L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé, tome 2 |
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CHAPITRE XVII 1909-1910
Quatorzième campagne — Voyage à Québec — À l'île — Le bois de pulpe — Expérience diverses — Déplacement à Jupiter — Exploiration géologique du professeur Twenhofel de Yale — Réceptions — Retour — Organisation pour la vente du bois
Parti de France par la Provence le 1er mai 1909, j'étais à New-York le 7 et le 11 à Québec.
Je descendis chez notre conseil et ami Mr. Gibsone, 38 rue St-Ursule.
Nous fumes à plusieurs réception chez l'honorable A. Turgeon, à la citadelle, chez le cololonel Wilson où nous fûmes présentés à lord Hamilton.
Mr. Eshbaugh qui était venu nous rejoindre annonça qu'il allait nous faire des propositions pour la vente du bois de pulpe.
La «Lumber Sales Corporation» qu'il représentait ayant étudié la qualité du bois de l'île et l'ayant reconnu comme de toute première classe, sans résine et avec une longueur de fibre tout à fait exceptionnelle, aussi bien le sapin que l'Épicéa.
Il pensait qu'il trouverait acquéreur au prix de huit dollars la corde de 228 pieds.
Les fourrures de l'hiver furent vendues 1,705 dollars à la Cie Française Révillon de Montréal.
Le 24 mai, j'étais à Anticosti et j'arrivai au milieu d'une forte épidémie de grippe qui comme d'habitude avait été introduite par le Savoy à son premier voyage à l'île.
Chaque année, c'était la même chose, mais cette fois plus de la moitié du personnel était alitée et des cas assez graves se manifestaient.
Le Dr. Schmitt ainsi que son successeur avaient bien prescrit la suppression des poignées de main et des embrassades superflues, mais cela n'aidait qu'à reculer l'échéance de la maladie.
Toutefois, il était à remarquer qu'en prenant des précautions, la grippe s'infiltrant plus lentement semblait moins forte.
La pureté de l'air à l'île, comme le docteur Schmitt avait pu s'en rendre compte, était si grande qu'elle nuisait plutôt qu'elle ne profitait à ceux qu'elle devait favoriser.
Après chaque séjour de plusieurs mois, comme je le faisais chaque année à l'île, aussitôt en France et souvent même pendant le retour, j'étais pris de maux de gorge et de bronchites dont j'avais de la peine à me débarrasser.
Sans doute l'organisme s'était-il trop habitué à n'avoir à se défendre contre aucun microbe et avait-il perdu l'habitude de la lutte?
C'est à cette cause que nous attribuâmes le décès des «Squatters» qui avaient été expulsés de l'île, comme nous l'apprîmes au printemps, et qui pourtant avaient été transportés dans l'Ouest.
Ce fut une triste expérience pour nous, et depuis, à moins de conditions exceptionnelles, je ne chasserais plus personnes de l'île à moins de les transporter dans les îles voisines, du Prince-Edward, de la Madeleine, ou de Mingan, qui ont le même air qu'Anticosti.
Les travaux furent retardés considérablement de ce fait. Nous eûmes de la peine à labourer nos terres pour les semailles du printemps.
Par une tempête, le «King Edward», le navire des Holliday frères qui faisait le service
à l'île et dans le Golfe, s'était échoué quelques jours avant à la baie Ste-Claire, ce qui illustrait le peu de sécurité que pourrait procurer ce mauvais havre.
On avait emmené le personnel à terre et retiré les marchandises, mais le navire des Davie de Montréal n'avait pu encore le déséchouer.
Il n'était pas à plus de 200 m. du rivage droit en face de la place, c'était un visiteur inattendu.
Quelques difficultés étant survenues parmi nos employés au sujet des habitations qu'ils occupaient et qui étant toujours un peu meilleures ou plus mauvaises les unes que les les autres, ou plus ou moins bien situées, étaient la cause de querelles et de discordes, je décidai que chaque maison serait louée au prix de 5% du coût de sa construction.
Je fis une réforme des salaires en conséquence, de façon que personne ne fut lésé, mais j'obtins désormais la tranquillité, les meilleures maisons étant plus chères que les moins bonnes, la dépense arrêtait les compétitions.
Je fis au Gouvernement une proposition pour que la station de Marconi qui était à Heath Point fut transportée à Ellis.
On pourrait l'installer au Cap Henri et même au Cap Blanc dans une situation bien dominante et cela serait utile pour nous et pour le Gouvernement qui devrait payer très cher les opérateurs isolés dans leur désert de la Pointe Est de l'île, sans ressources ni visites l'hiver.
Je transmis cette proposition au département des Postes.
La scierie installée dans le lac St-Georges asséché était en plein fonctionnement quand j'arrivai. L'hiver, le bois coupé dans le grand défrichement des alentours de la ferme St-Georges avait été transporté à la rivière aux Castors et mis dessus la glace en «rollways».
À la fonte des neiges, l'eau avait mis en flotte tout le bois et la «drave» s'était faite dans de bonnes conditions, amenant le bois par la rivière à courte distance de la scierie.
Les trois écorceurs cette fois étaient en marche et nous nous félicitions d'avoir suivi les conseils de Mr. Eshbaugh qui nous avait fait faire un «dutch owen» (four allemand) pour brûler les écorces et fournir le chauffage de la chaudière qui actionnait la scie, le banc de scie et les transbordeurs.
La scierie ne fonctionnant que le jour, je dus même faire brûler les écorces la nuit pour nous en débarrasser.
Qu'aurions-nous fait sans le «duth owen». Nous aurions été enterrés sous la sciure et les écorces.
Toutefois, je fis mettre le «bottage» (morceaux de bois des extrémités des billets qu'on sépare avant le sciage pour avoir des sections droites et nettes) à part, ces morceaux pouvant servir partout pour le chauffage des maisons, et étant faciles à transporter.
Le bois écorcé en morceaux de quatre pieds de long était ensuite remis à l'eau dans le canal qui avait été ménagé au milieu du lac et par où passait maintenant la rivière aux Castors et était flotté jusqu'à la sortie du canal près du quai, où il était empilé en attendant l'embarquement.
Nous avions environ 2000 cordes à livrer.
À la comptabilité, j'apportai mon travail de réorganisation. Marcel Brunel et les comptables se mirent aux tableaux des services, chapitres et articles qui furent affichés sur les murs du bureau et chacun put maintenant répartir avec sagacité nos recettes et nos dépenses à mesure qu'elles se présentaient dans les mille articles inscrits au lieu de les verser en bloc dans les 10 comptes généraux d'où j'avais eu tant de peine à extraire les dépenses faites pour les immeubles.
Je fus frappé du nombre et de la variété des différents formats de papier qu'on utilisait, sans aucune utilité du reste, sauf peut-être celle des intéressés à nous les fournir.
La machine à écrire exige un format unique dont il n'y avait nulle raison de s'écarter, d'autant que les classeurs modernes sont faits pour ce format où les feuilles viennent se ranger en ordre au lieu du fouillis de l'ancien classement par dossiers de toutes les tailles et toujours «poudreux» encore en honneur du reste dans tant d'administration.
À part quelques rares exceptions, nous n'allions plus avoir qu'un seul type de papier et deux d'enveloppes pour le pliage des feuilles en trois comme en Amérique ou en quatre comme en Europe.
Mais en ce qui concernait les feuilles imprimées à remplir, les bordereaux, les mémorandums, tous eurent désormais avoir l'interligne de la machine à écrire au lieu d'en avoir un d'écartement quelconque comme dans tant d'administrations d'Europe.
Une fois le stock existant épuisé, et hélas ce serait long, il ne serait pas renouvelé.
Bien entendu, le rangement des pièces dans les classeurs verticaux ne se ferait pas par ordre numérique, mais par ordre alphabétique, n'est-il pas en effet plus facile de classer une pièce «Thomas» à la lettre T que de se souvenir que «Thomas» a le numéro 17.5431.
Le nouveau chef de culture, M. Parent, m'annonça que le troupeau de boeufs s'était augmenté ce printemps de 40 veaux tous bien portants, il en attendait encore 20 autres.
Ayant remarqué pendant l'hiver qu'en sortant le fumier pour le mettre en tas dans la cours, celui-ci selon la chute des neiges finissait au printemps après n'être qu'une véritable glacière de couches alternatives de fumier et de neige qu'on ne pouvait utiliser que très tard, il avait fait l'essai de charger le fumier dans l'écurie sur un traineau qui une fois plein serait transporté dans le champ où on devait l'employer et déposer sur la neige.
En effet, comme nous n'employions pour mettre sous les animaux que la tourbe sèche, celle-ci comme dit précédemment n'avait pas besoin d'être consommée comme la paille, le fumier obtenu n'avait par conséquent nul besoin d'attendre, le froid le conservait et à la fonte de la neige, il était sur place prêt à être mis en terre.
Le transport était bien plus facile en traineau qu'en tombereau et le fumier n'était chargé qu'une fois.
J'avais fait envoyer de Suisse des cloches pour les bestiaux comme on en met aux vaches dans les montagnes.
Ces cloches sont des tailles différentes, certaines très grosse qu'on met aux taureaux ou aux vieilles vaches, elles ont des tons différents et les vachers sont vite habitué à en reconnaître le son quand ils veulent retrouver les animaux.
Nous en mîmes au cou de nos plus vieux bestiaux qui furent lâchés en liberté entre la baie Ellis et la Rivière aux Canards et ainsi il fut bien plus facile de les retrouver quand on voulut les rentrer pour l'hiver.
Les plus jeunes animaux aussi prennent bientôt l'habitude de les reconnaître et se groupent plus facilement sous la direction de ceux-ci quand le mauvais temps les force à chercher un abri.
On m'avait envoyé de Suisse également des petits modèles de chalets de ce pays, comme on en vend partout en Suisse et je les remis à notre chef des Travaux Tancrède Girard, pour qu'il en étudie la construction et s'en inspire dans nos constructions à venir.
Le hareng comme de coutume remplit nos filets dans tout le mois de juin et plusieurs goélettes vinrent s'en approvisionner, ce qui montrait que Port-Menier commençait à être connu.
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