L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé, tome 2 |
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Nous rentrâmes avec le Savoy qui ramenait de la rivière Chicote le Docteur Schmitt.
Il avait trouvé des lits de marbre rose près de la mer, de trois pieds d'épaisseur, dont il rapportait des échantillons.
Les animaux sauvages que nous avions mis dans l'île prospéraient, surtout les cerfs de Virginie qu'on commençait à rencontrer un peu partout, et dont la reproduction avait été surprenante.
Un jour étant au bord du lac Plantin avec le docteur Schmitt, nous apercûmes un troupeau d'une dizaine de ces animaux, qui se jetaient dans l'eau et qui s'y baignaient à grand bruit.
Il nous sembla qu'ils se roulaient ainsi dans l'onde pour échapper aux piqûres des moustiques et cela nous donna à penser que si l'île contenait un plus grand nombre de bêtes sauvages, ce seraient elles peut-être et non nous qui seraient piquées et qui fourniraient à ces insectes le sang dont ils avaient besoin. Nous en serions d'autant soulagés.
Du reste, nous nous étions rendu compte cette année que les moustiques étaient beaucoup moins agressifs et semblaient être moins nombreux qu'avant.
Nous fûmes frappés par la coïncidence de l'augmentation de nos cerfs avec cette diminution certaine des moustiques. N'y avait-il pas une relation de cause à effet?
Le Dr. Schmitt se mit de suite à examiner cette question.
Déjà il avait étudié la génération du «cules pipiens» le maringouin d'ici, et avait observé qu'il hivernait dans des troncs d'arbre et ne reprenait son activité qu'aux premiers rayons du soleil. Seule, la femelle piquait, le mâle jamais .
Le cycle de reproduction se faisait en huit jours environ. La femelle pondait de 500 à 800 oeufs sur les petits radeaux qu'elle faisait et fixait à des herbes aquatiques à la surface des eaux stagnantes et de faible profondeur.
Des «pupes« en sortaient après quelques jours d'incubation et nageaient autour prenant leur nourriture sur le fond et revenant constamment respirer à la soufrage par deux petits tubes situés sur leur tête (c'était la raison qui faisait que le pétrole pénétrant dans ces appareils respiratoires les tuait par asphyxie, moyen de destruction que nous ne pouvions pas employer, comme dit plus haut, puis le cules sortait de son enveloppe transitoire, devenait un insecte, et prenait son vol.
Mais pourquoi le mâle ne piquait-il pas et seulement la femelle? Ce n'était donc pas le besoin de nourriture qui poussait la femelle à chercher un goutte de sang. Il nous sembla que la seule explication possible était le besoin de la reproduction.
L'hivernement forcé dans ces latitudes avait-il pour effet d'anémier le cules au point d'avoir besoin, même quand le mâle avait rempli sa fonction, de l'appoint vital du sang frais pour que les oeufs de la femelle soient féconds?
Cependant sous les autres latitudes, le «cules» n'hivernent pas et a pourtant besoin de sa goutte de sang.
Nous ne pouvions nous prononcer, mais peut-être la férocité de notre moustique (bien plus grande dans les pays froids qu'ailleurs) avait-elle sa cause dans ce supplément de vitalité donné après un long repos, et l'instinct génésique en était-il rendu plus puissant. Nous ne pûmes que le constater.
Le manque de porteurs de sang dans l'île, à part l'homme, était évident. L'ours, le renard, le loutre, la martre, ne pouvaient guère leur en donner, les uns ayant la peau trop épaisse, les autres se cachant dans l'eau ou sous terre.
Les oiseaux revêtus de plumes et constamment en mouvement ne pouvaient être une proie pour eux.
Comment pouvaient-ils non seulement vivre mais prospérer, comme, hélas, nous pouvions le constater à nos dépens?
La seule raison que nous pûmes trouver à cela, fut que la quantité de sang dont la femelle avait besoin était infime.
Elle ne piquait qu'une fois avant de procréer et se nourrissait ensuite comme le faisait le mâle du suc des plantes, de leurs fleurs, de leurs fruits.
Il suffisait qu'elle trouva un animal mort ou malade pour en extraire sa goute de sang. Un ours pouvait tomber d'une falaise et se blesser, d'autres pouvaient se battre et devenir leur proie, il en était de même pour les autres animaux de l'île.
Leur instinct génésique retrouvait donc l'essentiel pour se satisfaire.
Or, il est à constater que les êtres dont la vie est la plus dure et l'existence la plus difficile sont toujours les meilleurs reproducteurs.
C'est la défense de la nature contre la disparition de l'espèce, et c'était le cas à l'île, et l'explication de l'immense quantité des moustiques.
Inversement, les êtres les plus favorisés, vivant dans la quiétude et l'abondance sont de faibles reproducteurs qui n'ayant pas à lutter pour l'existence sont de faibles reproducteurs qui n'ayant pas à lutter pour l'exigence se reproduisent de moins en moins, jusqu'à disparaître en partie.
Ne pouvait-on en conclure que si nous fournissions aux femelles une grande quantité de sang, leur impériaux besoin de reproduction diminuerait et leur fécondité disparaîtrait.
La quantité d'oeufs serait moins grande, la race perdrait de sa vigueur et peu à peu nos relations réciproques avec les moustiques s'achemineraient-elles pas vers un «modus vivendi» possible dont nous pourrions et devrions nous contenter, la perfection n'étant guère de ce monde?
Pourquoi vouloir détruire le moustique, n'existe-t-il pas partout? Détruit-on la mouche, le rat, le serpent? Tous les êtres, même ceux qui semblent les plus indésirables ont leur raison d'être, que nous connaissons ou que nous ne connaissons pas.
Tous ont un rôle à remplir dans la nature, le tout est qu'ils restent à la place qui doit leur revenir et n'envahissent pas celle qui revient aux autres.
La nature a une règle qu'on ne peut enfreindre et qui gère les rapports des êtres vivants.
Certains doivent servir aux autres, être leur nourriture et leur proie, c'est l'image de la vie.
Il faut des forts et des faibles, des beaux et des laids, des intelligents, d'autres moins, certains plus petits, d'autres grands.
C'est la balance de l'existence dont les plus plateaux doivent s'équilibrer.
Si cet équilibre est rompu, la catastrophe est imminente. Or, c'était notre cas. Il n'y avait pas dans l'île les animaux qui normalement auraient dû y être, comment ce phénomène s'était-il produit?
Nous pensâmes en avoir trouvé l'explication dans les origines de la venue de l'home sur l'île dans les temps reculés.
Les sauvages dans ces temps éloignés qui les premiers étaient débarqués à l'île, y trouvèrent certainement tous les animaux qui existaient au Canada.
Des restes de ces animaux découverts par nous, nous l'ont démontrés.
L'orignal, le caribou, le boeuf musqué, le buffalo, le daim, le lièvre, et bien d'autres y abondaient et naturellement, l'homme se mit à en faire la chasse.
Pour l'aider dans leur capture, le sauvage avait amené le chien avec lui.
Cette chasse se continua jusqu'à ce que le gibier diminuant elle devint improductive et alors l'indigène quitta l'île, n'ayant plus de possibilité d'y vivre.
Mais avait-il emmené avec lui le chien qu'il avait importé avant dans l'île, qui pratiquement dans ces temps était le loup.
Il est certain que beaucoup restèrent, prirent le bois et continuèrent à pourchasser les animaux dont ils se nourrissaient.
Puis, peu à peu, le gibier se fit rare, et finit par disparaître complètement.
Alors le loup mourut de faim et disparut à son tour. Voilà pourquoi il n'y avait pas de loups dans l'île, ni de gibier quand nous y vinmes.
Voici aussi la raison qui avait rompu l'équilibre dans la «balance de la vie» et provoqué l'invasion des moustiques. Pour revenir à la vie normale, il nous fallait rétablir et équilibre en mettant dans l'île de tous les animaux qui originairement devaient y être.
Nous étions remarquablement favorisé pour entreprendre le repeuplement de ce vaste territoire.
Sa situation d'île qui l'hiver ne communiquait pas avec la terre ferme était unique.
Aurions-nous été comme l'île du Cap Breton ou du Prince-Édouard, ou les Mingan ou toutes celles du Golfe et du St.-Laurent, que notre entreprise fut demeurée inopérante, car le loup aurait toujours traversé chez-nous sur la glace et tous les animaux que nous aurions mis auraient disparu au fur et à mesure de leur introduction.
Nous allions nous mettre à activer le repeuplement du gibier. Mais ne fallait-il pas avant faire disparaître les chiens existants à l'île, qui allaient bientôt trouver dans le bois une nourriture nouvelle?
Ils pourraient s'échapper, redevenir loups, auquel cas tout serait à nouveau compromis. Nous avions à étudier aussi cette question.
Le 29 juillet, le Savoy pour la première fois put accoster le quai à la baie Ellis, enfin achevé et y éteindre ses feux, gros événement pour nous.
À marée haute, il restait au Savoy deux pieds d'eau sous la quille. Nous allions continuer ce quai pour qu'un autre navire de tonnage égal puisse venir aussi s'y amarrer, ce qui nécessitait six nouveaux grands caissons à immerger.
Nos essais de chaux grasse et hydraulique avaient très bien réussi et nous faisions maintenant tous les soubassements de nos nouvelles constructions avec notre chaux hydraulique, que l'ingénieur du Gouvernement avait trouvée excellente.
Elle prenait sous l'eau en quelques jours. Elle devait être de vente facile au Canada, où elle était inconnue et où on construisait les soubassements des maisons avec du ciment bâtard, mélange de ciment et de chaux grasse qui ne valait rien.
La chaux hydraulique résistant aux froids les plus extrêmes en climat canadien devrait remplacer le ciment pour les fondations et les soubassements des habitations.
Nous pourrions en produire à l'île en abondance, la roche étant de l'argile calcaire qui, cuite produit de la chaux blanche (grasse) dont les parties jaunes et lourdes sont de la chaux hydraulique après broyage à la meule ordinaire.
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