Oscar Comettant est correspondant de Guerre pour le journal parisien Le Siècle dans la dispute Holstein-Schlewing du Danemark se défendant contre la Prusse et l’Autriche.
Copenhague, le 20 avril 1864
Le deuil est dans tous les cœurs, et j’ai vu des hommes même pleurer silencieusement dans les rues.
Le Danemark est moins une nation qu’une grande famille. Tout le monde se connaît ici, et il n’est personne à Copenhague qui n’ait eu dans l’armée soit un fils, soit un frère, soit un cousin, soit un mari.
C’est un déchirant tableau de voir la foule émue des parents et des amis attendre sur le pont ou aux abords de la gare Korsr les transports de blessés qui arrivent de nuit et de jour à Copenhague, depuis la prise de Düppel.
Tous les détails que je vous ai donnés avant-hier se trouvent confirmés aujourd’hui, et je n’ai plus qu’à les compléter.
En vous disant que les armées alliées avaient fait des efforts extraordinaires pour réduire et vaincre la petite armée du Danemark, je n’avais rien exagéré. De l’avis des journaux allemands eux-mêmes, jamais la Prusse n’avait fait usage, dans aucune des grandes batailles de Napoléon 1er, d’une artillerie aussi puissante que celle qui a battu les forteresses de Düppel.
Le Weser-Zeitung convient que deux mille artilleurs ont été employés à bombarder la position dans ces derniers jours.
Si les Danois, à la fin du siège, n’étaient plus que des cibles vivantes qu’on pouvait viser et sur lesquelles on tirait à son aise, il était loin d’en être de même des austro-prussiens. Ceux-ci vivaient littéralement sous terre comme les taupes. Ils n’étaient déjà plus qu’à 250 pas de ce qui fut les bastions, que la fumée des canons, s’échappant de la terre comme des irruptions volcaniques, accusait seule leur présence.
Au reste, de près comme de loin. Ils ont toujours pris les mêmes précautions. La prudence, qui est la mère de la sûreté, a été l’inséparable compagne des prussiens dans ce long siège de Düppel. On ne saurait leur en faire un reproche, mais il est bon de le constater.
Dans la position qui était faite aux troupes danoises, on ne s’étonnera pas que leur humeur se fût assombrie dans ces derniers jours. Des régiments entiers se sont adressés à leur commandant pour le supplier de les conduire au lieu de servir de point de mire dans les tranchées.
Les soldats ont soutenu cette longue et dure épreuve du siège de Düppel de manière à s’attirer l’admiration de tous les peuples. Ils ne se faisaient point illusion; ils savaient bien que tôt ou tard il faudrait céder à la force; mais cette conviction ne les a pas découragés.
Jusqu’au dernier moment ils ont accompli leurs devoirs de soldat et de patriote avec un courage et un dévouement dignes de tous les éloges. Ils avaient contre eux les meilleurs soldats prussiens et des autrichiens qui se sont abattus à San-Marino, à Magenta et à Solferino.
Les autrichiens avaient été si bien battus à ces différents endroit, a dit le Berlingse... qu’à leur tour ils ont appris à battre les autres. Il faut ajouter que les allemands étaient quatre contre un, et qu’ils étaient armés des canons et des fusils que nous savons.
Néanmoins, et malgré leur si grande infériorité, les danois ont repoussé plusieurs fois l’ennemi sur différents points et occasionné des pertes sensibles aux prussiens, notamment devant le bastion no 6 et à la tête de pont.
Les danois ont pu sauver de leur matériel tout ce qui valait la peine d’être enlevé. Les vingt canons rayés qu’ils avaient à Düppel sont à Als, et il ne reste dans les mains des allemands que des canons hors de service, propres à être fendus pour faire des poêles et des lèchefrites.
Il est hors de doute que les austro-prussiens ont l’intention d’attaquer Als et de s’en emparer. Déjà sur le bastion no 10, ils ont élevé des batteries qui menacent une assez grande partie de l’île.
La conférence, reculée une dernière fois du 12 au 20 avril a permis aux armées alliées de se rendre maître de Düppel avant l’ouverture de cette assemblée. Le nouveau rôle apporté par la réunion du Congrès leur permettrait-il de s’emparer de l’île d’Als? Dans tous ces las, (illisible).
Il ne faut pas que les grands événements nous fassent oublier les petits traits d’héroïsme.
Dimanche dernier, dans l’après-midi, trois officiers danois avec seize soldats se sont rendus dans une île nommée Arnkiel, au nord du détroit de Als, et sont parvenus, après une lutte des plus vives, à enclouer deux pièces de canon.
Un journal de Hambourg attribue aux prussiens ce fait d’armes, dont l’honneur revient aux danois. Cela n’a rien d’étonnant pour qui connaît les journaux allemands.
Avant hier, eut lieu un armistice de quelques heures pour l’échange de morts. Trente cadavres d’officiers danois ont été rendus par les prussiens. On les avait dépouillé de leurs bottes, on avait coupé les galons de leur uniforme, on avait vidé leur poche, on avait enlevé les boutons de leurs habits et tout ce qu’ils avaient sur eux représentant une valeur quelconque.
Les gens qui ont bombardé Sonderborg, brûlé Kaer, Ronhave et tous les villages paisibles des bords de la côte d’Als, ne pouvaient pas agir autrement.
Pendant ce triste échange de morts, et le pavillon parlementaire flottait au-dessus de la tête de pont, les prussiens profitèrent de la circonstance pour s’avancer le plus possible de l’île d’Als, et tout examiner à leur guise. Le prince Frédéric-Charles était parmi les curieux lorsqu’une bombe éclata. Les allemands crurent que les danois violaient l’armistice et qu’ils recommencaient leur tir.
Instinctivement tous se jetèrent à plat ventre, y compris le prince, pour laisser passer l’orage. Il n’y eut point d’orage et les prussiens en furent quitte pour la peur. C’était tout simplement une bombe - une bombe allemande peut-être qui éclatait.