L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé |
Malheureusement, ce malentendu ne fit que s’aggraver par notre absence et l’ignorance où nous fûmes longtemps informés de sa gravité. En outre nos rapports avec le Consul général ne furent pas pour nous aider à la résoudre.
Tout de même, la plus grande faute, en réalité, eut été de douter de la justice de notre cause et de reconnaitre des abus, qui tolérés par nous auraient dès le début entièrement compromis notre affaire.
La prudence n’excluait par la fermeté. Nous allions nous en tenir à cette ligne de conduite.
Pendant mon séjour au Canada, Menier était entré en pourparlers avec des courtiers maritimes pour vendre son yacht la «Velléda» et avoir, à la place, si possible, un autre yacht plus important pour les voyages qu’il aurait à faire souvent désormais à l’île d’Anticosti.
La «Velléda» avait fait son temps, sa vitesse n’atteignait plus que neuf nœuds, le manque de communication intérieure entre l’arrière et l’avant, était un grave inconvénient, par gros temps, comme nous avions pu le voir, dans un coup de vent, dans la mer du Nord en face de Flessingue, où le feu, ayant pris dans les accastillages d’une chambre de l’arrière, nous eûmes toutes les peines du monde les lames balayant le pont , à avertir l’équipage et à communiquer avec l’avant pour qu’on vienne au secours.
Mieux valait le remplacer par un autre yacht si l’occasion se présentait.
JANVIER 1898
Nos étrennes, cette année, furent l’acquisition, par Henri Menier, du beau yacht la «Bacchante» ayant appartenu au prince Stroganoff, qui avait été construit dans les chantiers de la Clyde, en Angleterre.
La «Bacchante» était un trois mâts goélette de 1,200 tonnes, donnant en marche normale une vitesse de 12 nœuds à l’heure.
Ce bâtiment avait été établi spécialement pour des voyages dans les pays du nord, et même pour faire, à l’occasion, des expéditions polaires.
Sa coque était double, une première à l’intérieur en bois de teck et une seconde à l’extérieur en tôle d’acier, ce qui en faisait un navire capable d’affronter les icebergs et les ice fields, sans avoir à redouter les pressions que les parois des bateaux peuvent avoir à supporter lorsqu’ils sont pris dans les glaces.
La «Bacchante» pouvait naviguer au plus près du vent, avec sa forte voilure, sans sa machine, tous feux éteints. Sa distribution intérieure était des plus confortables. Six Cabines de maitre avec salles de bain, à l’arrière, grande salle à manger-fumoir sur le pont, une autre en dedans.
Communication entre l’arrière et l’avant le long des machines, par un couloir qui reliait les appartements avec la passerelle et l’avant. Grand pond spardeck de l’arrière à l’avant, deux chaloupes à vapeur et deux grandes yoles à quatre paires d’avirons, pour youyous.
La «Bacchante» avait un réfrigérateur à bord, où la température de -10 degrés pouvait être maintenue dans une partie, celle pour la conserve de la viande, alors que dans l’autre, réservée aux légumes, on maintenait seulement 0 degrés.
C’était un progrès considérable, en comparaison de ce que nous avions sur la «Velléda» où nous ne pouvions conserver qu’avec grand peine, et pour peu de jours seulement, quelques morceaux de glace, quand la chance nous permettait d’en trouver.
Deux pièces Hotchkiss à tir rapide de 47 mm. montées sur affût à crinoline permettaient de tirer des deux bords, soit avec des obus pleins ou des projectiles explosifs.
Les saluts étaient bien facilités par ces pièces à chargement rapide, en comparaison de celles de la «Velléda» dont la mise en batterie et le chargement nécessitaient un temps considérable.
Vingt quatre fusils Kronpatscheck, avec touts les munitions nécessaires, des revolvers, des haches d’abordage et des sabres complétaient l’armement.
Deux chaloupes à vapeur que nous emmenions, une très forte pouvait tirer un chalut d’une largeur de vergue de quatre mètres et portait à l’avant un canon harpon de gros calibre et le charbon nécessaire pour une journée de marche.
Avec un tel navire, nous pourrions faire face à toutes les éventualités.