L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé, tome 2 |
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CHAPITRE XXI 1914-1926
Arrêt du développement et supression des travaux — La guerre — La défense de l'île — Vente des navires du service forestier — Départ de Mr. G. F. Gibsone, de Mr. Eshbaugh et de M. Malouin — Arrêt du moulin des écorcheurs — Résultats de la pêche au saumon à Jupîter — Répression du braconnage — Les rennes — Le mazout — Pourpalers pour la vente de l'île — Vente d'Anticosti — Fin
Le développement de l'île étant arrêté, j'interromps le journal et vais résumer les faits notoires qui se sont passés à Anticosti depuis 1914 jusqu'à la vente de l'île qui eut lieu en 1926.
Mon but désormais était de trouver un acquéreur, et pour cela comme dit plus haut, je m'efforçai de ne pas laisser perdre ce que nous avions fait et de conserver à Anticosti sa valeur intrinsèque, en m'appliquant à améliorer les choses dans la mesure du possible.
Cette année, 1914, Gaston Menier vint me rejoindre à l'île où je m'étais rendu comme de coutume.
Nos contrats de vente du bois ne seraient pas renouvelés et nous allions encore pendant deux ans faire fonctionner le moulin des écorceurs pour livrer le bois d'après nos engagements.
Nous avions commencé aux embouchures des principales rivières, la construction de bungalows pour les louer aux amateurs de la pêche au saumon, et j'obtins de les terminer car tout le bois nécessaire à leur construction était déjà approvisionné.
Puis, le moulin à scie fut fermé.
Le 2 août, la guerre était déclarée et Menier regagna la France.
Je restai quelques jours après son départ pour régler la situation du personnel.
Beaucoup de nos gens partirent pour faire leur devoir de Français ou d'Anglais, car l'Angleterre s'était déclarée en faveur de la France.
J'eus à assurer ces départs d'abord pour nos concitoyens et nos alliés et laissai les citoyens des autres nations s'en charger eux-mêmes, ce qu'ils firent du reste avec un empressement modéré, je parle des quelques Allemands et Autrichiens qui étaient dans nos équipes.
La décision de mettre l'île en sommeil simplifia considérablement la situation.
Je donnai les instructions à Mr. Malouin et aux chefs de service pour l'entretien de tout le matériel et les réparations à faire nécessaires à la conservation des bâtiments, de l'outillage, des routes, du chemin de fer.
Je réglai les voyages du «Savoy» qui devait continuer son service régulier avec Québec, ce dont le capitaine Pelletier s'acquitta dans les meilleures conditions, étant données sa capacité et son activité.
Comme j'avais depuis longtemps dans nos réunions des chefs de service exposé à chacun le but que nous poursuivions et que nous devions nous efforcer d'atteindre. (Je parle antérieurement à la décision de mettre l'île en sommeil)
Il en résulta que tous n'eurent aucune difficulté à régler le service de leurs départements respectifs, maintenant qu'il ne restait plus qu'à tout restreindre, sans avoir à rien innover.
C'était une machine à faire fonctionner au ralenti, et dans des conditions d'autant plus faciles qu'on en connaissait le plein fonctionnement, et toutes les possibilités économiques.
Seulement, nos meilleurs employés qui comptaient sur le développement futur de l'île et que j'avais depuis le début entretenus dans cette idée, eurent une grande déception de l'arrêt de nos travaux.
Eux s'intéressaient à nos expériences et à nos ouvrages, y avaient foi, y avaient donné tous leurs efforts, et s'attendaient à une autre récompense de leur activité et de leur persévérance.
Ils ne pouvaient comprendre la raison qui nous faisait abandonner tout, lorsque le succès était en vue ét que nous allions infailliblement l'atteindre.
Beaucoup et des meilleurs me dirent qu'à l'avenir dès qu'ils auraient trouvé une autre situation, ils nous quitteraient, et que nous ne devions plus compter sur eux.
Considérant que dans ces conditions, il était inutile que je reste plus longtemps à l'île, puisque chacun savait ce qu'il avait à faire et que même si la guerre devait durer plus d'un an ou deux ans, je pourrais tout aussi bien assurer la direction de l'île, sans y aller personnellement, je décidai de partir pour m'engager dans l'Armée française où j'avais le grade de capitaine d'artillerie (de réserve) et dont je venais d'être mis hors cadre.
Je demanderais ma réintégration.
Tout étant ainsi réglé à l'île, je partis pour Québec le 5 août et je m'embarquai le 17 sur l'Empress of Britain avec nos amis, MM. De Lesseps, de Vallombrose et Thierry Malet qui allaient rejoindre leurs régiments. Le 15 nous étions à Liverpool et rentrions en France par Boulogne.
La guerre dura plus longtemps que nous le pensions. Pendant toute sa durée, je pus toujours être tenu au courant de ce qui se passait à l'île, et la diriger effectivement, soit d'abord de Londres où je fus envoyé comme adjoint à l'attaché militaire, le Colonel de La Panouse, soit à l'expédition des Dardanelles, soit à l'armée d'Orient d'où je fus rapatrié en 1917 et mis en congé de convalescence pour six mois, avec autorisation pendant ce temps de retourner au Canada.
Je me rendis d'abord à Québec, d'où Mr. Gibsone était parti le 27 décembre 1916 comme major dans l'armée anglaise, l'agence étant gérée par notre ami Albert Peters.
Le 1er juin 1917, j'étais de nouveau à Anticosti où bien des déboires m'attendaient ainsi que je le dirai plus loin
La famille Menier pendant la guerre eut un rôle éminent.
Le château de Chenonceaux fut mis à la disposition de l'armée comme hôpital bénévole et nombreux furent les Anglais et les Américains qui y furent hospitalisés sous la direction de M. et Mme Georges Menier qui en assurèrent le service.
Le 27 mai 1917, Mme Georges Menier recevait la médaille des épidémies et le 16 juillet, la médaille de vermeil des hôpitaux militaires en récompense de son dévouement et de son zèle.
Dès le début de la guerre, M. Jacques Menier fils de Gaston Menier parti pour le front et s'engagea dans l'aviation de bombardement, à la fin de 1917 il était cité à l'ordre du jour de l'armée suivant:
«Jacques Menier (sergent de réserve), au 3ème groupe d'aviation, pilote aviateur; excellent pilote de chasse, brave, adroit, ayant la plus haute conception de son devoir, revenu souvent avec un avion criblé de balles et d'éclats.
Le 20 août 1917, après une lutte très dure, rentré au terrain avec un avion endommagé par les balles est reparti sur un autre appareil et a livré un nouveau combat au cour duquel, il fut aux prises avec 6 appareils ennemis.
A mis hors de combat deux de ses adversaire, tandis que lui-même blessé à la nuque, grièvement brûlé par son avion mis en flammes, tombait dans les lignes allemandes après avoir épuisé toutes ses munitions et combattu jusqu'au bout.
Est rentré en France en octobre 1918, encore défiguré et non guéri de ses blessures - médaille militaire»
À Anticosti, nos «Princeton boys» nous avaient quitté pour s'engager dans l'armée américaine et plusieurs d'entre eux furent tués en France ou blessés.
La disparition de ces excellents aides du service forestiers fut vivement regrettée de tous.
Les navires que nous avions en «charte partie» furent vendus aussitôt que la dernière livraison de bois fut faite et le moulin des écorceurs fermé.
Nous pûmes alors nous rendre compte de l'erreur qui avait été commise en renonçant à notre fabrique de pulpe chimique et à celle du ciment.
La pulpe en 1915 (époque où nos usines auraient été en plein fonctionnement si Gaston Menier en avait accepté la construction) qui avant était au prix de 36 dollars la tonne, monta à 50, à 100, à 250, à 300 dollars, et cela pendant 6 ans encore.
Les salaire étaient restés les mêmes qu'en 1914.
En calculant à 200 dollars, les bénéfices perdus chaque année sur 20,000 tonnes, c'était une somme annuelle de 6 millions de dollars qui aurait du rentrer dans notre caisse et cela pendant 6 ans.
Il en fut de même de l'usine de ciment qui aurait également donné des bénéfices, moins importantes peut-être, mais cependant considérables.
Mr. W. H. Eshbaugh devant de désastre nous quitta.
Il en fut de même de M. Malouin. Je pus heureusement remplacer cet excellent homme par le Capitaine Pelletier qui me rendait tous les services possibles.
Le Savoy fut commandé par M. Caron, excellent marin, second du capitaine Pelletier qu'il remplaça.
Mais la perte qui me fut la plus sensible fut celle de Mr. G.G. Gibsone qui nous donna sa démission.
Il avait été mon collaborateur dévoué et éclairé depuis 20 ans
C'était grâce à ses conseils et sa capacité personnelle, que nous avions réglé l'affaire des «Squatters» et toutes celles qui s'étaient présentées ensuite.
Mais devant l'abandon véritable de l'île et de toutes les espérances que nous envisagions et auxquelles il fallait renoncer, il préféra accepter la situation de juge à la Cour de Québec qui lui fut de suite offerte par le Gouvernement, désireux d'utiliser ses facultés remarquables et je fus d'accord avec lui qu'il ne pouvait agir autrement.
Il fut remplacé par un des employés supérieurs de la maison de fourrures Révillon de Montréal, M. D'Aigneaux, un français qui avait fait bravement son devoir pendant la guerre et qui était très au courant des affaires du Canada.
En arrivant à Anticosti en juin 1917, les gardes m'informèrent que plusieurs sous-marins allemands avaient été vus près de l'île.
D'où la crainte que tous les habitants avaient d'être attaqués à la baie Ellis, sans aucun moyen de nos défendre.
Le danger était grand, En effet sauf nos gardes qui n'avaient que leurs rifles, personne en dehors de moi n'avait de fusils et qu'auraient pu faire nos 30 gardes, si un sous-marin venait à Port-Menier?
Il se serait rendu maitre en un instant du port, ses occupants se seraient emparés de nos magasins, de nos approvisionnements en vivres, charbon et pétrole.
Ils auraient eu à leur disposition l'hôtel et nos vastes camps, ainsi que nos ateliers mécaniques, les quais, le chemin de fer, etc...
Ils auraient pu faire chez-nous une base de sous-marins et bloquer entièrement la navigation du Golfe et du St-Laurent, Québec et Montréal auraient été embouteillés.
J'eux à ce sujet plusieurs entretiens avec Sir Lomer Gouin et Sir Charles FitzPatrick, mais quoique très en faveur de me charger de la défense de l'île, ils ne me donnèrent pas de réponse cette année.
L'année suivante, en 1918, la situation devenait encore plus grave, et le Capitaine Stuart commandant le croiseur le «Canada» étant venu me voir, confirma mes craintes.
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