléans, il est permis d'espérer que la culture du coton ne leur serait point interdite.
Les blancs braveraient les miasmes des marais salins dans les campagnes, comme ils bravent la fièvre jaune dans les villes où elle exerce ses ravages sur les nouveaux débarqués.
Le coton ne périra donc pas aux États-Unis avec l'affranchissement des noirs; mais souffrir de l'accomplissement de cette œuvre de justice à laquelle se trouve si directement intéressée la dignité humaine, nous répéterions cette phrase célèbre : Périssent les colonies plutôt qu'un principe.
Un Français qui connaît fort bien les États-Unis sans y être jamais allé, M. Agénor de Gasparin, disait dernièrement dans un livre remarquable à plusieurs égards et qui survivra aux événements qui l'ont fait naitre (I) :
(I) Un grand peuple gui se relève, un volume, chez Michel Levy.
« À présent, il s'agit de liquider une mauvaise affaire (l'esclavage). L'instant de la liquidation est toujours pénible ; mais lorsqu'elle est terminée, le crédit revient. Ainsi en sera-t-il en Amérique.»
On a souvent vanté l'énergique sang-froid de ses négociants. Sont-ils ruinés, ils ne se lamentent ni ne se découragent ; c'est une fortune à refaire. De même, à mettre les choses au pis, à supposer que la crise actuelle doive se comparer à une ruine, c'est une nation à refaire; on la refera.
— Messieurs, disait naguère M. Seward en achevant son grand discours au sein du congrès, si cette Union était aujourd'hui brisée par l'esprit de faction, elle se reformerait demain dans des proportions majestueuses. »
Comme tous ceux qui connaissent l'ardent patriotisme des citoyens américains, nous avons pleine confiance en l'avenir de cette nation, la première nation du monde sous le rapport des libertés publiques.
Les intérêts de l'humanité triompheront dans le nouveau monde, comme dans l'ancien, des privilèges honteux et des excès du despotisme. En se séparant violemment de l'Union, les hommes du Sud ont mal calculé leurs véritables intérêts.
Effrayés, éperdus, ils se sont précipités sans réflexion au-devant du danger, au lieu de l'envisager avec sang-froid et de s'efforcer d'y porter remède. Tout ce qu'ils pourront faire n'empêchera pas l'esclavage de disparaître bientôt de la terre, et le plus sage serait assurément de régler les conditions de l'émancipation.
La sordidité des maîtres qui abaissa l'homme au niveau de la brute ne peut plus trouver grâce devant l'opinion publique.
Il faut que les colons du Sud renoncent à ce genre de propriété, bon gré mal gré. Espérons qu'ils auront la sagesse d'y renoncer de leur propre volonté. Les moyens ne manquent pas pour que l'émancipation des noirs s'effectue peu à peu, sans secousse violente et sans perte sensible pour les colons.
Qu'ils choisissent un de ces moyens et qu'ils se rattachent à la confédération de !a grande république, dont jusqu'à présent ils ont partagé la prospérité et la gloire.
Mais qu'ils se bâtent, car nous sommes à une époque où les événements marchent rapidement et où les hommes qu'on croyait le plus engourdis dans l’indifférence d'eux-mêmes, se réveillent tout à coup pour réclamer victorieusement leurs droits méconnus.
Qu'ils se souviennent de la fameuse conspiration de 1820, dont le but était le massacre de tous les propriétaires d'esclaves par les esclaves, et qu'ils ne s'exposent pas à des malheurs irréparables (1).
(1) La convention d'état du Missouri, à la majorité de 51 voix contre 30, vient d'adopter une ordonnance en vertu de laquelle l'esclavage sera aboli dans le Missouri le r juillet 1870, jour anniversaire de l'indépendance des États-Unis. Cet acte d'émancipation est ainsi conçu:
Section 1. — Les deux premières clauses de la 26e section de l'article de la Constitution sont abrogées.
Section 2. — L'esclavage ou la servitude involontaire cessera d'exister dans le Missouri le 4 juilleet 1870, et tous les esclaves qui se trouveront dans l'État à cette époque seront libres. Cependant toutes les personnes émancipées par cette ordonnance resteront sous le contrôle et au service de leurs maîtres durant les périodes ci-après déterminées: Celles âgées de plus de 40 ans, durant leur vie; celles âgées de moins de 12 ans, jusqu'à leur 23e année, et celles âgées de 12 à 40 ans jusqu'au 4 juillet 1876.
Les personnes qui seront propriétaires d'esclaves le 4 juillet 1870, auront autorité et contrôle sur les esclaves libérés et auront droit aux mêmes services qu'aujourd'hui durant les prériodes qui viennent d'être indiquées. Toutefois, après le 4 juillet 1870, les esclaves libérés ne pourront ni être vendus à des non -résidents, ni être transportés par ordre leur maîtres hors de l'État.
Section 3. — Tout esclave introduit dans l'État, après l'adoption dudit acte, et n'appartenant pas à un citoyen de l'État, sera déclaré libre.
Section 4. — Tous les esclaves envoyés par leur maîtres dans un État séparatiste, après que ledit État a adopté une ordonnace de sécession, et qui seraient ramenés dans le Missouri, seront déclarés libres.
Section 5. — La législature d'État n'aura pas le droit d'émanciper les esclaves, avant les époques déterminés, sans le consentement de leur maîtres.
Section 6. — Après l'adoption de cette ordonnace, aucun esclave ne sera sujet à une taxe soit d'État, soit de comté, soit municipale.
L'esclavage a été aboli dans le Rhode-Island en 1774; dans le Massachussets et la Pensylvanie en 1780; dans le Connecticut et le New-Jersey en 1784; dans le New-Hampshire en 1792, et dans l'État de New-York en 1799.