Jean Poulin
Jean Poulin | |||||||||||||||||||||||||||
Né à l’Anse-aux-fraises en 1894 de parents originaires du Nouveau-Brunswick, sa vie est un exemple des plus intéressant de l'histoire du peuplement de ce milieu insulaire.
C'est l'histoire d'un homme libre et droit que le régime féodal n'a jamais enchaîné ou fait plier.
Son histoire est celle de l'île, car il a connu et a travaillé sous les deux régimes, l'un français et l'autre anglais, qui n'avaient en commun que l'intérêt pour les richesses forestières et fauniques d'Anticosti.
Il a conservé un souvenir merveilleux de l'époque des Menier et peu d’intérêts pour celle de la Consol.
Son père, Gustave
Son père Gustave, pêcheur de métier, était originaire de Lamèque au Nouveau Brunswick. Il vint s'établir à l’Anse-aux-fraises au début des années 1870.
Sa mère Marie-Reine Bezeau
La mère de monsieur Jean s’appelait Marie-Reine Bezeau. Leur fils Jean est né le 23 juin 1894. À l'âge de 13 ans (1907), il s'engagea comme ouvrier agricole et travailla à la ferme de Baie-Sainte-Claire et à celle de Rentilly.
Conducteur de chevaux
Pendant 11 ans, il fut chartier (conducteur de chevaux) et effectua de nombreuses tâches de défrichement, de labour et de construction. Le salaire mensuel au cours des années 1910 et 1920 était de 100 $ par mois.
Il y avait quelques presses à foin qui servaient à entreposer le foin sous forme de ballots : un cheval exécutait un trajet circulaire autour de la presse traînant ou tirant sur un levier qui faisait tourner une vis sans fin qui actionnait la presse à foin.
Les moissonneuses-batteuses étaient actionnées par un cheval que l'on faisait monter dans une espèce d'escalier, ce tablier en escalier tournait sans fin et agissait comme force motrice pour le fonctionnement de la moissonneuse.
Service de chasse et pêche durant 45 ans.
Lorsque la Consol acheta l'île en 1926, M. Jean fut assigné au service de chasse et pêche (il ne fut jamais ouvrier forestier) ; il fut chasseur, trappeur, pêcheur, garde-chasse, guide, homme à tout faire, etc. Le salaire, durant la crise des années 1930, était de 60 $ par mois.
Il passa quinze ans à Chaloupe-Creek, quatre ans à la rivière Patate (son premier poste) dont neuf mois seul, quatre ans à la Loutre, vingt ans à la rivière Jupiter, un an à la rivière Vauréal et un an à la rivière McDonald. Donc, 45 années de sa vie furent consacrées principalement à la chasse et à la pêche.
Le courrier à pied
Les camps de chasse et pêche étaient distancés d'environ 20 milles et lorsqu'il était à la rivière Chaloupe, monsieur Jean devait marcher 40 milles en une seule journée pour se rendre à la rivière Pavillon (?) prendre le courrier, revenir chez lui et, le lendemain, se rendre depuis la Chaloupe jusqu’à la Belle Rivière (à l’est de la Pointe-Sud).
Le retour se faisait le même jour jusqu'à la rivière Chaloupe.
Quatre-vingts milles en deux jours.
Les lettres reçues du gardien de Belle Rivière étaient, le lendemain, transportées à la rivière Pavillon.
Cette chaîne humaine permettait au courrier de parvenir à Port-Menier. Il marchait donc 120 milles en trois jours et cela tous les 15 jours. En effet, le courrier circulait deux fois par mois ; ils réparaient la ligne téléphonique au cours de ces marches.
La période cruciale de chasse s'échelonnait sur trois mois (décembre, janvier et février).
Trappeur
Il arrivait souvent que, l'épouse attendant un enfant à Port-Menier, le mari passait l’hiver seul. Tous les jours, M. Jean marchait 22 milles pour relever ses pièges : les animaux recherchés étaient la loutre, la martre, le castor et surtout le renard.
Il recevait les prix suivants pour les peaux de renard : 2$ le renard roux, 5$ le croisé et 10 $ l’argenté. À la fin de février, il se construisait un traîneau (cométique) pour transporter ses fourrures, sur une distance de 150 milles, jusqu'à Port-Menier.
M. Jean a capturé 32 renards en une seule soirée à l'aide de pièges tendus autour de carcasses de chevreuils. Il a dû fermer ses pièges, car la préparation des peaux est un travail long et délicat (dégraissage, etc.) et il avait du boulot pour plusieurs jours. |
Crise d'appendicite - Jean Poulin | |||||||||||||||||||||||||||
Vers 1935, un événement incroyable survint pour M. Jean au cours du mois de décembre.
Il se trouvait seul à la rivière Chaloupe, son épouse attendait un enfant et était à Port-Menier.
Une semaine auparavant, le gérant de l'île, M. Townsend fit envoyer par bateau un chien berger allemand à M. Charles McCormick et un à une autre personne située à Fox Bay afin qu'ils se protègent contre les braconniers.
La conversation téléphonique concernant l'envoi du chien fut véhiculée par M. Poulin (à l'époque, les messages téléphoniques étaient transmis par étape, la communication directe avec Port-Menier était impossible depuis des points éloignés).
On perdit le chien dès son débarquement à Fox Bay et il ne fut jamais retrouvé.
Une semaine plus tard, M. Poulin demanda à son voisin de la rivière Pavillon, qui amenait le courrier, de passer le dimanche avec lui.
Cette invitation avait été faite le samedi par téléphone. Au cours de l'après-midi, M. Jean s'évanouit et son compagnon le trouva affaissé sur le plancher à moitié gelé.
Il téléphona Port-Menier pour avoir le médecin d'urgence. Thousent refusa d'envoyer un bateau pour ne pas risquer la vie de ses hommes.
Le médecin expliqua au téléphone que M. Jean avait certainement une crise d'appendicite aiguë et recommanda d'appliquer des compresses d'eau froide.
On se servit de bottes de pêche (witters) qu'on remplit de neige pour entourer le corps de M. Jean, toujours évanoui.
Les deux premiers jours, il fut soigné par son collègue de la rivière Pavillon ; celui-ci allait relever les pièges de M. Jean.
Il dut partir cependant le troisième jour afin de s'occuper de ses affaires. M. Jean était laissé à lui-même.
Le poêle s'éteignait en l'absence de son compagnon et il faillit mourir de froid à maintes reprises.
Le 12e jour, M. Jean quitta son camp en raquettes pour gagner Port-Menier (à 150 milles de distance).
Il réussit l'exploit. On le transporta à Havre-Saint-Pierre, mais il dut attendre en juin avant d'être opéré par le docteur de la compagnie, et cela, à Grand-Mère.
L'appendice, qui avait l'aspect d'un kyste, s'était résorbé à cause du traitement au froid. Il avait frôlé la mort. |
Famille Menier | |||||||||||||||||||||||||||
M. Jean a connu Henri Menier, mais surtout Gaston Menier. Ce dernier venait passer l'été à l'île tous les ans avec des membres de sa famille. Il m'informe que Martin-Zédé passait tous les étés à l'île comme administrateur de Henri Menier. |
Ferme Rentilly - gérants | |||||||||||||||||||||||||||
M. Jean Poulin m’informe que les responsables successifs de la ferme de Rentilly (les gérants) ont été les suivants par ordre chronologique : M. Francis Bezeau, M. Antonio Lortie, M. Xavier Bergeron et M. Francis Duguay. La ferme cessa d'exister en 1927 ou 1928. |
Ferme St-Georges - gérants | |||||||||||||||||||||||||||
Le gérant de la ferme Saint-Georges était un M. Georges Parent de Saint-Pierre-et-Miquelon, Raymond-Marie Pucet; Joseph Yerley; puis, Albert McCormick. |
Culture - avant Menier | |||||||||||||||||||||||||||
Avant l'arrivée des Menier, quelques îlots de cultures ont été développés à plusieurs endroits de l'île, tels que le Grand Lac Salé, les rivières Saumon, Vauréal, McDonald, de même qu'aux quatre phares construits par le gouvernement canadien. On y retrouvait parfois quelques animaux domestiques. |
Les ours | |||||||||||||||||||||||||||
M. Poulin m’informe qu'il a abattu environ 50 ours au cours de sa vie. Ces animaux de forte taille pillaient les camps et maisons en l'absence des gens.
Il arrivait souvent qu'ils pourchassent des gens et devenaient dangereux faute de nourriture. Les gens de l’Anse-aux-fraises ont connu de nombreux événements peu amusants.
Un ours tenta un jour de sauter dans une voiture dont le cheval, affolé, galopa à tombeau ouvert depuis la croix de chemin jusqu'au village de l’Anse-aux-fraises. Au même endroit, un homme a été poursuivi sur une distance d’un mille par un ours.
Ces bêtes pillaient les poubelles dans le village de Port-Menier presque tous les soirs. Il n'y avait pas de chevreuils pour s'alimenter avant 1903. Et même plusieurs années plus tard. |
Transport vers camps de chasse | |||||||||||||||||||||||||||
Le transport entre Port-Menier et les différents camps de pêche installés autour de l'île se faisait l’été à l'aide du bateau Jolliet, l'hiver, à l’aide de traîneaux à chiens. |
La monnaie | |||||||||||||||||||||||||||
En 1919, M. Gaston Menier, probablement à l'initiative de Martin-Zédé, avait fait imprimer des billets de banque (que les Anticostiens baptisèrent « pitons ») en coupures de un, deux, cinq et dix dollars.
Un montant de 35 000 $ déposé dans une banque à Québec protégeait la validité des pitons et assurait leur remboursement.
Cette monnaie n'a pas reçu l'approbation officielle du gouvernement québécois et fut utilisée illégalement par l'administration de l’île (Zédé).
Comme les billets n'étaient pas signés, il n'y avait pas de crainte de poursuites judiciaires.
De plus, on utilisait à cette époque des coupons (deux types : le bleu et le rouge) ; sur ces coupons, on indiquait les achats faits à crédit dans le magasin du village (vêtements, nourriture, etc.).
Chaque mois, au moment de la paye, on déduisait le montant des ventes à crédit du chèque de paye.
On devait attendre le printemps pour échanger les pitons contre des dollars, l'argent étant amené à l'île à bord du premier voyage du Savoy. L’administration rachetait tous les pitons distribués comme salaire. |