L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé, tome 2 |
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CHAPITRE XX 1913-1914
Dix-huitième campagne — Départ du France — Au zoo du Bronx park de New-York — Québec — Notre quai au port de Gaspé — Arrivée à l'île — Les travaux d'hiver — Essais des destructions des loups marins — Chatrage des renards rouges — Transplantation des arbres — Un hotel pour le tourisme — Essais du chalut à plateaux — La pêche du saumon à Jupiter — Visiteure à l'île — Décès de M. Henri Menier — Retour — Décision des héritiers
Je partis seul, Menier assez souffrant préféra rester en France pour se remettre, il voulait aussi étudier la question de l'usine de pulpe chimique, et son intention était de se rendre en Suède et Norvège avec la Bacchante, notre ami le consul général de France à Bergen, Mr. Grave, que nous avions connu autrefois dans les croisières du Nord devant lui donner toutes facilités pour visiter les grandes usines de pulpe de ces pays, qui ont toujours été à la tête de l'industrie du bois en Europe.
Son idée était de faire une fabrication modèle, il trouverait là tous les derniers perfectionnements que comportait la construction d'une usine moderne, avec l'utilisation nouvelle des sous-produits, chose qui n'en était encore qu'à son commencement en Amérique.
Quittant le Havre le 3 mai sur la «France», j'étais à New-York le 9.
Mr. Eshbaugh m'y attendait et nous allâmes voir Mr. James Clarke, auquel j'expliquai que M. Menier allait d'abord faire son usine de pulpe chimique à Anticosti et qu'il préférait attendre que la construction en fut faite avant de faire la Société projetée. On verrait après.
Je me rendis ensuite chez le professeur Hornaday au Zoo de Bronx Park. Le jeune ours que nous avions envoyé l'automne dernier lui avait donné bien des soucis.
Cet animal quoiqu'ayant à peine plus d'un an était de taille surprenante et il l'avait baptisé du nom de «Giant baby bear».
Il était énorme pour son âge et entièrement indiscipliné. Il rodait constamment dans la grande cage qu'on lui avait donnée cherchant un moyen de s'en échapper.
Aucun ours n'avait pu le faire, la hauteur des grilles étant de plus de 13 pieds. Cependant, il y avait huit jours, on le vit tout à coup bondir après avoir pris son élan et se servant d'un rocher plus élevé que les autres et du coup atteindre le dessus du grillage, de là il s'était élancé dans le vide et s'était échappé au galop dans le parc.
Il était arrivé près d'un tramway arrêté, avait pénétré dedans faisant fuir tous les occupants et s'était mis en train de dépecer les coussins des banquettes.
Il avait fallu que la police arrive et lui tire plusieurs coups de fusil avant de le tuer.
Le professeur était désolé de la perte de son pensionnaire qui faisait l'admiration des visiteurs et auquel il tenait beaucoup. Il fut convenu que je lui en enverrais un autre.
En visitant avec lui le bassin où étaient les loups marins, il m'expliqua qu'il avait été obligé de faire couper la tête des poissons dont on les nourrissait, parce que beaucoup d'entre eux mourraient de péritonite occasionnée par les hameçons que souvent les pêcheurs laissaient dans les têtes des dits poissons qu'ils avalaient et qui leur perforaient les intestins.
Partant de cette idée, il me vint à l'esprit que nous pourrions à l'île employer un moyen semblable pour nous débarrasser de nos loups marins et avec le professeur, nous imaginâmes de faire un appareil qui se composerait d'un ressort replié sur lui-même qu'on mettrait dans le corps de harengs frais et qu'on leur ferait manger.
Il fallait trouver un moyen de faire se détendre ce ressort dans l'estomac de ces phoques, qui leur perforerait l'intestin, la péritonite qui s'en suivrait les ferait gonfler du ventre et nous aurions l'occasion de pouvoir les harponner en surface et de nous en emparer avec l'avantage éventuel d'en prendre les peaux et d'en utiliser la graisse et la viande. Ceci serait à essayer à l'île.
Les «Yacks» que m'avait offerts le professeur Hornaday n'étaient pas encore arrivés, mais il pensait les avoir bientôt.
Quittant New-York le 14 mai, j'arrivai à Québec le 15.
Mr. Gibsone venait de s'entendre pour l'achat au gouvernement d'un terrain que j'avais visité l'an dernier à Gaspé et qui était le meilleur que nous puissions trouver pour y installer le centre de pêcherie.
Ce terrain s'étendait sur 300 pieds le long du quai avec une profondeur de 100 pieds de largeur.
La voie du chemin de fer passait à proximité et nous aurions une voie d'évitage qui y pénétrerait et où les wagons réfrigérateurs pourraient être chargés.
Il y avait 18 pieds d'eau contre le quai et nos bateaux y accosteraient aisément.
Mr. Girard, l'arpenteur du Gouvernement, allait partir pour Gaspé pour faire le levé du plan de ce terrain qui nous serait cédé au prix de 3,000 dollars dès que nous en aurions décidé l'acquisition.
Nous allions pouvoir maintenant organiser définitivement nos pêcheries dans d'excellentes conditions.
Le 26, j'arrivai à l'île, et je tins la première réunion du personnel.
Aucun travail d'hiver n'avait été fait, j'allais en montrer ma surprise, lorsque Mr. Eshbaugh me dit qu'il avait deux foremen qui avaient fait preuve d'initiative cet hiver.
L'un étant chargé des transports du bois par wagons sur voie étroite, ayant remarqué que les trucs chargée de bois et conduits par des chevaux, causaient des accidents aux descentes en prenant trop de vitesse et en dépassant les chevaux qui les tiraient.
Plusieurs chevaux avaient été renversés, les freins n'étant jamais actionnés à temps.
Pour remédier à cela, il avait imaginé de fixer des palonniers aux freins et de les attacher aux reculements des chevaux, par ce moyen, quand les wagons dépassaient les chevaux, automatiquement les freins étaient actionnés et arrêtaient le mouvement en avant, qui ne reprenait que quand le terrain redevenait plat, ainsi les chevaux n'étaient plus entrainés et aucun accident n'était survenu depuis cette amélioration.
L'autre amélioration avait été imaginée par un mécanicien d'une des locomotives qui ayant remarqué le travail considérable que nécessitait le déchargement des plateformes transportant le bois qu'on amenait le long du canal pour y être jeté à l'eau à la main, suggéra l'idée de munir les dites plateformes de côtés amovibles pouvant se rabattre.
On avait relevé la voie du côté extérieur, ce qui donnait une pente à la plate-forme qui l'inclinait vers le canal, pour que tout le chargement fut précipité dedans.
Ceci avait été d'un grande économie dans la manutention du bois et rendait grand service.
Ces gens étant illettrés, je fis faire par Mr. Eshbaugh pour chacun des rapports exposant leurs inventions et me les fis remettre à la réunion.
Je pus alors dire à l'étonnement de tous au début de la séance, que j'allais distribuer les deux prix destinés aux deux meilleurs travaux d'hiver, que je voyais avec plaisir qu'on avait bien compris l'intérêt que j'y attachais, et faisant entrer les deux foremen, je leur remis les deux prix de 200 dollars et de 100 dollars avec outres mes félicitations.
La surprise fut grande parmi le personnel et la leçon comprise, surtout quand après la réunion, un de nos employés vint me demander une augmentation.
Je lui dis alors que je n'avais vu aucun travail d'hiver de lui, que dans ces conditions, je ne voyais pas pourquoi je lui donnerais une augmentation, puisqu'ayant le moyen de la justifier, il n'avait pas jugé utile de le faire.
Cette année, je n'eus après cela plus aucune demande d'augmentation. Les 300 dollars furent bien rattrapés.
Les travaux avaient été poussés activement.
La grande scierie du Lac-St-Georges terminée au printemps fonctionnait, la copur à bois était presque pleine.
Nous avions maintenant tout le bois nécessaire aux constructions à venir.
Le grand camp du service des travaux était habité et les 300 ouvriers de Tancrède Girard y étaient logés.
Nous fîmes l'inauguration de la grande salle de réunion et du club de Port-Menier.
800 personnes y trouvèrent place et la première représentation cinématographique y fut donnée excitant l'admiration des habitants qui, pour la plupart, non seulement n'avaient jamais vu de cinéma, mais n'avaient jamais même quitté l'île.
Et quand au début ils virent s'avancer sur eux à toute vitesse une locomotive, il n'en fallut de peu que la salle ne se vidât, chacun se précipitant aux issues en renversant bancs et chaises dans un désarroi impressionnant.
Nous décidâmes de faire un barrage en ciment armé au Lac St-Georges à L'entrée du canal.
La route de la ferme passa dessus et quatre fortes pelles furent installées qui permirent de vider le lac en quelques jours en les ouvrant, ou le remplir en les fermant.
Un déversoir de même largeur servait de fausses rivières au débit ordinaire de l'eau venant de la rivière aux Castors.
À la fonte des neiges, toutes les pelles grandes ouvertes furent suffisantes pour éviter les inondations.
Au mois de juin, les harengs remplirent nos filets et plusieurs goélettes de pêche virent s'approvisionner de boëte.
Dans la baie Ellis, les loups marins venaient jusque dans nos «trapp-nets» poursuivre le hareng.
J'étudiai avec le docteur le moyen de détruire ces loups marins avec l'appareil dont il avait été question avec le professeur Hornaday.
Mous fîmes découper dans des bandes d'acier de faible épaisseur des morceaux de 3 pouces de long par 4 lignes de large.
Chaque pièce était appointée à chaque bout et percé d'un trou aux extrémités.
Repliés en deux, ils constituaient un ressort très flexible qu'on plait aisément entre le pouce et l'Index et qui se détendait instantanément aussitôt abandonné à lui-même.
Nous trouvâmes que le fil de «catgut» employé dans le opérations pour suturer les plaies, pourrait nous convenir pour attacher ensemble les extrémités de nos ressorts.
Dans les plaies, le sang ou les liquides du corps dissolvent le «catgut» assez rapidement, mais le docteur était d'avis que dans l'estomac ce fil serait digéré dans l'espace de seulement quelques heures.
Nos ressorts repliés, les extrémités furent réunis ensemble en les liant avec du fil de catgut passé dans les trous qui y avaient été faits.
L'appareil était prêt. L'idée était de mettre en l'introduisant par les ouïes, ces ressorts dans le ventre des harengs, et de jeter ces poissons ainsi parés à marée basse sur les échouries aux endroits où les loups marins étaient les plus nombreux.
À marée montante, ils trouveraient ces harengs, les mangeraient, quelques heures après les sucs de l'estomac agissant, le catgut serait dissous, et le ressorti se détendant, perforerait les entrailles des loups marins qui les auraient avalés.
Nous pûmes expérimenter notre procédé un peu tard dans la saison, et tout de même eûmes d'excellents résultats.
Nous mîmes les ressorts dans cinquante harengs aux endroits indiqués et deux jours après, je pus achever au fusil pouls de 10 loups marins qui nageaient à la surface et que nous approchâmes aisément.
C'était, nous le croyions le moyen de venir à bout de ces animaux, mais il fallait penser à améliorer la manière de s'en servir, en tenant compte que les phoques sont des animaux à sang chaud doué d'un puissant odorat et dans l'avenir faire mettre des gants en caoutchouc aux gens qui mettraient les ressorts dans les harengs, pour qu'aucune odeur ne puisse mettre ne défiance ces animaux.
Bien entendu, les harengs seraient bien vivants quand ils seraient pris et le moins de temps possible serait laissé pour en faire la distribution aux places choisies.
Il est possible que le procédé indiqué puisse également être utilisé pour la destruction des «porpoises» qui causent tant de pertes aux pêcheurs de sardines, mais également pour ces poissons qui sont aussi à sang chaud, la question de l'odorat doit être envisagée et pour la même raison que pour les phoques.
Les petits parcs pour prendre les renards avaient bien fonctionné et nous allions pouvoir en faire tout de autour de l'île. Ceux qu'on avait pris l'automne dernier avaient été tués l'hiver et bien vendus aux marchands de fourrure.
Toutefois, j'eus une autre idée qui changea nos intentions à cet égard.
Somme toute, ce que nous recherchions était le moyen d'enlever de la circulation les mâles rouges de peu de valeur qui ne se reproduisant pas, diminuaient la qualité de stock de nos renards argentés ou croisés, en y remettant du sang d'animaux inférieurs.
Il existait un autre précédé pour arriver au même résultat, mais combien plus pratique et plus simple. Par le châtrage ni plus ni moins.
Au lieu de garder, de mettre dans des parcs, d'avoir à les nourrir pendant l'été et l'automne, si nous faisons subir l'opération de la castration à tous nos mâles rouges et même à tous les mâles croisés, la question serait résolu pleinement.
La castration est une chose aisée à faire. Une fois castré, les renards seraient remis en liberté, sans autre frais, et quand l'hiver on les prendrait dans des pièges, ils n'auraient pas pu couvrir les femelles et qui était le but à atteindre.
De plus, il était probable que la qualité de la fourrure gagnerait beaucoup par la castration, comme cela a lieu chez les lapins et les lièvres dont la qualité du poil en est très améliorée.
Je procédai de suite à plusieurs castrations de renards, toutes réussirent parfaitement.
J'eus une table d'opération faite exprès pour cela, où ils étaient étendus sur le dos, la tête et les pieds attachés et ne pouvaient ni mordre ni se débattre.
Les opérés étaient relâchés de suite et reprenaient leur existence dans le bois comme si de rien n'était.
Cette fois nous étions dans la bonne voie. Pourquoi n'y avait-on pas pensé plus tôt? Nos trappeurs en étaient tout surpris, nous de même.
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