Quand donc, sous ce rapport, la France sera-t-elle aussi avancée que notre ancienne colonie ! Au reste, sous le rapport des institutions civiles et politiques, le Canada n'a rien à envier à aucun peuple.
S'il est soumis en droit à l'Angleterre, en fait il s'appartient et se gouverne à sa guise, et le parlement anglais laisse au parlement colonial la plus grande liberté possible.
La constitution canadienne est la même, que celle de l'Angleterre ; mêmes usages, mêmes coutumes, mêmes prérogatives, mêmes libertés pour le peuple et mêmes pouvoirs. Il y a pourtant dans l'administration du haut et du bas Canada quelques différences notables.
Par exemple, dans le bas Canada, qui est resté français et français du temps de Louis XIV, la dîme en faveur du clergé catholique est encore en usage. Cette dîme, fixée en vertu d'une loi spéciale, n'est observée que par les catholiques. Elle est sans effet sur toutes les autres communions.
J'ai trouvé un document assez original dans un petit livre publié sur le Canada par M. Taché, et dont je me suis procuré un exemplaire à Québec. Ce document apprend qu'il y a cent huit apothicaires dans le haut Canada et qu'il ne s'en trouve que vingt-six dans le Canada français ; or je constate, pour cette dernière partie du Canada, une population de neuf cent mille âmes, population qui n'est guère inférieure à celle du haut Canada que d'environ cinquante mille habitants.
Que faut-il conclure de ce rapprochement d'apothicaires? De deux choses l'une : ou qu'on jouit d'une meilleure santé dans le Canada français, ou qu'on s'y drogue moins. Maintenant s'y porte-t-on mieux parce qu'on s'y drogue moins, ou s'y drogue-t-on moins parce qu'on s'y porte mieux? That is the question.
Ce même document me révèle que l'esprit du Normand ne s'est point modifié à l'étranger, et que la chicane est autant en honneur parmi les descendants de la rusée Normandie qu'en Normandie même.
Trois cent quatre-vingt-dix constables, huissiers et sergents de ville ne sont point trop pour maintenir en paix le Canada français, tandis que cent quatre-vingt-cinq de ces honorables fonctionnaires suffisent pour rendre les mêmes services dans le Canada anglais.
Il faut au bas Canada cinq cent vingt épiciers; quatre cent soixante-quinze suffisent dans le haut Canada. L'anglais, brocanteur par excellence n'a pas trop de trente-deux banquiers ; avec onze le français Canadien se trouve satisfait.
Nos voisins d'outre Manche, qui nous accusent parfois d'être une nation de danseurs et de coiffeurs se nourrissant presque exclusivement de grenouilles, seraient bien attrapés s'ils savaient que le Canada anglais compte six professeurs de danse de plus que le Canada français, et que le nombre des coiffeurs ne s'élève dans notre ancienne colonie qu'à trente, tandis que la colonie anglaise se fait friser par quatre-vingt-quatorze artistes du même genre.
Mais allez donc persuader à certains fils d'Albion que nous ne passons pas le temps à dévorer des grenouilles, quand nous ne sommes pas occupés à mettre nos cheveux en papillotes! Autant vaudrait tenter de faire croire à certains Français que les Anglais ne mangent pas la viande crue, et que leur délassement le plus exquis ne consiste pas à se crever mutuellement la poitrine à coups de poing.
J'aurais volontiers passé quelques semaines à Québec, mais Arthur ne le voulut pas. Il se montra si inquiet de son ex-associé et fit tomber tant de fois la conversation sur les charmes de Saratoga dans ce moment de l'année, que par bienveillance le colonel donna l'ordre du départ.
Cette fois nous ne nous amusâmes pas en route, et nous franchîmes à toute vapeur la longue distance qui sépare la capitale du Canada de la cité par excellence de la fashion américaine.