L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé, tome 2 |
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Vers la fin de mon séjour, une goélette de pêche de la Nouvelle-Écosse, mouilla dans la Baie et le capitaine Doggett vint me voir.
En passant près de la côte Sud de l'île, à un endroit nommé Goose Point, il avait vu la goélette du nommé John Stubbert qui était mouillée et à terre, des hommes qui construisaient une homarderie et habitaient déjà dans un grand camp élevé près du rivage.
C'était Stubbert de la Baie au Renard qui, en prison à la Malbaie, faisait continuer ses opérations de pêche par ses fils en les étendant même hors de la Baie au Renard.
Le Capitaine Dogget était descendu à terre et un des fils de Stubbert lui avait dit qu'il remplaçait son père absent et que tout le monde pouvait pêcher sur Anticosti sans avoir à nous demander aucune autorisation.
Le Capitaine Doggett, surpris par cette affirmation et voulant agir correctement, sachant combien les gens de l'île étaient peu sûrs, venait me demander s'il pouvait agir de même et se mettre à installer une homarderie sans notre autorisation.
Je lui répondis que les fils de Stubbert qui était en prison, n'avaient pas plus que lui aucun droit sur Anticosti et que j'allais les mettre hors de l'île.
Il me demanda de laisser sa goélette dans la Baie et de venir avec moi à bord du Savoy pour assister à leur expulsion.
Je l'y autorisai et il vint avec nous. Le soir même, nous partîmes dans la nuit. J'avais avec moi six de mes gardes armés les plus sûrs, et le lendemain, un dimanche, nous arrivâmes de bonne heure à Goose-Point et mouillâmes près de la côte par une fraiche brise de nord-ouest venant de terre.
La goélette signalée était près de nous, à terre un grand camp, et la homarderie dont on terminait la toiture d'achevait, Plusieurs doris étaient tirés à terre.
En débarquant vers mes hommes, je constatai de suite que ces bâtiments étaient bien situés sur notre terrain, c'est-à-dire construits au-dessus du relais de haute terre moyenne.
Laissant mes gardes de chaque côté de l'entrée, je frappai à la porte et, sur un énergique «comme in», je pénétrai au milieu d'une réunion d'une vingtaine d'hommes en partie couchés sur leur cadre; une fumée de pipe obscurcissait la vue et l'odeur du whisky saisissait l'odorat.
Je demandai qui était le chef, l'ainé des fils Stubbert me dit qu'il était le représentant de son père absent.
Je lui dis que personne ne l'avait autorisé à s'installer ici, que sa construction était située sur notre terrain, que moi, représentant du propriétaire, je lui donnais l'ordre à quitter la place.
Un éclat de rire général fut tout le succès que remportant ma proposition, je leur dis alors que mon intention en venant ici était de leur donner 24 heures pour enlever leurs affaires et vider les lieux, mais que puisqu'ils me recevaient de cette manière, je le leur donnerais plus qu'un quart d'heure pour partir.
Autre rire non moins fort à cette déclaration.
Je refermai la porte et faisant passer mes hommes derrière le camp où il n'y avait aucune vue, je leur fis remarier des broussailles mèches et le bois mort qui était partout en quantité sur le rivage, et leur en fis faire plusieurs gros tas contre le mur du camp.
Le vent, comme dit plus haut, soufflait de terre portant vers la mer. Je donnai l'ordre à mes gens de mettre le feu partout à la fois à mon commandement, et, ouvrant la porte, je dis au pêcheurs que le quart d'heure était écoulé et je fis le signe pour faire allumer les tas de bois.
Instantanément le feu activé par la brise qui le poussait sur le camp s'élève jusqu'au toit remplissant le camp de fumée par les interstices des billots mal joints et les flammes commencèrent à pénétrer à l'intérieur.
Dans la crainte, si grande chez les marins, de perdre leur sac, tous s'empressèrent à y empiler leurs vêtements épars, puis chacun chargeant le sien sur l'épaule et les mains dessus pour le tenir, sortit du camp.
Nous les dirigeâmes alors vers leurs canots et les fîmes embarquer,
Aucun n'avait d'armes, sauf les fils Stubbert, mais ils étaient trois et tellement surpris qu'ils n'opposèrent aucune résistance, hissèrent leurs voiles et disparurent non sans nous injurier copieusement, comme il convenait.
Je fis mettre le feu à la bâtisse de la homarderie en construction et nous fûmes de retour le soir même à la baie Ellis.
Le capitaine Dogget qui avait assisté à l'opération était fixé.
Nous eûmes un entretien où il m'exposa sa situation assez précaire, ayant un bâtiment hors d'âge et hors de cote du Lloyd.
Il avait eu deux mauvaises années de pêche à la morue, seule la fabrication des conserves de homard pouvait payer et c'était le métier qu'il connaissait le mieux.
Il n'avait pas de capitaux pour monter une homarderie, mais il pensait pouvoir en trouver si nous lui permettions de s'installer à Anticosti. Il nous paierait une bonne redevance pour cela.
Je lui dis alors que si les renseignements que j'allais prendre sur lui étaient satisfaisants, j'aurais sans doute une autre proposition plus intéressante à lui faire, et je lui laissai entendre qu'il pourrait être mis par nous à la tête de notre service des pêcheries et chargé pour nous de construire, organiser et diriger une grande homarderie que nous pourrions élever à la Baie au Renard, maintenant que les squatters n'y étaient plus.
Je cablai de suite au Commandant Wakeham de la «Canadienne» et au capitaine May de la «Constance» pour leur demander des renseignement sur les capacités et l'honnêteté du Capitaine Doggett de la Nouvelle-Écosse.
Ils le connaissaient bien et la réponse fut: «Best man you can have for that business» (le meilleur homme que vous pouvez avoir pour ce travail).
Il fut donc convenu (car il avait accepté mon idée de le proposer à M. Menier comme chef de nos pêcheries et cela avec grande satisfaction) qu'en principe et en attendant l'avis de Paris, qui pour moi ne faisait pas de doute, il allait préparer toutes choses pour que nous puissions construire une homarderie importante.
Il avait un homme excellent à nous proposer comme chef de cette homarderie, un véritable expert qui en avait dirigé beaucoup et jouissait dans les provinces maritimes d'une très bonne réputation: Mr. Mac Queen.
Lui-même, Doggett, s'occuperait plus spécialement du recrutement des pêcheurs, de leur choisir leurs emplacement de pêche, de la boëtte, du matériel, filets, «traps-nets» trappes à homards, transports divers, etc... Il connaissait un petit vapeur du type remorquer de 20 tx, «l'Alpha», qui ferait notre affaire pour tous nos transports, bâtiment solide et construit pour les glaces.
En nous hâtant, nous pourrions avoir la homarderie achevée et prête à fonctionner le 1er juin de l'année suivante, c'est-à-dire à l'ouverture de la saison de pêche au homard.
Le capitaine Doggett préconisait pour avoir une fabrication irréprochable, l'emploi de nouvelles boites à conserves Bliss de New-York, en fer blanc emboité avec double sertissage.
Elles seraient du type courant d'une livre, d'une demie-livre et de trois-quarts de livre.
Les caisses les contenant seraient respectivement de 48 boites pour les livres et de 96 pour les demi et les trois-quarts.
J'exposai toute cette organisation dans le courrier que j'envoyai à Paris et je décidai de partir de suite pour la Baie au Renard, afin d'étudier sur place avec le Capitaine cette nouvelle organisation et choisir l'emplacement de la future homarderie.
Aussitôt arrivés, nous nous rendîmes à l'emplacement de la homarderie choisie par les «squatters» qui venaient de quitter le pays, et où jadis j'avais été si mal reçu par les nommés Baker et Stacy lors de mon exploration de l'île.
L'avis de Doggett fut que cet endroit ne serait pas bon pour nous qui allions disposer d'embarcations à moteurs de fort tonnages qui ne pourraient pas accoster avec si peu de fond.
Cette homarderie était construite dans l'extrémité de la baie, près de l'endroit où venait se jeter la rivière, ce qui leur donnait l'eau douce à proximité.
Il fallait mettre nos bâtiments plus loin, près du large, aux abords de l'entrée de l'ouest où il y avait plus d'eau proche de terre et où un embarcadère pourrait être construit, auquel l'«Alpha» viendrait charger ainsi que toutes nos embarcations.
Nous aurions de l'eau douce en abondance, qui pourrait être prise dans un petit lac situé à peu de distance en arrière en y puisant avec une pompe et en l'emmagasinant dans des réservoirs.
Des rochers suffisamment élevés, protégeaient cet emplacement contre la mer et les gros vents du large.
À droite de l'embarcadère projeté seraient construits deux camps, l'un pour les hommes, l'autre pour les femmes.
En face de la homarderie serait la chambre de cuisson la plus proche du débarcadère.
À gauche, le magasin général, l'entrepôt des caisses les agrès de pêche et enfin, le sied pour le sel.
En face, de l'autre côté de la Baie, près de l'entrée de l'Est, habiteraient les pêcheurs de boëtte pour qu'ils se trouvent plus près du large.
Ils auraient également de l'eau douce dans le lac en arrière de leur camp et toutes les plages nécessaires pour sécher leurs filets et tirer leurs embarcations au sec.
La boëtte serait conservée plus tard dans une neigière qu'on construirait dans la colline près de leur camp.
La pêche de la boëtte se composait de trois périodes, d'abord celle du hareng qui venait jeter son frai près de terre au mois de juin, jusqu'au commencement de juillet, enfin celle de l'encornet, «squat», qui était la meilleure boëtte de toutes, qu'on prenait jusqu'à la fin de la saison de pêche.
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