LE SOLEIL, LE 14 AOÛT 1902 — Nous détachons de la «Patrie» d'hier, le compte-rendu que voici, d'un entretien de l'un de ses rédacteurs avec le député de Bonaventure.
Je suis arrivé hier soir d'Anticosti. le voyage a été superbe, beau temps et une réception des plus cordiales. Après avoir terminé la visite de mon comté, je suis monté sur «La Canadienne», à Carleton, et nous nous sommes rendus à l'île en faisant escale à Gaspé où le commandant Wakeham avait affaire.
Je veillai à ce que notre voyage ne nuise en rien au service ordinaire de «La Canadienne» qui comme vous le savez est chargé spécialement du service de protection des pêcheries autour de Bonaventure et Gaspé.
Je n'ai que des éloges à faire du commandant Wakeham qui est le successeur dans ce poste de feu l'honorable M. Fortin, ancien député de Gaspé.
Son équipage de 30 hommes est presqu'entièrement composé de Canadiens-Francais recrutés dans le bas du fleuve et du golfe. «La Canadienne» fait certainement honneur à notre marine. La discipline est aussi sévère à bord que sur les navires de guerre.
À Gaspé nous avons rencontré la «Grundeda» ayant à son bord les sénateurs Cox et Forget, Mm. James Ross, R.S. Angus et Wankim. Ces messieurs étaient en route pour Sydney.
C'était ma première visite à Anticosti et j'en garde le meilleur souvenir. La traversée de Gaspé s'est opérée durant la nuit. Anticosti a 122 milles de long et 45 milles de large dans la plus grande étendue ou à peu près le double de l'île-du-Prince-Édouard.
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L’accueil qui nous a été fait a été charmant. D’abord, au moment de descendre sur l’île nous rencontrons Mgr. Guay qui quitte l’île pour une mission à bord d’une barbe de pêcheurs. Mgr. Guay est le nouveau curé de l’île.
Il est bien dans son champ d’actions et tous sont enchantés de lui. Il porte son costume de prélat domestique et son aspect est un contraste frappant avec les pêcheurs qui l’accompagnent. M. Comettant, gouverneur de l’île est au quai pour nous recevoir. Il nous fait une réception des plus aimables.
Nous l’accompagnons chez lui où nous sommes présentés à madame Comettant et ses deux filles. Ces aimables personnes sont enchantées de l’île et ne parlent pas du tout de la quitter. Nous visitons ensuite la chapelle, l’hôpital où nous rencontrons le Dr. Schmitt, un Alsacien, le grand magasin, le gymnase, le moulin, l’homarderie, l’abattoir, etc.
Tout est en ordre. Nous sentons bien que nous sommes dans un antre français. Chose étrange, cependant, il n’y a que très peu de français sur l’île. Les chefs de services seulement sont français, tous les autres sont Canadiens.
La population est de 400 âmes à peu près. Puis nous traversons l’île en droiture à la baie Ste-Claire où nous sommes descendus à la baie Ellis ou baie Gamache, par une superbe route, une des plus belles que j’ai jamais vue.
À la baie Ellis, on est à construire un quai énorme double en longueur du grand quai à Rimouski, soit 3500 pieds. Nous l’avons parcouru dans toute sa longueur sur un chemin de fer Deauville.
Nous visitons la villa que M. Menier est à construire au prix de $75,000. Quant cette superbe construction sera terminée et garnie de toutes les merveilles que M. Menier entend emporter avec lui d’Europe l’an prochain, le voyage d’Anticosti sera plus attrayant que jamais.
Nous visitons ensuite les fermes St-George, Rentilly, Menardesier, etc. On y pratique l’irrigation sur une grande échelle avec les plus beaux résultats. La récolte d’Anticosti nous a beaucoup étonné. On y cultive tout. Et l’on ne fait que commencer. M. Menier y établira des pulperies.
Sous peu Anticosti aura un chemin de fer électrique pour pénétrer dans l’intérieur de l’île. Les deux belles chutes de la rivière Jupiter seront utilisées pour produire de l’électricité. On ne sert de la chaux pour fabriquer du ciment qu’on emploie pour les nombreuses constructions de l’île. On y trouve du marbre rose en grande quantité.
Entre temps, on s’occupe d’élever des animaux et même renards argentés chevreuils, etc. M. Comettant a réussi à me convaincre que M. Menier avait bien placé son argent en achetant et exploitant Anticosti comme il le fait. Si la chose se continue et il n’y a pas de raison de croire le contraire, Anticosti deviendra avant longtemps une des propriétés privées les plus considérables en Amérique.
On y introduit jour par jour toutes les améliorations possibles. Vous y trouvez le téléphone et le télégraphe sur tous les points. Le climat n’est pas du tout aussi malin qu’on le disait. Il est plus doux en hiver qu’à Québec. Mme Comettant y a une magnifique serre. En hiver on s’amuse en patin, à la raquette, etc. Si le défunt Gamache, le type légendaire de l’île dont nous avons visité le tombeau orné d’une pierre tombale, placée par là par M. Menier pouvait se réveiller, il ne reconnaîtrait plus son pays.
M. Menier, et son personnel respectent sévèrement les lois du Canada et c’est le drapeau du Dominion qui a été arboré à notre arrivée.
Anticosti est une source de revenus considérables pour Québec et Montréal car c’est là qu’on y achète tous les effets dont on a besoin. Le «Savoy» hivernera à la baie Ellis l’hiver prochain. Ce steamer rend des services signalés aux steamers en détresse. La côte d’Anticosti n'est plus l’écueil dangereux qu’elle était autrefois. Le cimetière St-Laurent est en train d’être transformé en un lieu de vie et de prospérité. M. Menier a payé sa propriété $155,000 et je ne serais pas étonné d’apprendre qu’il a déjà dépensé un million. C’est le Canada et nos canadiens du golfe qui ont bénéficié de cette grande dépense. |
LA PATRIE, MONTRÉAL, MERCREDI, 13 AOÛT 1902 — M. Marcil en voyage — Réception
à Carleton — en route pour l'île d'Anticosti et les îles de la Madeleine — Dans le Golfe Bassin de Gaspé, 8 août — M. Charles Marcil, député de Bonaventure, aux Communes, est arrivé ici aujourd’hui à bord de «La Canadienne», en route pour l’île d’Anticosti et les îles de la Madeleine.
Il a entrepris ce voyage à la suite de la tournée qu’il vient de faire dans son comté dans le but de se renseigner parfaitement sur les lieux, sur tout ce qui concerne la navigation et les pêcheries, et cela dans les intérêts de son comté.
C’est à la gracieuseté de l’honorable James Sutherland, ministre de la marine et des pêcheries, qu’il doit ce voyage intéressant.
Il n’a que des éloges à faire du commandant Wakeham et du capitaine Chalifoux et de son équipage. Le voyage a été des plus agréables. Parti de Matapédia hier matin par un train décoré de l’Atlantique et Lac Supérieur, il se rendit à Carleton. Il est accompagné de Madame Marcil, ses deux enfants, le Dr J.A. Pinault et Madame Pinault, le Dr Daniel Caisse, de Montréal, et M. P.A Perron, ingénieur civil, chargé de travaux importants dans Bonaventure.
Les libéraux de Carleton s’étaient réunis en grand nombre à la gare pour souhaiter la bienvenue aux visiteurs. Mmes Marcil et Pinault reçurent chacune un beau bouquet qui leur fut présentés par Mlles Hélène Bujold et Couillard.
Une cinquantaine de voitures avec bannières et drapeaux firent escorte au député jusqu’au quai de Carleton où «La Canadienne», toute décorée, attendait. Le quai lui-même était aussi décoré.
On y lisait l’inscription «Heureux voyage», «Vive Marcil». Le commandant Wakeham était venu recevoir les voyageurs au débarcadère.
Avant de s’embarquer, M. Marcil remercia les citoyens de Carleton de la jolie démonstration qu’ils avaient faite en son honneur et leur promit de tâcher d’obtenir l’agrandissement du quai sur lequel on a dépensé $10,500 en 1901, dans le but de permettre aux grands navires de venir au quai même pour y prendre les chargements de bois qui sont prêts à être exportés par les marchands du comté et aussi de la Matapédia qui en exportent maintenant par scie de Dalhousie.
Ils préfèrent Carleton à cause de ses multiples avantages. Le quai serait raccordé avec le chemin de fer par un embranchement du chemin de fer.
On poussa ensuite trois hourra! Pour le roi, Carleton, le commandant Wakeham et l’équipage de «La Canadienne» et M. Marcil. L’embarquement se fit au bruit de la fusillade, au milieu de bravos, sans oublier un feu de joie.
Puis «La Canadienne» fila vers Gaspé. Elle ancra hier soir à Port Daniel. La température a été très belle hier et aujourd’hui. La «Canadienne» repartira ce soir pour Anticosti.
«La Canadienne» est arrivée à Dalhousie, N.B. hier soir, d’Anticosti ayant à son bord, M. Charles Marcil, député… Le parti est embarqué à bord de «La Canadienne» jeudi dernier, à Carleton, où les citoyens ont fait une jolie démonstration. Puis on fila à Gaspé qu’on quitta vendredi soir.
Samedi matin on était à la baie Ste-Claire, Anticosti où le gouverneur de l’île, M. Comettant souhaita la bienvenue aux visiteurs. On visita la baie Ste-Claire, y compris la résidence du gouverneur, M. Comettant, où Madame et les demoiselles Comettant firent les honneurs.
Tout est intéressant y compris les vastes établissements industriels, les magasins, etc. Jolie chapelle et en plus hôpital public, gymnase, bibliothèque publique, etc.
Tout ceci est à la disposition des habitants de l’île, au nombre de plus de 500. Les visiteurs saluèrent Monseigneur Ch. Guay, qui parait en très bonne santé et heureux dans son nouveau poste. Monseigneur partait justement en barge pour une mission à 50 milles à l’est de la Baie Ste-Claire, sur le côté nord de l’île.
Monseigneur Guay a un champ très vaste pour exercer son rôle apostolique et là comme ailleurs il saura se faire aimer et faire le bien.
De la baie Ste-Claire, on se rend en voiture sur une route superbe traversant l’île. À la baie Ellis, on y visite plusieurs fermes en route, y compris la ferme Ste-Georges, où un drainage intelligent a ouvert plusieurs milliers d’acres de terrain très fertile.
M. Menier se fait construire ici une villa devant lui coûté $75,000, au plus bas mot. Puis, en face, nous voyons un quai de 3,500 pieds en cours de construction. On y emploie le chemin de fer Decauville.
Personne ne sait encore au juste ce que contient Anticosti. C’est une île de 122 milles en longueur et 45 milles en largeur dans sa plus grande étendue.
Sous peu on y exportera de la pulpe, du bois, du marbre rose, du ciment, etc. et des légumes en grande quantité. M. Menier, a dû dépenser $1,000,000. Le prix d’achat a été de $155,000. Ceux qui ont cru que M. Menier avait fait une bêtise n’ont qu’à attendre. On essaie toute espèce de chose. On y élève même à l’heure actuelle, des renards argentés, etc.
M. Comettant avait gracieusement offert de garder M. Marcil et son parti pour une semaine et les reconduire ensuite à Québec à bord du «Savoy» mais les visiteurs ayant d’autres engagements n’ont pu accepter pour cette année.
Anticosti deviendra de plus en plus intéressant. M. Menier doit visiter son île l’an prochain et passer quelques mois dans sa superbe résidence.
«La Canadienne» a fait escale à Paspédiac, à son retour pour permettre aux visiteurs et à l’équipage d’assister à la grand messe de l’église paroissiale. «La Canadienne» est retournée à la Gaspésie.
On ne peut faire que des éloges du commandant Wakeham et de son équipage qui font honneur à la marine canadienne.
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