L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé, tome 2 |
Pages | 42 | |||||||||||||||||||
1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 18 | 19 | 20 | 21 |
22 | 23 | 24 | 25 | 26 | 27 | 28 | 29 | 30 | 31 | 32 | 33 | 34 | 35 | 36 | 37 | 38 | 39 | 40 | 41 | 42 |
L'année suivante, sur 150 qui nous avaient été envoyés, nous eûmes 50 naissances.
Il fut aussi question de nos envoyer des «Musk oxen», mais la chose ne put être réalisée à cause de notre départ de l'île.
Pendant la période qui suivit la guerre, le braconnage prit une telle extension que nous dümes avec l'assentiment du Gouvernement prendre des mesures nouvelles.
Deux détectives spéciaux nous furent envoyés par le Ministère de l'Agriculture, les frères Galibois du parc des Laurentides qui remirent les choses en ordre.
Depuis que j'avais essayé et commencé les parcs dits «fermes à renards argentés» des goélettes venaient à l'île, débarquaient des gens qui mettaient sur nos rivages des pièges pour prendre les renards et nous en enlevaient beaucoup.
Dans une seule expédition que je fis faire à la Pointe aux Esquimaux, nous rentrâmes en possession de plus de 50 renards vivants qui nous avaient été dérobés.
Ces renards étaient destinés aux «fermes à renards» de l'île du Prince Édouard où il s'en était créé une quantité.
Nos renards faisaient prime à cause de la qualité de leur fourrure, et les conditions dans lesquelles nous nous trouvions au point de vue des droits du propriétaire qui sont limités par le relais de la mer des crues moyennes, laissaient aux «poachers» (braconniers) toutes facilités pour tendre leurs pièges à la mer basse.
Ayant été nommé shérif du Gouvernement pour la protection du gibier, je fis une demande pour que notre droit de propriété fut reconnu jusqu'à la limite des basses marées.
Je me basais sur l'impossibilité où nous étions de protéger le troupeau de rennes du Gouvernement, étant donné que ces animaux avaient pris l'habitude de parcourir le rivage de la mer pour y manger des herbes salées qu'ils affectionnent particulièrement.
Les «poachers» tout en venant tendre leurs pièges pour les renards, les approchaient aisément sur le plein et allaient les détruire rendant inopérant notre arrangement où nous devions rendre cinq rennes pour un reçu.
Ma demande fut acceptée par le Gouvernement et une loi fut faite qui nous donnait la propriété de l'île jusqu'à la limite des plus basses mers.
Tout homme pris chassant sur le rivage fut passible de 200 dollars d'amende et un mois de prison à la première offense et de 500 dollars avec 5 mois de prison à la seconde, ce qui mit fin au braconnage à la satisfaction du Gouvernement et à la nôtre.
J'eus aussi en 1923 à attirer l'attention du Gouvernement sur le jet des résidus de pétrole et de mazout fait par les navires dans la mer, qui non seulement détruisait les poissons, mais aussi les oiseaux de mer, canards, oies, sarcelles, mouettes, goélands, etc...
Nous vîmes des quantités de canards noirs mourant de soif sur les rivages de l'île et qui ne pouvaient s'envoler, leurs plumes étant graissées par le pétrole.
Le «plancton» dont les alevins des poissons font leur nourriture près des rivages, et qui était mis à découvert aux basses marées, était détruit par le pétrole que le vent du large amenait au rivage et que la mer laissait se déposer en se retirant.
Une pêcherie que j'avais dans la baie Ellis, et où beaucoup de poisson venait à la marée haute et où nous le prenions à la mer basse, dut être abandonnée, le poisson ayant été détruit.
De cette époque, le gibier d'eau se mit à diminuer ainsi que les poissons de roche et il est à prévoir que ces destruction vont s'accentuer si aucune mesure n'est prise pour y remédier.
Le jet à la mer des résidus des tanks où on met le mazout devait être interdit à bord des navires et au lieu d'être jeté à la mer, y être conservé d'autant mieux que ces résidus ont une certaine valeur et pourraient être vendus avec bénéfice à l'arrivée dans le port.
Après la guerre, je m'assurai le concours d'un excellent Docteur Français, le Docteur Charles Martin qui fut mis à la tête du service médical.
Nous pûmes aussi nous assurer le concours et l'aide d'une communauté de religieuses, les soeurs grises de Québec qui vinrent occuper la maison des ingénieurs de Princeton, après le départ de ces derniers.
Ces admirables religieuses prirent charge de l'hôpital ainsi que des écoles, où eles rendirent des services signalés par leur science et leur dévouement à la population.
Nous eûmes pendant ces dernières années, beaucoup de visites à l'île dont les navires de guerre Britanniques, la «Psyché» et le «Valerian» et les Français, le «Régulus» et la «Ville d'Ys».
Son Excellence le Duc de Devonshire et lady Maud Cavendish à bord du «Lady Grey» vinrent à Port Menier et nous firent l'honneur d'accepter notre hospitalité à la villa.
Nous reçumes aussi M. Jules Blondal de l'Ambassade de France à Washington, le professeur Twenhofel, Mr. Anso Mc. Cook Beard, Mr. William Stacpole de Toxide, Mr. Robert Mc. Cormick de Chicago, l'Honorable Ernest Lapointe, le Colonel Thompson, Mr. Pratt, Mr. Gérald Power, Mr. Nagnier, consul de France, Mr. Goddard sur son yacht «Rowena», M. Gaston Menier, M. et Mme Geo. Menier, M. Jacques Menier, MM Antoine, Claude Hubert et Jean Menier, vinrent habiter la villa à plusieurs reprises et pêcher à Jupiter.
Au mois d'août 1923, pour la première fois, nous eûmes la visite du premier avion qui ait survolé l'île.
Le major Shaerer venant de la base d'Halifax descendit dans la baie Ellis et fit des photographies de l'île.
Nous pûmes avec lui nous rendre compte des avantages que nous pourrions retirer de l'aviation.
D'abord pour établir des relations avec Gaspé où nous pourrions prendre le terrain une demi-heure après notre départ de la baie Ellis, puis ensuite pour la surveillance et la garde de l'île.
Un hydravion aurait dans toutes les embouchures des rivières et dans nos lacs des points d'amerrissage sans nombre et la baie Ellis et celle de Gaspé seraient des centres uniques pour eux, par suite de leur étendue d'eau calme sans profondeur.
Au départ de Mr. Gibsone l'agence à Québec fut installée dans la rue St-Pierre dans un local provisoire et Mr. Dion qui avait remplacé M. D'Aigneaux nous trouva un excellent endroit pour y installer nos bureaux, ainsi que les magasins du «Savoy».
L'emplacement nous fut accordé par la Commissions du port dans le bassin Louise et le Savoy pouvait y accoster.
Nous fîmes construire les bureaux, ainsi que les magasins et pûmes y recevoir les voyageurs pour l'île dans d'excellents conditions.
Si le trafic avec l'île avait diminué, les voyageurs avaient augmenté et le Savoy vieillissant, je pus convaincre Gaston Menier de l'importance qu'il y avait pour vendre l'île d'avoir un service régulier avec un navire convenable.
Nous ne pûmes trouver nulle part un bâtiment fait pour notre usage à l'île, à cause des conditions particulières qui étaient requises pour ce service.
Le bâtiment fut commandé en France en novembre 1924 à la Cie Worms du Trait, près de Rouen.
Il devait avoir 800 tonneaux, chauffant au mazout. Vitesse 10 noeuds, accommodation pour 50 passagers de 1ère et autant de 3ème classe. Pas de secondes, Cales importantes, tirant d'eau 12 pieds.
Le 28 mars 1926, le «Fleurus» fut lancé au Trait et prit la mer pour Québec, où il prit son service, commandé par le capitaine Caron.
Le Savoy fut vendu ainsi que l'Alpha.
Pendant toute cette période d'après guerre, comme dit plus haut, ma principale préoccupation avait été de chercher un acquéreur pour l'île.
Pendant l'été de 1925 plusieurs personnalités américaines étaient entrés en rapport avec moi à cet effet.
Ils auraient fait d'Anticosti une résidence sportive pour eux et leurs familles, y auraient amené leurs yachts, fait la pêche et la chasse tout en organisant l'île au point de vue rendement et développant ce que nous avions commencé et en entreprenant les exploitations dont l'expérimentation avait été faite.
Sans doute, dans un ou deux ans, auraient-ils pu réunir le nombre de dix qui était nécessaire pour faire l'acquisition de l'île, mais le sort en décida autrement.
En mars 1926, le représentant de la grande fabrique de papier du Canada, la «Wayagamack» M. Paul Maynard, vint me retrouver à Paris pour faire avec nous un contrat de bois de pulpe de 50,00 cordes.
Je lui dis que notre moulin d'écorceurs était définitivement fermée et que nous n'avions pas l'intention de le rouvrir.
Il m'expliqua la situation des grandes usines de pulpe et de papier au Canada qui consommaient d'immenses quantités de bois et qui devaient s'en assurer des réserves dans l'avenir.
Je lui exposai alors qu'Anticosti suffirait pour procurer tout le bois dont plusieurs grandes usines pourraient avoir besoin; que nous cherchions un acheteur pour l'île et que nous serions désireux le cas échéant d'en trouver un.
Il me dit que le Président de la «Wayagamack» M. C.R. Whitehend qu'il attendait, allait venir à Paris et que je pourrais l'entretenir de cette affaire.
Quelques jours après, ces messieurs vinrent me voir et me dirent que ma proposition les avaient beaucoup intéressés, d'autant plus qu'entre les Directeurs des grandes compagnies, des Laurentides, de Port Alfred et de la Belge Canadian, il avait été question de cette acquisition de l'île d'Anticosti qu'ils avaient déjà envisagée.
La seule question qui les déciderait à acquérir l'île était la quantité de bois qu'ils y trouveraient.
Je pus leur garantir la quantité de 10 cordes à l'âcre sur toute la surface de l'île, sans tenir compte des lacs et des savanes bien entendus.
Cette quantité de bois à l'âcre, leur ayant convenu, Mr. Whitehead m'assure qu'une prospection par avion allait en être faite et que si elle vérifient l'existence indiquée e 10 cordes à l'âcre, l'achat serait fait.
Assez rapidement, nous tombâmes d'accord sur le prix de vente, ces conditions furent soumises à M. Gaston Menier qui les approuva et la prospection par avion ayant vérifié l'existence de bois comme indiqué, le contrat fut signé par les parties le 30 mars 1926.
Le paiement fut fait à Québec le 20 juillet.
M. Menier reçut un prix de la vente de l'île qui l'indemnisait largement des dépenses faites à l'île depuis le commencement y compris le prix d'achat.
J'obtins que lui et les siens pourraient pendant 10 ans encore aller pêcher à la rivière Jupiter pendant un mois dans la maison et que la villa, durant leur séjour serait à leur disposition, mon appartement personnel m'y serait réservé pendant ces 10 années.
Moi-même je reçus une part sur laquelle les promesses de mon ami Henri Menier m'avait permis de compter et qui me dédommageait de mon travail des 30 années écoulées.
Pour décider la vente, j'acceptai de régler sur ma part le prix de construction du «Fleurus» et l'île Anticosti fut remis entre les mains de l'Anticosti Corporation qui allait en avoir désormais la Charge.
Février 1938
Pages | 42 | |||||||||||||||||||
1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 18 | 19 | 20 | 21 |
22 | 23 | 24 | 25 | 26 | 27 | 28 | 29 | 30 | 31 | 32 | 33 | 34 | 35 | 36 | 37 | 38 | 39 | 40 | 41 | 42 |