Lucien Laurin:
Dans votre conférence du mois de janvier à la Société Historique de Québec, vous aviez mentionné un fait, qui m’intéresse énormément. Dans les recherches généalogiques que je fais, et aussi
celles qui regardent l’histoire du Québec, j’ai remarqué cette crainte de l’Angleterre de voir la France se lancer dans la reconquête du Canada, par le truchement, soit des États-Unis, soit par
la politique guerrière de Napoléon, où on voyait beaucoup de sympathisants à Québec. Vous avez mentionné que le gouvernement canadien était chatouilleux de voir Anticosti appartenir à un
Français.
Luc Jobin:
Oui, je me rappelle de l’avoir mentionné. Une des raisons pour laquelle, il y en a plusieurs, mais la principale, l’île d’Anticosti occupant une position stratégique dans le golfe St-Laurent,
étant donné que c’était devenu une propriété française, entre les mains d’intérêt étranger et français et qu’Henri Menier avait des amis, comme le Kaiser allemand, Guillaume II qui était un grand
ami d’Henri Menier avec lequel il allait pêcher le saumon dans les fjords de la Norvège; cette chose-là était connue que le Kaiser était un ami personnel d’Henri Menier, et il parcourait les
fjords de la Norvège l’été, il partait sur la Bacchante, au début c’était le premier navire d’Henri Menier.
Le fait qu’il occupait cet immense territoire dans le Golfe St-Laurent, il occupait une position très stratégique sur le plan militaire, contrôlant toute la voie maritime. L’imagination des gens
à Ottawa, surtout celle de certains militaires s’est mise à trotter.
Il y a un endroit dans l’île d’Anticosti qu’on appelle, près de la rivière Saumon, la Pointe à la Batterie; batterie parce qu’elle ressemble à une batterie. Ce sont des fossiles qui
ressortent dans le cap. Ce sont des fossiles bien particuliers dont j’oublie le nom, et qui ressemblent à des gueules de canon, ce qui a fait donner le nom de Pointe à la Batterie, à cet
endroit.
Ce cap avait été vu par un navire sur lequel il y avait des officiers. On s’imaginait qu’il s’agissait de canons. On a également émis l’hypothèse qu’à Baie-Ste-Claire on était en train de
construire des casemates, à un point tel qu’en 1901 ou en 1902, un gouverneur, le nom m’échappe, est venu.
C’est Lord Minto qui est venu à l’île Anticosti avec un officier. C’est ce dernier qui avait réellement semé ce doute, cette rumeur dans l’esprit des gens du ministère de la marine à Ottawa,
qu’on était en train d’armer l’île d’Anticosti pour en créer une forteresse. Lord Minto est venu à l’île d’Anticosti avec cet officier, ce haut gradé de la marine canadienne et ils sont allés
inspecter ces trois casemates qu’on voyait de la mer. Quand on a ouvert les portes de chacune d’elles et que l’officier est entré, il en sortit en disant qu’il s’agissait de caveaux à
légumes.
Le gouverneur était frustré, humilié. M. Menier l’a reçu avec tous les égards qu’on doit à une personne de ce rang à sa résidence, et le soir c’est le gouverneur qui a reçu M. Menier à bord du
bateau. L’humiliation a été tellement grande qu’on a demander à Ottawa de cesser...
M. Menier le savait très bien, mais il a agit avec toute la courtoisie.
Lucien Laurin:
L’avait-il su officiellement?
Luc Jobin:
Par ricochet, cela lui avait été dit que la visite était dans un but d’inspecter. Alors il a organisé une tournée du village, des bâtiments de la baie Ste-Claire qui va les emmener aux caveaux
aux légumes, ce dont le militaire était fort heureux d’examiner le contenu: choux, carottes, betteraves, etc.
Ces caveaux avaient un but très précis en cas de conflagration. On entreposait de la nourriture pour survivre tout un hiver, car il n’y avait aucune communication possible, aucun courrier, aucun
navire ne venait. M. Menier s’accommodait de ces choses-là avec beaucoup de grâce.
Mon impression de ce personnage de M. Menier, c'était un homme tout-à-fait remarquable, pour qui j’ai beaucoup d’attachement. Je trouve que c’est un homme de qualité, de noblesse, même s’il
n’avait pas l’ascendance, les titres.
Comme Martin-Zédé s’est donné comme nom. Son nom était Georges Martin. Zédé au bout de son nom est celui de son grand-père maternel, l’inventeur du sous-marin français. Alors il a voulu se donner
du prestige, mais quand il est arrivé à l’île il se avait comme nom Georges Martin, et quelques années plus tard, c’était Georges-Martin-Zédé, pour se donner un air de haute noblesse. Mais
Georges Martin n’était pas de sang de grande noblesse, comme la famille Menier, C’étaient des gens très industrieux, qui avaient le sens des affaires.
C’est comme Henri Menier lorsqu’il a hérité de son père, Brutus Menier. Quand Henri-Émile-Brutus Menier a hérité de son père, en l’espace de cinq ans, je ne me souviens plus de quel montant... sa
fortune a quintuplé.
Lucien Laurin:
La chocolaterie ne vient pas alors d’Henri Menier?
Luc Jobin:
Non, elle vient de son père. J’ai la généalogie chez-moi.