Oscar Comettant est correspondant de Guerre pour le journal parisien Le Siècle dans la dispute Holstein-Schlewing du Danemark se défendant contre la Prusse et l’Autriche.
Copenhague, le 25 mars 1864
J’ai aujourd’hui une grosse nouvelle à vous donner.
Il y a deux jours, l’armée autrichienne a subitement quitté les positions qu’elle occupait autour de Fredericia, sans que les plus habiles stratégistes aient pu deviner la cause de ce mouvement tout à fait inexplicable.
Elle vient d’être découverte, mais le public l’ignore encore à Copenhague, les journaux de ce pays n’ayant paru ni hier ni aujourd’hui.
Voici le fait:
Tous les Hongrois appartenant à l’armée autrichienne, officiers et soldats, s’étaient concertés pour passer aux Danois, afin de combattre avec eux l’ennemi commun de leur nationalité.
Encore quelques heures et ce complot, dont la nouvelle ne peut manquer d’exciter en Europe une vive émotion, était mis à exécution.
Dès que le général Gablentz a eu connaissance de cette conspiration, il a jugé nécessaire de s’éloigner immédiatement de Fredericia.
Alors a commencé une instruction qui a eu pour résultat la condamnation à mort d’un certain nombre d’officiers et de soldats hongrois. Ce nombre, d’après une lettre particulière écrite par un officier danois arrivé ce soir à Copenhague, et que j’ai eu sous les yeux, ne s’élèverait pas à moins de trois cents.
Ce qu’il y a de certain, c’est que l’avant-dernière nuit et la nuit dernière on a entendu de sinistres feux de (illisible), qui ne peuvent être que l’exécution des sentences prononcées.
Les Hongrois ont compris le rôle odieux qu’on leur fait jouer.
Les Italiens enrôlés dans l’armée autrichienne ne tarderont pas à être pénétrés des mêmes sentiments. Puis viendra le tout des polonais du grand duché de Posen.
Alors, comme disait Talleyrand, ce sera peut-être pour les deux grandes puissances allemandes le commencement de la fin.
Les journaux allemands ne manqueront pas de s’inscrire en faux contre cette nouvelle d’une si haute portée, morale. Tous leurs démentis et toutes leurs déclamations ne feront rien contre le fait; or, le fait est vrai, et si je suis le premier à vous l’annoncer, on le répétera bientôt de toutes parts.
Les prussiens font de l’enthousiasme à froid pour donner le change à l’opinion sur le combat naval dont je vous ai fait connaître les détails. Ils disent que deux corvettes prussiennes ont eu à lutter contre cinq vaisseaux de l’armée danoise; c’est une erreur. Seule, la frégate la Seeland a soutenu le combat contre les deux corvettes prussiennes. Lorsque le vaisseau danois le (illisible) est accouru au bruit de la canonnade, déjà les corvettes rentraient dans la rade de Swinemunde, et il n’a pu tirer qu’une seule bordée.
J’ai vu des journaux allemands qui attribuent à la flotte prussienne tout l’honneur de ce combat en termes dignes de la proclamation adressée aux canonniers de Missunde. Toujours les amis imprudents!...
Le canon gronde toujours à Duppel, mais sans grand dommage pour les forts. On croit, d’après indices, que l’assaut est fixé pour mardi prochain. S’il en est ainsi, je vous dirai de visu comment se seront passées les choses, car je retourne à Sonderborg demain matin, à sept heures. De là, je compte suivant la marche des événements, ou revenir à Copenhague ou aller à Fredericia.