L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé, tome 2 |
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CHAPITRE X 1902-1903
Septième campagne — Départ pour l'île — Séjour à Québec — Arrivée à Anticosti — Avancement des travaux à la baie au Renard — Déplacement à Jupiter — Diminution des moustiques — Le Savoy au quai terminé de la baie Ellis — Retour en France
Je partis cette année pour le Canada à bord de la Savoie le 22 mars et j'étais à New-York le 28.
En arrivant à Québec le 3 avril, Mr. Gibsone m'apprit que nous avions obtenu du gouvernement la séparation d'Anticosti du comté du Saguenay pour les fins municipales, ce qui nous donnait une grande sécurité pour l'avenir et toute liberté pour ce que nous avions à entreprendre.
Le 7 avril, je partis de Québec pour l'île avec Mr. Gibsone. Nour arrivâmes sous la neige, l'hiver s'étant prolongé cette année plus que de coutume.
Nous avions avec nous un instituteur français de St-Pierre et Miquelon, M. Yves Marie Le Rouzès , qui avait demandé la place de maître d'école à l'île.
Les élèves lui furent aussitôt confiés et il eut la charge de leur éducation, tâche dont il s'acquitta fort bien.
Sur ces entrefaites, je fus avisé de la nomination comme missionnaire à l'île de Mgr Guay.
C'était un grand honneur que nous faisait l'évêque de Chicoutimi, mais j'eus des craintes que la modeste situation que nous étions obligés de faire aux missionnaires ne fût pas en rapport avec ce que pouvait en attendre un prélat de cette importance.
M. Parent, le fermier de France, arriva à l'île avec sa famille, pour prendre la direction de la ferme St-Georges où il s'installa de suite et ne tarda pas à donner à celle-ci une impulsion très utile, par son sens pratique et sa connaissance de l'agriculture.
M. Picard s'en rendit compte bientôt.
Nous avions installé dans la baie Ellis un filet de fond «trap-net» pour le hareng.
Plusieurs goélettes de la Nouvelle-Écosse furent averties par Doggett et vinrent charger ce hareng.
Nous en primes plus de 5,000 barils qui furent vendus à raison de dix dollars le doris, chaque doris contenant dix barils.
Ce fut un bénéfice pour le service des pêcheries.
Sur le rapport d'un de nos gardes, j'envoyai inspecter le bois de l'Anse à Caron sur la côte Nord.
Il fut trouvé très beau, et , faisant une grande consommation de bois de construction, je pensai que plutôt que d'exploiter tout ce qui nous entourait, il vaudrait mieux aller prendre celui-ci plus loin.
Le transport se ferait avec une grande barge que nous avions construite à la Baie Ellis pour cet usage et qu'on pouvait faire remorquer par une de nos vedettes à vapeur.
Je décidai donc d'y installer une scierie qui fonctionnerait l'an prochain.
En attendant, on allait couper en cet endroit tout le bois pour cette exploitation pendant l'hiver.
Dans le mois de mai, vinrent nous faire une nouvelle visite, Mgr Laflamme, le grand géologue du Canada et M. Obalski, ingénieur des Mines du Gouvernement, qui firent la première vraie inspection géologique de l'île, sur l'invitation que je leur avais faite de les envoyer chercher à Québec et de les reconduire avec le «Savoy».
Ils logèrent avec moi à la maison Gamache et commencèrent leur travail.
Ils reconnurent que l'île était de formation archéenne du Silurien moyen.
Nous devrions trouver de la bonne pierre à construire: pierre calcaire, du marbre rose, de la pierre lithographique avec possibilité de gisements de sel et de pétrole.
Les échantillons qu'ils rapportèrent furent classifiés par eux et rangés dans le musée avec toutes les indication nécessaires, par les soins du docteur Schmitt.
Ces messieurs ayant terminé leur inspection furent reconduits à Québec par le «Savoy» enchantés de leur séjour.
Depuis mon arrivée à l'île, je ne cessai de souffrir du foie.
Le docteur Schmitt me soignait de son mieux, pensant que les crises passeraient.
Dans le mois de mai, elles ne me laissèrent plus aucun répit, je souffrais nuit et jour, obligé de rester couché le corps plié en deux.
Malgré cela, je sortais tous les jours. Un soir, je fis venir Schmitt qui me conseilla d'aller à Québec, car peut-être une opération serait nécessaire.
Il fit un diagnostic de calculs du foie et de kyste de celui-ci. Cette dernière maladie très grave et fréquente au Canada, provenant des chiens.
Mais j'avais trop à faire ici, les travaux que je dirigeais moi-même me réclamaient. Ayant eu quelques jours de répit, je pensais que cela allait s'améliorer.
Le 8 juin, la villa entière fut charpentée et couverte en ardoises et nous pûmes espérer que les travaux seraient terminés l'an prochain, pour que M. Menier puisse y habiter.
Le 9 juin, je partis pour la Baie au Renard où je rejoignis Doggett qui avait failli se noyer la veille, son embarcation ayant chaviré sous voiles pendant qu'il montait au mât pour y dépasser une amurre qui s'était engagée.
Ses hommes l'ayant aperçu sous l'embarcation eurent juste le temps de le saisir avec avec une gaffe et de le remonter au moment où il disparaissait, lui firent faire tous les mouvements nécessaires et le ramenèrent à la vie de justesse.
Je logeais tant bien que mal dans l'ancienne maison de John Stubbert, sans portes ni fenêtres, et je couchais sur un tas de branches de sapin avec une couverture de cheval.
Mme Lejeune qui n'avait pas voulu me quitter me soignait de son mieux, mais les douleurs n'avaient pas de cesse et devenaient intolérables.
Je regrettais de n'avoir pas suivi les conseils de Schmitt qui avait voulu s'opposer à mon départ, car ici j'étais loin de tout, avec des pêcheurs et sans secours d'aucune espèce.
Dans la nuit du 26 juin, j'éprouvai une très forte douleur dans le côté droit et tombai évanoui sur mon lit, où j'avais juste eu la force de me trainer.
Au petit jour, je revins à moi sans pouvoir faire un mouvement et restai ainsi plusieurs heures comme paralysé, mais sans souffrance.
Enfin, Mme Lejeune étant entrée, m'aida à me mettre sur mon séant et je rendis du sang en quantité, incapable de me tenir debout.
L'après-midi, le croiseur «Constance» Commandant Wakeham vint mouiller dans la baie.
J'envoyai Doggett pour demander au Commandant qui était aussi docteur, de venir me voir.
Il vint de suite et m'ayant examiné, il me dit que je venais d'avoir un des accidents les plus graves qu'on puisse supporter: un abcès au foie, qui avait heureusement crevé dans l'intestin et s'était par chance évacué par les voies naturelles.
C'était la première fois qu'il voyait quelqu'un ne pas en mourir.
Je serais guéri dans dix jours environ en prenant les précautions nécessaires.
Progressivement, je recommençai bientôt à m'alimenter avec l'excellente morue fraiche que nous avions en abondance et je fus sur pieds la semaine suivante
La homarderie fonctionnait bien, nous avions eu une journée de trente mille homards et la taille du crustacé ne diminuait pas, restant aisément dans les limites permises de huit pouces.
Le plus gros de ceux pris cette saison, sur huit cent mille, pesait vingt cinq livres.
Je le fis naturaliser et placer dans le musée en rentrant à Ste-Claire.
Au retour, j'étais allé à Goose-point visiter la homarderie qui avait été construite en cet endroit par Mac Quin, notre chef de fabrication et qu'il dirigeait lui-même, Doggett restant à la baie au Renard cette saison.
Je visitai aussi notre établissement de la pêche à la morue et au flétan qui fonctionnait dans la baie de l'Est près de Heath Point.
Cinq cents quintaux de morue étaient déjà en barils avec quantité de flétans.
Renté à Ellis, J'en repartis pour Québec où j'avais plusieurs choses à faire.
Arrivé là, je pus m'entendre avec le Département des pêcheries pour obtenir une prolongation de dix jours de la durée de pêche du homard (la saison ayant été mauvaise). Je cablai de suite à Doggett pour l'avertir de la continuer en conséquence.
J'invitai le premier Ministre de la province, l'Honorable S.N. Parent, à nous rendre visite à l'île.
Il fut convenu que je mettrais le Savoy à sa disposition et qu'il viendrait, accompagné des ministres qui désiraient nous rencontrer.
J'achetai cinq beaux chevaux de la race Clyde et les fis charger sur le Savoy, ainsi que tout le matériel qu'il pourrait emporter pour l'achèvement de la Villa, et je partis de Québec le 9 juillet, ayant à bord le Colonel Wilson, le docteur Schmitt et Mr Gibsone.
Le Savoy, qui avait été au bassin, avait augmenté sa vitesse de près d'un mille.
Arrivé à la Baie Ellis, j'appris qu'un grand navire était échoué à Frame Point et réclamait assistance.
J'envoyai de suite le Savoy et le lendemain je reçus un câble de Commettant me disant que celui-ci n'avait pu déséchouer le navire qui était de trop fort tonnage pour lui.
Il était regrettable que nous n'ayions pas un navire de tonnage suffisant pour relever les bâtiments naufragés.
Nous étions dans le golfe mieux placés que quiconque pour secourir ceux, qui nombreux, s'y échouaient tous les ans.
Une compagnie de Montréal avait construit un navire de 1,000 tonnes pour ce travail et, très vite, avait largement payé le coût de ce bâtiment.
Or, il partait de Montréal, qui était à près de 1,000 milles de l'endroit où les navires faisaient naufrage, tandis que nous, nous étions sur place.
Nous devrions donc en avoir un aussi grand à la baie Ellis qui pourrait être employé aussi au trafic dans le golfe, quand celui de Montréal ne faisait rien en dehors.
Rien ne serait plus facile que d'interrompre ses déplacements pour nous porter au secours des navires, comme avec le Savoy, du moment qu'on ne lui ferait pas faire des voyages réguliers.
Pour un tel navire, muni de tous les appareils nécessaires pour le sauvetage, de crampons de remorque, embarcations insubmersibles, guideaux puissants, pompes, etc. Le gouvernement donnerait certainement une subvention.
Le Colonel Wilson, Mr. Gibsone et moi, partîmes pour la pêche au saumon à Jupiter le 13 juillet et nous étions le lendemain au pool des douze milles.
Cette pêche était maintenant bien organisée, avec trois bateaux de rivière plats, l'un pour nous, l'autre pour nos provisions et la cuisine, le troisième pour le personnel et les approvisionnements.
Six chevaux montés attelés à ces embarcations avec de longues cordes, (qui leur permettaient de contourner les obstacles sans difficulté) rendaient ce déplacement des plus confortables.
En cinq jours de pêche, à trois, nous prîmes à la mouche 57 saumons, en moyenne du saumon de 10 livres, le plus gros pesant 27 livres.
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