L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé, tome 2 |
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Le 14 juillet, ayant été prévenus la veille par câble que le navire de guerre le «Minto», ayant à son bord le Gouverneur général du Canada, Lord Minto, viendrait rendre visite à M. Menier à la Baie Ste-Claire.
Nous nous y rendîmes le lendemain à 6 heures du matin et mouillâmes à côté du «Minto» venant d'arriver, que nous saluâmes de neuf coups de canon, auxquels il répondit aussitôt.
Étant donné que le gouverneur était venu, non à Baie Ellis, mais à Ste-Claire, je ne doutai pas que ce fut pour faire l'enquête que j'avais sollicitée au Colonial Office à Londres, lors de ma visite à Lord Strathcona, l'automne dernier.
Réception à 10 heures à l'appontement où le Gouverneur débarqué avec son état-major, dont le Commander Spain, son aide de camp.
Nous fîmes la visite des établissements après les présentations officielles.
Le Commander Spain prit les devants et dirigea les pas du Gouverneur directement vers la colline près de la ferme où nous avions nos caveaux d'hiver.
Il avait un air tendu, montrant qu'il ne doutait pas de trouver les casemates où nous cachions les munitions et le matériel de guerre du Gouvernement Français.
Lord Minto avait l'air soucieux et sévère. Arrivé là, il donna l'ordre de faire ouvrir les portes de ces caveaux, ce qui fut fait.
Le Commander Spain y entra le premier et en ressorti de suite un peu décontenancé.
Nous demandâmes au Gouverneur de bien vouloir pénétrer lui-même, ce qu'il fit.
Navets, betteraves, patates, choux, voilà tout ce qui fut découvert, après une minutieuse inspection et je n'oublierai jamais le coup d'oeil que Lord Minto lança au Commander Spain, en sortant du dernier caveau.
Immédiatement, le Gouverneur se tournant vers Menier avec le ton le plus aimable, lui fit des félicitations pour sa prévoyance qui assurait ainsi des vivres frais pour toute la population et l'invita avec sa suite à venir déjeuner sur le «Minto» où il voulait le présenter à Lady Minto et à ses filles: Lady Eileen et Lady Violete.
Nous eûmes un charmante réception où tout l'état-major rivalisa d'amitié pour nous.
Nous reçumes ensuite leurs Excellences et leur suite, à bord de la «Bachante», et nous nous quittâmes dans les meilleurs termes.
Lord Minto disant à M. Menier qu'il comptait bien le recevoir à La Citadelle, quant il viendrait à Québec, ou à Rideau Hall s'il allait à Ottawa.
Cette visite allait arranger bien des choses, ou du moins nous le pensions pour le moment.
Nous étant réinstallés à la Baie Ellis, le neveu d'Henri Menier, M. Georges Menier, ses amis MM. Laveyssière, Robineau de la Pichardaie, Rosselet et le Colonel Wilson, étant venus nous rejoindre, nous partîmes pour pêcher à la rivière Jupiter.
Nous y débarquâmes le 16 juillet par temps propice, car ce mois est le meilleur pour la pêche à l'île et le sport fut excellent.
En huit jours à six, dont plusieurs peu expérimentés, nous prîmes 55 saumons, le poids moyen étant de 9 livres, le plus gros poisson de 22 livres.
Nous remontâmes la rivière jusqu'au pool des trente milles et nous arrêtâmes pour pêcher aux pools des treize, dix-huit, vingt et vingt-quatre milles.
Menier tua un ours de belle taille et plusieurs oies sauvages.
Il fut décidé que nous établirions de suite un portage, puis une route sur la rive gauche de la rivière qui irait d'abord au pool des six milles où un camp serait construit, puis jusqu'au pool des douze milles où une installation plus complète allait être faite, comprenant: habitation pour nous, chambre pour le patron, salon, cuisine, camp pour les hommes, neigière, écurie pour les chevaux, etc...
Ce pool en valait la peine. On continuerait ensuite plus tard la route, en remontant la rivière.
L'avantage d'un chemin le long de celle-ci était qu'en passant dans les pools avec nos embarcations trainées par des chevaux nous dérangions beaucoup le poisson, tandis qu'en faisant la plus grande partie de nos transports à selle ou en voitures, rien de cela n'existerait.
Cette rivière à saumons était véritablement unique à tous les points de vue. Quantité de poissons, eau claire comme du cristal, rives propres sans aucune vase, roches blanches où les chevaux pouvaient passer sans enfoncer, aucun dépôt d'herbes ni de bois mort ou de racines où les lignes s'accrochaient et où l'on perdait ses poissons.
Partout, on pouvait pêcher du bord à pied au lieu d'être en bateau, ce qui était un bien plus beau sport.
Nous décidâmes aussi de construire à l'embouchure une maison pour nous,
à côté de celle du gardien qui avant surveillait la rivière et qui était parti avec Robinson.
Nous allions en remettre un autre qui y séjournerait en permanence. L'été il empêcherait les étrangers de débarquer, chasserait les loups marin qui détruisaient des quantités de saumons et de truites.
L'hiver, il piégerait les fourrures, Jupiter étant renommée pour la loutre et les renards argentés qu'on pouvait y prendre. Il mettrait de la neige dans la neigière des douze milles.
On installerait le téléphone dans cette maison où il logerait avec sa famille et ainsi il ne serait pas isolé. Ce téléphone serait ensuite prolongé jusqu'à la maison que nous allions faire construire aux 12 milles.
On pouvait être surpris que des gens puissent rester ainsi loin de tout le monde, mais les nôtres comme beaucoup de Canadiens des bois aimaient ces existences et n'étaient jamais plus heureux que lorsqu'ils menaient la vie de Robinson.
Combien de fois les Gouverneurs du Canada sous Louis XIV et Louis XV ne s'étaient-ils pas plaints de la difficulté qu'ils avaient à empêcher les colons de France de partir avec les Indiens et de «prendre le bois»
De retour à la baie Ellis, nous eûmes le plaisir de voir rentrer les premières voitures de foin provenant du fond de la baie Joliet, qui fut engrangé à la ferme St-Georges.
On avait pu faucher à la faucheuse mécanique, le bois mort ayant été enlevé n'empêchait plus ce travail.
Vingt grosses fourragères de France furent ainsi rentrées, ce qui permit de nourir toutes nos vaches laitières pendant l'automne.
La fabrication des conserves de homard avait été bonne pendant ces deux mois de juin et de juillet, la homarderie avait fait 2,800 caisses de boites qui furent aisément vendues à Québec à raison de 13 dollars l'une, ce qui produisit la somme de 36,000 dollars, c'est-à-dire 180,000 francs, qui couvrirent tous les frais de la première année d'exploitation en laissant un bénéfice appréciable, ce qui était très encourageant.
Sur la demande de Doggett, la construction d'une seconde homarderie, mais de moindre importance fut décidée à Goose-Point, là où Stubbert avait essayé d'en installer une malgré nous.
L'endroit était sûrement très bon et éviterait les longs transports de homard le long de la côte.
Tout ayant été réglé pour les travaux à faire et l'achèvement de la villa dont on posait la toiture à notre départ, Menier décida de monter à Québec, très satisfait de la marche des affaires.
Nous partîmes dans les premiers jours du mois d'août et arrivâmes à Québec le surlendemain où Levasseur et Mr. Gibsone nous apprirent le retentissement qu'avait eu dans la presse le voyage du Gouverneur général à l'île.
Il était probable que le Gouvernement avait dû donner des instructions aux journaux (car autant que nous, il avait le désir de voir se terminer ce conflit) et les articles de ces journaux étaient en grande partie retournés en notre faveur.
En arrivant au Club de la Garnison, nous fûmes reçus par une ovation et un grand dîner fut donné en notre honneur avec le concours de la musique de la Citadelle, dirigé par son chef éminent, Mr. Vézina.
Pendant notre absence, Mr. Gibsone avait été approché par un des chefs du parti méthodiste qui venait lui demander si, véritablement, nous aurions pu obtenir des tribunaux une peine de deux ans d'emprisonnement contre le Rév. Griffith, étant donnée l'action qu'il avait commise d'encourager les gens à la résistance à la loi.
Mr. Gibsone lui répondit que la loi était formelle, mais que sous aucun prétexte M. Martin-Zédé n'avait voulu le faire.
Il lui prouva donc que dans la circonstance, nous avions fait preuve d'une véritable modération et ces messieurs en convinrent volontiers.
Mr. Gibsone ajouta que depuis, les relations s'étaient beaucoup améliorées et qu'on allait sans doute nous faire une proposition véritablement acceptable pour régler ce conflit.
Le procès allait venir devant la Cour incessamment et on voulait profiter de la présence de M. Henri Menier pour en finir.
M. Menier demanda simplement que le Rév. Griffith reconnût notre bonne foi dans tout ce que nous avions fait, qu'il manifestât le regret d'avoir laissé égarer son jugement par de fausses représentations et que jamais plus il ne s'occuperait de nos affaires.
Ceci dûment écrit et contresigné par le consortium des méthodistes, nous nous quittâmes dans les meilleurs termes. La plainte fut retirée, à la satisfaction générale.
Ainsi fut enterré cette pitoyable affaire, qui fit couler plus d'encre au Canada que la guerre de 70 comme le disait l'Honorable Adélard Turgeon et empoisonna véritablement les six premières années de notre entreprise, au détriment de tous.
Sans la perte de temps qu'elle nous causa et les ennuis de toutes sortes qu'elle nous donna, notre colonisation aurait été dans une bien meilleure position et bien autrement avancée qu'elle ne l'était.
Mon ami M. Henri Myard, ingénieur de l'École Centrale, qui était venu me voir de Mexico et sur lequel j'avais des vues pour la direction des grands travaux que nous allions entreprendre à l'île, revint avec nous sur la «Bacchante» en France.
J'avais causé avec lui de la possibilité de faire une usine de ciment à l'île et de commencer l'exploitation du marbre de la rivière Chicote et de la Pointe du Sud Ouest.
J'entrevoyais aussi l'organisation de la vente des billots de bois écorcé pour la fabrication de la pâte de papier et pour tous ces travaux, il nous fallait des gens de grande capacité.
Or, Henri Myard avait avec lui un autre ingénieur, son ami et associé, M. Livrelli, qui sortait également de Centrale et aussi de l'École des Arts et Métiers d'Angers.
Tous deux avaient beaucoup voyagé dans le monde et avaient une grande expérience des affaires dans les pays lointains. Nous les prendrions tous les deux.
Nous rentrâmes en France sans nous arrêter à l'île et arrivâmes au Havre après une très belle traversée.
Rien ne fût encore décidé pour la situation de MM Myard et Livrelli, mais nous restâmes en rapport de lettres et en correspondance suivie.
Le comptable Robert Eustache fut changé et remplacé par un M. Brunel.
M. Parent, le fermier du Berry nous fit savoir qu'il était à notre disposition et se tiendrait prêt à partir pour l'île avec sa famille et ses ouvriers au printemps.
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