Lucien Laurin:
Vous n’aviez pas aussi certains traits de caractère de mon grand-père, Lucien Comettant?
Luc Jobin:
Oui, cela me fait plaisir d’en dire un mot. J’aimerais parler de M. Comettant. J’ai eu l’occasion de trouver certains documents, mais je crois que vous en avez plus que moi et je trouve cela
formidable de l’intérêt que vous avez pour votre famille. Ces documents ont une très grande importance, dû au fait que c’était une famille en France d’une grande valeur historique.
Le père de M. Comettant, vous le savez aussi bien que moi, les livres qu’il a écrit dont je pense que vous avez copie sur ses voyages aux États-Unis. D’ailleurs M. Comettant, le gouverneur de
l’île est né là. C’était un homme très érudit, de grande culture. Lisez les journaux, lisez Arthur Buies, lisez Mgr Guay que vous avez, c’est alors inutile que je vous le détaille. C’était un fin
raconteur, il avait un vocabulaire, il avait l’art de captiver l’attention des gens.
Lucien Laurin:
C’était un type très jovial, il intéressait toute une compagnie de personne dans une soirée. Il était musicien, il jouait le piano et il composait que j’ai en manuscrit, et ma mère me disait
qu’un soir chez ma grand-mère à l’Ancienne Lorette, mon père l’ayant fait venir au Canada en 1921, on lui avait demandé de jouer du piano dans la soirée, et pour faire rire son assistance, il
s’est mis à jouer du piano avec son derrière.
Luc Jobin:
Cela demandait une grande force de caractère pour soutenir les mois d’hiver à Anticosti. Cela prenait un homme d’une trempe exceptionnelle, avec le sens des responsabilités, car seul un homme de
sa trempe, de son calibre, qui a tellement voyagé, aurait pu soutenir la solitude à Anticosti, et aussi la pauvreté culturelle du milieu. C’était lui et sa femme.
Il y avait bien quelques autres personnes, mais c’était réellement pauvre. Imaginez des Français aussi cultivés que M. Comettant, vivre la solitude de nos hivers. Sa femme était une très grande
pianiste de concert. Imaginez-vous le caractère de ces gens-là. Moi je les trouve tout-à-fait remarquable. Je ne vous dis pas cela parce que vous êtes de ses descendants, je le crois et je le
sais que ces gens-là étaient comme cela.
C’était un homme dévoué à son travail, avec beaucoup de respect pour ses engagements. Il n’a pas quitté l’île avec plaisir, il l’a quitté parce que les relations qu’il avait avec le directeur
général Martin-Zédé, qui était un homme sur le plan humain, avec un caractère exécrable, détestable, qui était non seulement la cause du départ de M. Comettant, mais aussi de M. Jacquemart et de
M. Picard. Vous pouvez en nommer des dizaines de personnes.
Lucien Laurin:
C’était une administration à deux têtes, à ce moment-là
Luc Jobin:
Vous avez tout-à-fait raison, bicéphale. C’était lui M. Comettant qui était le directeur de l’île, parce qu’il y séjournait douze mois par année. Martin venait du mois de mai jusqu’au mois de
septembre.
Lucien Laurin:
Il ne restait pas sur l’île continuellement?
Luc Jobin:
Jamais, il ne venait que séjourner l’été. Il venait au printemps et il repartait à l’automne. Il séjournait en France l’hiver. Il n’est pas venu pendant la guerre 1914-18. Mais de 1895 à 1926,
tous les ans. M. Comettant était le directeur résidant, le sous-directeur à vrai dire. Mais son vrai titre était «gouverneur de l’île d’Anticosti».
Il voyait à l’administration, à tous les éléments, à la gestion globale, et il voyait à son développement. Mais, Martin-Zédé, quand il venait, se comportait comme un roi nègre, comme un petit
dieu.
Souvent il contrecarrait les plans de M. Comettant, ou tout simplement prenait en mains tout ce qui avait été fait sans considération et sans respect pour les autres. C’était lui qui était roi et
maître et il faisait à sa tête.
Je n’arrive pas à comprendre pourquoi Henri Menier a toujours laissé Martin-Zédé agir, comme il faisait la pluie et le beau temps à l’île Anticosti. C’est difficile à comprendre.
Je pense que celui qui faisait rapport à Henri Menier, c’était Martin-Zédé. Il disait tout le bien qu’il faisait, il ne parlait pas des difficultés qu’il connaissait.
Probablement que les gens comme M. Picard, M. Landrieux, M. Jacquemart et M. Comettant parlaient des difficultés des relations qu’ils avaient avec Martin-Zédé de même que Gaston Menier, je
l’ignore. Peut-être que Martin-Zédé avait beaucoup de force dominatrice; peut-être qu’il louvoyait d’une manière que les Menier ne sont jamais arrivés à connaître la vraie histoire.
Pour revenir à M. Comettant, c’était un homme très très jovial, qui recevait d’une manière très cordiale et chaleureuse. Il avait une gaieté de cœur, un humour, un esprit d’une richesse spontanée
et toujours avec beaucoup de raffinement et de finesse. Il aimait réellement recevoir. Toujours un jeu de mot extraordinaire. Très estimé de ses employés et apprécié de tout le monde.
Il était juste, il savait transmettre les responsabilités. Il ne s’accaparait pas de tout, ni des éloges, ni des succès de son entreprise. C’est lui qui a amené le développement de la Baie
Ste-Claire, des grandes fermes. C’est lui qui a amorcé et administré tout le développement de Baie Ste-Claire.
Le château a commencé à être construit sous son règne. Il a quitté le 4 septembre 1903. Mais la construction du château a commencé au printemps de 1900. C’est sous son règne que le chemin qui
mène de Baie Ste-Claire à Port-Menier, a été construit, et à l’époque c’était quelque chose. La grande jetée qui a été construite entre 1900 et 1903, celle de la Baie Ellis, c’est encore lui. Il
était derrière les grandes œuvres.
Je vais M. Laurin, vous raconter quelque chose, car je pense que si jamais un jour je publie comme c’est mon intention de le faire, je ne pourrai pas parler des détails, je pense que cela n’a
aucun intérêt dans le cadre d’un ouvrage assez important sur Anticosti, mais cela a un intérêt pour vous.
C’est un témoignage verbal que j’ai reçu d’une personne qui vit toujours, qui a près de 80 ans aujourd’hui. Cette personne travaillait au château comme garçon de table, tout jeune à ce moment-là.
C’était au château Menier.
Il m’a raconté ceci. C’était un homme dont je crois beaucoup la parole et l’honnêteté. C’était sa grand-mère qui était cuisinière au château Menier, c’était une personne alors dans la
cinquantaine, et qui avait été engagée par M. Menier en 1895. Elle et ses trois enfants avaient été engagés pour servir M. Menier. En 1905, lorsque le château Menier a été complété, elle est
devenue cuisinière. Elle a raconté un jour à son petit-fils ceci concernant M. Comettant.
Elle lui a dit: Écoute bien ce que je vais te dire: Je me rappelle très bien, en 1903, j’étais bonne à la résidence du gouverneur à la baie Ste-Claire. M. Martin-Zédé me dit ceci: D’ici quelques
mois j’aurai la peau de M. Comettant; il quittera l’île et sera congédié.
Cette dame a été au service de Menier pendant trente ans et c’est une personne en laquelle tout le monde faisait confiance, et qui imposait du respect. C’était une dame d'une grande discipline et
elle régissait son domaine. Tout le monde la craignait car on n’allait pas faire ce qu’on voulait au château Menier. Elle régnait comme une maitresse-femme, non seulement comme cuisinière. Elle
voyait à l’ordre et à la discipline.
Elle se permettait de mettre à sa place M. Zédé, elle pouvait lui dire des choses. M. Zédé n’osait pas répliquer parce qu’il savait très bien qu’Henri Menier et Gaston avait beaucoup de respect
pour cette personne, qui était une cuisinière formidable. Elle a dit à son petit-fils: M. Zédé m’a dit un jour qu’il aurait la peau de M. Comettant et c’est ce qui est arrivé.
Lorsque M. Comettant a quitté l’île, sa santé était ruinée. Il était affecté dans sa santé, et on m’a dit que même financièrement, et par la tension qu’il avait vécue ces dernières années dans
les relations avec Martin-Zédé.
Lucien Laurin:
Mon grand-père Comettant est tout de même mort en 1922. Il a tout de même survécu 19 ans à son renvoi de l’île.
Luc Jobin:
Il est mort, mais il n’était pas très heureux. Quand il est retourné en France, il n’était pas très heureux. Cela a été pour lui, sur le plan financier, un désastre. Il a quitté l’île dans une
situation financière assez lamentable. Vous m’avez dit tout à l’heure que ces deux gendres ont été obligés de subvenir à ses besoins financiers.
Il devait recevoir un bon salaire de M. Menier. Comme le Dr. Schmitt, ils étaient relativement bien payés. C’était tout de même couteux de faire vivre une famille.
Si vous lisez les ouvrages de Martin-Zédé, son journal aux Archives nationales. C’est terrible. Il écrit: nous avons embarqué les bestiaux, également nous avons embarqués la famille de M.
Comettant: les bestiaux et M. Comettant. Pour lui, cet homme-là... Je vais vous dire M. Laurin...
Quand les nouveaux arrivants arrivaient à l’île d’Anticosti, j’entends par nouveaux arrivants, nouveaux administrateurs, nouveaux contremaîtres, nouveaux ouvriers, surtout les gens qui occupaient
une fonction assez élevée dans l’administration, il décidait en les voyant: celui-ci ne va rester que deux semaines. Il condamnait la personne, il y avait un verdict prononcé par
Martin-Zédé.
Lucien Laurin:
Je sais que ma mère m’a toujours dit que Martin n’était pas un type très honnête et il éliminait tous les gens qui l’empêchaient d'agir à sa manière. C’est pour cela qu’il aurait éliminé mon
grand-père, parce qu’avec ce dernier, il n’arrivait pas à avoir le dessus sur lui, parce que mon grand-père était très honnête.
Luc Jobin:
C’est exact, il s’apprêtait à établir une comptabilité et moi je suis seul à administrer, et je ne tiens pas à être manipulé. Quand les gens voyaient le jeu de Martin-Zédé, ce dernier
s’organisait... Tout le monde en 1903, M. Comettant, M. Paquet,... Il y a eu exode de toutes les têtes dirigeantes. M. Comettant fut remplacé par M. Myard.
M. Myard n’était pas M. Comettant, mais il a fait de belles choses. Puis ce fut M. Malouin. C’est celui, ce dernier qui a été le plus longtemps gouverneur de l’île Anticosti. Myard est resté
Myard.
Lucien Laurin:
Ma mère ne m’a jamais parlé de Myard, ce n’est pas un nom qui m’évoque des souvenirs de la part de ma mère. Ce nom m’était complètement inconnu.
Luc Jobin:
Vous le verrez lorsque... d’ailleurs vous n’aurez pas le temps de lire tout le journal de Martin-Zédé. Vous n’en sortirez jamais. D’ailleurs ça n’a peut-être pas tellement d’intérêt. Lisez les
premiers volumes 1902, 1903, vous en apprendrez beaucoup sur son caractère.