L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé, tome 2 |
Pages | 9 | |||||||||||||||||||
1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 18 | 19 | 20 | 21 |
22 | 23 | 24 | 25 | 26 | 27 | 28 | 29 | 30 | 31 | 32 | 33 | 34 | 35 | 36 | 37 | 38 | 39 | 40 | 41 | 42 |
CHAPITRE XI 1903-1904
Huitième campagne — Voyage de la Bacchante à l'île — Exploration des sources de Jupiter — Pêche au saumon — Mingan — La Pointe aux Esquimaux — Les Perroquets — Réception à Québec — Naufrage du Manchester Trader — Les boeufs Durham — M. Myard remplace M. Comettant — Retour en France
Nous quittâmes le Havre le 11 juin, avec la «Bacchante» ayant à bord, outre Menier et moi, le docteur Schmitt qui venait de passer sa licence ès-sciences à Paris, avec sa thèse sur la monographie de l'île d'Anticosti.
Le 20 juin nous étions par le travers du Cap Race, puis passions devant St-Pierre et Miquelon. Le lendemain, nous reconnaissions les îles de la Madeleine et venions mouiller le 22 à la Baie Ellis.
Après la réception habituelle, nous fîmes la visite des établissements. On poussait les travaux du quai qui maintenant était entièrement achevé et servait couramment au Savoy et à l'Alpha, pour charger et décharger.
La villa n'était pas suffisamment prête pour pouvoir nous recevoir, il fallait encore nous contenter de la maison Gamache.
Naturellement la «Bacchante» qui allait 16 pieds, dut mouiller au large, notre quai n'ayant que 12 pieds d'eau à marée basse.
Une vaste bâtisse avec premier étage (où avait été mis provisoirement un groupe électrogène et le matériel servant aux installations électriques) située près du canal, fut transportée jusqu'à l'endroit que nous avions réservé pour y installer la comptabilité et les bureaux de l'administration, c'est-à-dire devant le quai.
Nous amenâmes comme nous l'avions déjà fait à Ste-Claire avec nos plateformes et nos rails de la voie Decauville.
Nous complétèrent cette maison par des annexes pour les bureaux de la poste, du télégraphe et du téléphone, avec lesquels nos employés de l'administration communiquaient par un guichet, ce qui nous rendit de grands services.
Avec la facilité que l'on avait de remanier les habitations de bois, de ces éléments hétérogènes de constructions, nous fimes une maison pour l'administration, vaste, bien distribuée, de belle apparence et située au centre de nos établissements.
Le magasin de vente et l'entrepôt étaient très avancés. On achevait les ateliers mécaniques et la boulangerie, tous sur le front de mer.
La voie Decauville avait été posée de manière à relier tous nos établissements avec le quai et était parcourue par nos plateformes propulsées par une locomotive que nous venions de recevoir de France.
Nous partimes le 28 juin avec la «Bacchante» pour la baie au Renard où nous avions certaines questions importantes à régler à cause de l'absence de Daggett qui était souffrant, Mac Queen, le chef de la homarderie, assurait le service dans de bonnes conditions.
Nous en repartions par la côte est deux jours après pour nous arrêter à la homarderie de Goose Point, où nous pêchâmes à la ligne plusieurs flétans dont un pesant plus de deux cents livres.
Rentrés à Ellis, nous prîmes à bord, le colonel Wilson, Mr. Gibsone et le Dr Schmitt et partîmes de suite pour Jupiter, dont Menier désirait remonter le cours pour aller à la découverte de ses sources, inconnues jusqu'à ce jour
Nous y débarquâmes le 5 juillet et nous installâmes d'abord au pool des douze milles y laissant nos autres compagnons.
Puis nous partîmes pour l'excursion aux sources de la dite rivière, Menier, le docteur, et moi le 8 juillet à 5 heures du matin, avec quatre embarcations qui emportaient des vivres et tout ce qui nous était nécessaire pour camper en plein air plusieurs jours.
Dans cette première journée, nous passâmes les pools des 18, 20, 22, 24, 30, 32 et enfin 369 gilles où nous dressâmes nos tentes sur la rive droite dans un ravin encaissé avec une magnifique vue sur un très beau pool.
Mais le plus beau de tous était certainement celui des trente milles, où quantité de saumons n'avaient cessé de sauter hors de l'eau pendant notre passage, c'était aussi de beaucoup le plus profond.
Le lendemain le 9 juillet, dans la matinée, nous arrivâmes aux 45 milles où nous déjeunâmes. Les rives qui s'étaient toujours maintenues élevées, commencèrent à s'abaisser et nous entrâmes dans une vaste plaine.
La rivière se rétrécissant ensablement, nous naviguions entre deux rives de hautes herbes et de broussailles.
Le soir nous établîmes notre camp au mille cinquante, sur la rive droite.
Il y avait beaucoup de moustiques. Nous décidâmes de laisser deux de nos bateaux qui nous attendraient ici, ne pouvant les emmener tous et repartîmes le 10 juillet.
Le paysage changea entièrement, nous étions dans une forêt de très grands arbres qui parfois retrouvaient la rivière.
Beaucoup de canards et d'oiseaux sauvages dans les endroits découverts. Le chevalier aboyeur et les courlis nous poursuivaient sans répit pour annoncer notre arrivée dans tout le pays, par des cris discordants.
Le 11 juillet, nous atteignîmes un endroit où la rivière se séparait en deux. Un des bras était presque à sec. Nous débarquâmes et suivîmes celui-là pendant trois milles à pied et arrivâmes à un grand lac qui était certainement celui où la rivière commençait.
Il nous apparut que l'eau du lac se perdait au commencement de la rivière et passait sous terre, ce qui expliquerait l'assèchement de son lit.
Ce lac pouvait avoir plusieurs centaines d'hectares de superficie, de gros poissons sautaient constamment au milieu et plusieurs ours circulaient autour qui bientôt nous éventaient et disparaissaient. Beaucoup d'oiseaux sauvages
Nous regagnâmes nos embarcations et repartîmes visiter l'autre bras vif de la rivière qui était assez profond avec un courant très ralenti.
Vers le soir, probablement au soixantième mille, nous arrivâmes à une importante source avec grand bassin circulaire.
La rivière n'allait pas plus loin, c'était bien la source de Jupiter.
L'eau était glacée, et très profonde et bouillonnait au milieu. L'air en était tout rafraichi.
De beaux arbres l'ombrageaient. Nous campâmes là et enterrâmes au pied du plus gros arbre une bouteille où nous écrivîmes sur un papier au crayon indélébile, le jour de notre arrivée en cet endroit, ainsi que nos noms.
Le 12 juillet, nous commençâmes à redescendre. Un ours noir nous suivit un certain temps, mais disparut quand nous allions le tirer.
Étant partis de très bonne heure le matin, nous pûmes arriver au pool des trente milles pour déjeuner, à cause de la rapidité du courant de la rivière qui, par endroits était un véritable torrent.
Nous franchimes tout le reste de la distance dans l'après-midi et arrivâmes le soir même pour coucher aux douze milles, où nous retrouvâmes nos amis ainsi que MM. Georges Menier, Lucien Allèz et Rosselet, qui étaient arrivés par le Savoy en notre absence.
Le résultat de la pêche fut le suivant: quatre pêcheurs, douze jours de pêche, 84 saumons, moyenne 11 livres, le plus gros 25 livres.
Nous rentrâmes à la baie Ellis le 21 juillet.
Ayant été informés que les Pères Eudistes quittaient la France et avaient reçu du Pape la juridiction sur les îles Mingan, le Labrador et l'île d'Anticosti, considérant combien ces français (dont la principale occupation avait toujours été l'éducation de la jeunesse et la direction des collèges) pouvaient nous être utiles, nous décidâmes d'aller voir l'évêque des Eudistes, Mgr Blanche, qui résidait aux Sept-Iles depuis peu, et de nous entretenir avec lui pour essayer d'avoir un de ses missionnaires comme chapelain à l'île.
Nous embarquâmes le 25 juillet sur le Savoy laissant la «Bacchante» au repos, et arrivâmes l'après-midi aux Sept-Iles, où Menier exprima à Mgr Blanche le désir qu'il aurait d'avoir à l'île, comme chapelain, un des Pères Eudistes, car il considérait qu'il était du devoir des Français de s'entraider hors de France.
La difficulté était de faire partir Mgr Guay, qui était chez nous depuis un an, sans le froisser ni froisser l'évêque de Chicoutimi.
Nous pensâmes bien faire en laissant la chose aux soins de Mgr Blanche et il fut convenu qu'aussitôt à Paris, nous irions voir le supérieur des Eudistes, le Révérend Père le Doré, pour avoir son assentiment et son appui.
Nous nous rendîmes le lendemain à la Pointe aux Esquimaux, où je voulais faire la connaissance du docteur Tremblay, qui nous avait souvent été utile et aussi voir le campement des peaux rouges Montagnais et des Nescouapis qui étaient là de retour de leur voyage d'hiver où ils allaient à la Baie D'Hudson et en revenaient chaque année pour rapporter leurs fourrures.
Le docteur Tremblay nous fit visiter les campements des Indiens et nous expliqua la vie de ces nomades qui tous les automnes, après avoir fait une danse de guerre de quinze jours (selon lui pour exercer leur coeur et leurs muscles) partaient ensuite dans leurs traineaux, avec leurs femmes et leurs enfants.
Ils se mettaient en ligne sur un front d'une centaine de milles, se dirigeaient vers la baie d'Hudson, campant toutes les nuits dans la neige, posant leurs pièges le soir, les relevant le lendemain, séparant les peaux des animaux, repassant pour une nouvelle journée, chassant devant eux le gibier dont ils avaient le soin pour vivre, sans du reste en faire jamais aucun gaspillage, car ils étaient très économes.
Ils arrivaient ainsi vers le commencement de janvier à la baie d'Hudson, là après un court séjour, ils refaisaient en sens inverse le chemin qu'ils avaient parcouru en venant et rentraient ainsi au printemps à la pointe aux Esquimaux.
Avec les fourrures qu'ils rapportaient, ils achetaient au magasin de la baie d'Hudson, ce dont ils avaient besoin, troquant les fourrures contre des fusils, des munitions, des vivres, des couvertures, etc...
L'été se passait ensuite pour eux dans le repos absolu jusqu'à l'hiver.
Nous visitâmes l'île de Mingan et ensuite celle aux Perroquets avec son phare perdu dans la mer loin des côtes, et nous arrêtames à la Baie Ellis le temps de quitter le Savoy et d'embarquer sur la Bacchante.
Nous repartîmes de suite pour faire le tour de l'île en passant par le sud.
Nous visitâmes le marbre de la rivière Chicote qu'avait découvert le docteur Schmitt.
Ce marbre se disposait en assises puissantes au bord de la mer dans un endroit très sauvage où des quantités de loups marins étaient allongés au bord de l'eau sur leurs «échouries» et que notre arrivée dérangeait et faisait sauter à la mer du haut des rochers.
Pages | 9 | |||||||||||||||||||
1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 18 | 19 | 20 | 21 |
22 | 23 | 24 | 25 | 26 | 27 | 28 | 29 | 30 | 31 | 32 | 33 | 34 | 35 | 36 | 37 | 38 | 39 | 40 | 41 | 42 |