L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé, tome 2 |
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CHAPITRE XVI 1908-1909
Treizième campagne — Séjour à Québec — Arrivée à l'île — Le Dr. Verge — Diminution de la mortalité infaltile — Mr. W.H Eshbaugh — Prospection du bois — Déplacement à Jupiter — Les moustiques en disparition — Le yacht «Vanadis» — Reception — Retour — Réorganisation des services
Le 13 juin, je quittai le Hâvre pour la Provence et passant par New-York, j'arrivai à Québec le 22.
Mr. Gibsone et Mr. Malouin m'exposèrent la situation nouvelle qui nous était faits par le départ du Dr. Schmitt, qui nous avait quitté à notre grand regret le 29 mai en nous proposant comme son successeur, le Dr. Verge de Québec qui briguait cet emploi et qui fut agréé de suite.
D'autre part, M. Lacroix le comptable de Miquelon, venait aussi de nous quitter, mais lui d'une façon imprévue, n'ayant pu s'entendre avec ses chefs et avait annoncé sa détermination d'aller à Paris exposer lui-même ses griefs à Mr. Menier.
L'ayant rencontré sur la terrasse du Frontenac, il pensa devoir m'expliquer sa conduite, mais je lui dis que son voyage à Paris serait inutile, que j'allais le remplacer immédiatement.
Je câblai à Menier de m'envoyer le fils Brunel que je savais disposé à revenir à l'île et que son séjour à Anticosti avec son père avait bien mis au courant de notre comptabilité.
Je fus reçu à la citadelle par le Gouverneur Général et assistai aux fêtes données en l'honneur de Mgr. Laval.
Au Garrison Club, son Honorable le juge Carrier donna une réception où je rencontrai le Colonel Talbot, Mr. Corriveau, et M. Broët, colon français du lac St-Jean.
Je retrouvai aussi l'honorable A. Turgeon, le Colonel Wilson et Mr. et Mrs Mac-Pherson.
Le Savoy étant à l'île, je partis le 27 juin sur le «King Edward» bâtiment faisant le service des passagers dans le golfe et fis le voyage avec MM. Davies et Hodges, qui furent débarqués à la rivière Moisie et arrivai à Ste-Claire le 29.
Un télégramme m'attendait de Paris m'annonçant le départ de Marcel Brune qui remplaçait Lacroix, démissionnaire.
Le Dr. Verge me fut présenté, chacun l'appréciait déjà, il s'intéressait à l'île et me remit un rapport documenté qu'il avait fait au sujet de la diminution de la mortalité infantile à l'île, auquel il s'était appliqué sur l'avis de son prédécesseur qui lui en avait signalé l'intérêt avant son départ.
Il avait constaté que pendant l'hiver qui venait de s'écouler, la moralité habituelle des enfants avait diminué des trois quarts.
Son attention avait été attirée par le docteur Schmitt sur la coïncidence de ce fait nouveau, avec la suppression des chiens qui avaient tous quittés l'île au mois de septembre dernier.
Il se proposait de faire examiner son rapport par le corps médical canadien auquel il soumettrait ses observations.
Mr. Gibsone arriva le 10 juillet avec des personnes qu'il me présenta et qui venaient pour faire la prospection du bois de l'île.
C'étaient MM. W.E. Eshbaugh, Mr. Chapin et Mr. Hendricks, membres de la «Lumber sales Corporation» de New-York qui nous feraient des propositions d'achat de bois si l'exploration qu'ils projetaient était satisfaisante.
Je mis à leur disposition l'Alpha qui allait les conduire aux endroits où ils avaient à se rendre pour la homarderie et qui leur montreraient le bois d'une bonne partie de l'île.
Le 17 arriva Marcel Brunel, qui prit de suite en main la comptabilité qui n'avait pas souffert en l'absence de l'ancien comptable, Mr. Servêtre ayant assuré l'intérim.
Toutefois, ayant à m'occuper d'une manière spéciale de ce service, je m'aperçus qu'il y avait des réformes importantes à lui faire subir.
L'importance des travaux que nous faisions depuis le début me tenait toujours sur les lieux de l'ouvrage sans possibilité de m'en éloigner, comme le montrera l'exemple suivant.
Quand je faisais creuser le canal St-Georges, j'employais cent terrassiers à ce travail et me trouvant avec mon compagnon habituel le Dr. Schmitt, je tirai ma montre et pendant une minute, nous comptâmes chacun le nombre de jets de pelle qui tombaient pendant ce temps sur les deux rives.
Nous en comptâmes 500, puis ayant quitté le canal, et fait un tour, nous y revinmes un demi-heure après, mais en ne nous montrant pas et recommençant l'expérience, nous ne comptâmes plus que 25 coups de pelle au lieu de 500.
Jusqu'ici ne faisant que des dépenses, nos comptes n'étaient qu'une opération d'enregistrement et d'addition comme compte de ménage, et je ne sentais pas la nécessité de m'en occuper, le Secrétariat de Paris étant bien suffisant pour cela.
Mais quand je voulus faire les inventaires, je m'aperçus de l'impossibilité dans laquelle je me trouvais, les dépenses ayant été simplement distribuées dans des comptes généraux tels que: marchandises générales, service des travaux, service agricole, navigation etc. d'où impossibilité d'attribuer les sommes dépensées aux immeubles dont je voulais faire les inventaires.
De plus, nous commencions à faire quelques recettes et la colonne «doit» commençait à trouver en face d'elle quelques chiffres bien modestes d'ailleurs dans la colonne «avoir» mais il était nécessaire de ne pas laisser ces intéressants items se noyer dans le flot impétueux de nos dépenses générales et de bien faire valoir à quel compte spécial elles devaient être affectées.
Je verrais à m'occuper de cette question, à mon retour à Paris.
Le 21 juillet furent abattus nos trois premiers boeufs de cinq ans nés à l'île. Notre troupeau allait maintenant augmenter dans de bonnes conditions
Ces animaux du naufrage du «Mancherster Trader» habitués aux plaines du Far-West ne furent jamais parqués comme ceux que nous achetions à Québec qui étaient dans l'enclos du fond de la baie Joliet.
Ils étaient en liberté dans l'espace compris entre la baie Ellis et la rivière aux Canards.
Ils y trouvaient beaucoup de foin naturel et des abris partout dans le bois contre les pluies et le mauvais temps.
Ils avaient maintenant des chemins bien frayés pour circuler abord du rivage et dans le bois et chaque année, leur parcours s'améliorait.
Mais, comme dans l'ouest, ils avaient pris des habitudes d'indépendance, telles qu'il devint impossible d'aller les voir sans être à cheval, tout homme à pied étant attaqué immédiatement.
Nous devrions faire venir des «Cowboys» de l'Alberta pour les charger du troupeau.
Ces bestiaux n'avaient jamais été malades comme nos vaches de Ste-Claire, n'étant pas avec les chiens dans leur solitude et n'auraient pas à en souffrir désormais.
Nous avions réduit la stabulation au strict nécessaire, ils n'étaient rentrés qu'au 1er décore et étaient relâchés le 1er avril, quatre mois d'étale au lieu de huit mois ailleurs.
C'était une grosse économie. Aussi nous décidâmes de ne tuer nos animaux qu'à cinq ans, où la viande de boeuf est la meilleure.
La viande du boeuf de cinq ans est un luxe auquel l'Angleterre elle-même a fini par renoncer, le «baby beef» actuellement en honneur n'a de tendresse que le nom, quant à sa saveur elle est inexistante, mais l'agriculteur ne peut garder comme autrefois ses animaux le temps requis pour leur complet développement et les plus gourmands doivent se contenter, à part du marmot cité plus haut, du vieux venu de 2 ans et demi, quand on veut bien le lui offrir, ou de la génisse plus ou moins en mal d'enfant et de n'importe quel âge qu'on lui propose.
Qu'en pensent les rânes des héroïques «Beef Eaters» de la Tour de Londres d'autrefois?
Les explorateurs revinrent après avoir examiné le bois autour de l'île et Mr. Eshbaugh me dit qu'il avait trouvé partout d'excellent bois pour la pulpe, qu'il ferait son rapport à la «Lumber Sales Corporation» et nous ferait bientôt des propositions intéressantes pour l'exploitation de nos forêts.
Ils s'embarquèrent sur la «Princesse» pour rentrer à New-York le 26 juillet.
Nos amis Turgeon, Garneau et Mr. Broët (lequel venait d'être nommé membre du Parlement provincial) arrivèrent le 7 août et nous partîmes pour la pêche à la rivière Jupiter.
Une grosse baleine était échouée là quand nous débarquâmes, elle mesurait 90 pieds, c'était une baleine frange de la plus grande taille.
Désirant en prendre les fanons, je la fis remorquer par le Savoy à la baie Ellis où on l'échouerais sur le côté ouest de la baie pour qu'elle n'empeste pas Port-Menier et nous la trouverions au retour.
Pour la première fois, les moustiques nous laissèrent pêcher tranquillement et nous n'eûmes pas à employer d'anti-moustique ni de voiles.
Nos efforts étaient couronnés de succès, et nos amis furent stupéfaits du résultat obtenu.
Du reste, les animaux sauvages nous entouraient de tous côtés et nous tuâmes deux cerfs qui vinrent améliorer notre ordinaire, sans compter les lièvres qu'on voyait partout.
C'étaient des animaux qui occupaient maintenant les moustiques et non nous.
Notre système avait fait ses preuves. Voilà le beau cadeau que nous avait laissé le Dr Schmitt avant son départ. Dix années de travail intelligent basé sur une méthode absolument neuve avait démontré son utilité indiscutable, nous pouvions lui en être reconnaissants.
En trois jours, à quatre pêcheurs nous capturâmes 47 saumons, le plus gros étant de 26 lbs et demie, le poids moyen étant de 12 lbs et demie.
Rentré à Ellis et nos amis partis, je fis enlever les fanons de la baleine, mais jugeai nécessaire de l'emmener cette fois au large où les courants nous en débarrassèrent heureusement.
Le 12 août, visite de l'honorable Marcil député du Fédéral, ami de Sir Wilfrid Laurier, qui accompagné de sa fille et de son gendre vint voir nos établissements.
Le 20, arrivée du grand yacht «Vanadis» ayant à bord son propriétaire Mr. C.K. Billings, sa femme, ses filles et son fils, le Dr Billings, son frère, Mr et Mrs. Crane, Br. et Mrs Knapp.
À bord étaient également, Mr. Gibsone, Mr. Eshbaugh et Mr. Hendricks.
Leur séjour ne fut pas favorisé par le temps, le vent d'est souffla en tempête tous les jours sans arrêt, ce fut un désarroi.
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