L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé, tome 2 |
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Pendant ce temps, la chaloupe à vapeur et le capitaine avaient trainé le chalut et fait une pêche merveilleuse de très belles crevettes et de coquilles St-Jacques, ce qui surprit les pêcheurs de l'endroit.
C'était en effet la première fois qu'on pêchait au chalut dans le golfe et aucun n'avait jamais vu de coquilles St-Jacques. Cette pêche au chalut serait à essayer à l'île.
Après quelques jours à Québec, nous partîmes avec le Bacchante pour Montréal où nous eûmes plusieurs entrevues à la Banque de Montréal avec les directeurs: Sir Edward Clouston, Mr. Meredith et Mr. Cockburn.
Mr. James Clarke exposa le projet d'association projeté et la Banque de Montréal fut d'accord pour s'intéresser éventuellement à cet arrangement.
Après réception chez Mr. Van Horn, directeur du C.P.R. (Canadian Pacific Railway) et une réception du Juge Ouimet au St-James Club, nous partîmes pour New-York où accompagnés de Mr. Clarke et de Mr. Newcombe, nos visitâmes la fabrique de papier du Bush Terminal, qui s'achevait.
Mr. Newcombe avait un traité avec le «New York Herald» pour la fourniture du papier nécessaire à ce journal, qui suffisait à occuper l'usine pendant l'année entière.
Nous nous quittâmes alors avec promesse de nous revoir à Paris où l'affaire pourrait être étudiée cet hiver.
Avec Mr. Eshbaugh, nous nous rendîmes chez nos acheteurs de bois à Oswego, où Mr. Webb et Mr. Hunter, les directeurs de la Cie «Battle Island» nous firent visiter leur usine de sulfite à laquelle nous fournissions notre bois.
La qualité du bois d'Anticosti était très appréciée et sur cette assurance, je pris sur moi de dire que presque tout le bois que nous avions livré n'était que du sapin et non du spruce.
Ils en furent surpris, mais comme notre contrat nous obligeait à ne livrer que du bois écorcé, et qu'il était impossible de distinguer notre bois écorcé d'avec le spruce et que comme dit plus haut, la pulpe faite était d'excellente qualité, ils n'eurent aucune objection, au contrat, et à la livraison de notre sapin au lieu de spruce.
De retour à Montréal, nous repartîmes sur la Bacchante et visitâmes Trois-Rivières, les usines de la Cie «Wayagamac», puis à Grand-mère, celle de la Cie des Laurentides, enfin une dernière aux chutes de Shawinigan.
Des réceptions nous retinrent quelques jours à Québec pour les cérémonies de l'assermentation du duc de Connaught, où nous fûmes les hôtes de son Excellence Lord Grey.
Nous étions de retour à Anticosti le 16 octobre, le 28 la neige commença à tomber et Menier hâta le départ ayant pu s'assurer que tous nos chargement de navires de pulpe étaient faits, et les dernières instruction données, nos partîmes pour le Havre sur la Bacchante.
Le 1er novembre, ayant passé le détroit de Belle-Isle, et navigué parmi les icebergs par un froid d'hiver, nous trouvâmes au large de Terre-Neuve, une grosse houle venant du sud-ouest, le baromètre qui était à 750 en quelques heures tomba à 730 dans la matinée, le navire roulant bord sur bord.
Je monte dès l'aube sur la passerelle, la mer n'était qu'une écume, le pont entièrement balayé de l'arrière à l'avant par de lames énormes et le capitaine me dit que nous prenions un cyclone vent arrière.
Il fallait venir coûte que coûte debout au vent pour prendre la cape.
Mais il était déjà trop tard et plusieurs essais que nous fimes pour venir au vent durent être abandonnés, le navire ayant été en péril pris sur le côté par les lames en virant de bord.
Les claires voies sur le pont furent fermées et garnies de toiles fixées avec des coins en bois, les dalots du pont ouverts pour laisser le pont se vider.
Le pont entièrement condamné, heureusement un couloir intérieur faisait communiquer l'arrière avec l'avant car seule la passerelle sortait de l'eau et tout homme s'aventurant sur le pont, eut été enlevé par la mer.
De la passerelle, nous vîmes partir à la mer nos deux yoles, toutes les cages qui étaient sur le pont contenant des renards argentés, des lièvres arctiques et un ours vivant, tout fut balayé, le bout dehors de clinfoc partit à son tour, puis le mat de misaine et la flèche d'artimon.
Heureusement les haubans cédèrent et ne retinrent pas les agrès contre le bâtiment, car il aurait fallu risquer la vie des hommes pour les couper pour éviter qu'ils revinssent contre la coque dans les coups de roulis.
Les haubans étaient en acier et il aurait fallu la dynamite pour les couper.
Dans la journée, le baromètre tomba à 724. Les embardées étaient de plusieurs quarts sur chaque bord, toutes les pompes en action parvenaient à peine à éviter que l'eau n'éteigne les feux dans la chaufferie.
Les barreaux de grille étaient presque atteints, le bâtiment faisait de l'eau comme un panier, il y avait plus de 30 c. dans les appartements et les pompes suffisaient juste. Si un clapet s'était engorgé, nous allions par le fond.
Le lendemain, le vent cessa subitement, nous passions dans le centre du cyclone, les lames s'élevaient perpendiculairement tout autour et soulevaient en passant sous la quille, la Bachante sous des angles inquiétants.
Dans la soirée, le vent reprit, cette fois de l'est, mais la mer était démontée venant de tous les bords et la coque commençait à souffrir.
Cette tempête dura trois jours et je crois que la Bacchante avec sa double coque en acier et en teck, sa construction ultra forte, ses cloisons étanches, était le seul yacht à flot dans le monde à avoir pu supporter un tel ouragan.
Enfin, le 9 novembre, nous rentrions au Havre, sains et saufs et la Bacchante entrait au bassin pour y faire ses réparations.
De l'avis du bureau de la Marine, ce cyclone était le plus fort vu sur l'Atlantique depuis plus de vingt ans.
Pendant l'hiver, nous nous occupâmes du contrat à passer avec la «Battle Island Co» pour la livraison l'an prochain, de 40,000 cordes de bois écorcé.
Pour diminuer les frais, Mr. Eshbaugh soumit un projet de location de tracteurs sur neige pour le transport du bois.
Ces tracteurs avaient été utilisés avec succès au Lac St-Jean.
Ils nous seraient très utiles pour aller prendre le bois de chaque côté de la voie du chemin de fer en allant à de grandes distances, ce que les traineaux à chevaux ne pouvaient pas faire.
Cela serait une économie sur la longueur de la voie à construire chaque année.
Ces tracteurs très puissants pouvaient remorquer jusqu'à huit plateformes sur patins qui pouvaient chacune prendre 10 cordes de bois.
Pour faire passer ces convois, il suffisait d'abattre les arbres en les coupant au ras de terre, on n'avait pas à niveler le terrain, la neige les ayant recouverts de deux à trois pieds en faisant d'abord passer un rouleau qui écrasait la surface et la rendait suffisamment solide pour que les tracteurs puissent passer.
Toutes les pentes ne dépassant pas 10 c. par 100 m. pouvaient être gravies.
Dans certains cas, la voie pouvait être très améliorée en arrosant la surface de la neige déjà aplatie avec de l'eau qui en se congelant en faisait une véritable glace. Ce projet fut adopté.
Mr. Eshbaugh proposait également de faire un contrat en charte partie avec une Compagnie maritime pour la location de deux navires de 2500 tonnes pour le transport du bois aux moulins avec lesquels nous avions traité.
Il était prévu dans le contrat un prix de vente éventuel pour l'achat des dits navires, au cas où nous aurions désiré en faire l'acquisition.
Menier accepta également cette proposition.
Nous eûmes de nombreuses conférences avec le sollicitor Canadien, Mr. S.C. Archibald, expert dans toutes les questions commerciales américaines, avec lequel furent étudiées les conditions d'un arrangement avec Mr. James Clarke pour la formation d'une Société Menier-Clarke pour l'exploitation du bois d'Anticosti, la construction d'une usine de pulpe chimique au sulfite avec le concours du moulin de pulpe mécanique de Clarke-City, et la fabrique de papier de Mr. Newcombe au Bush Terminal.
Les idées principales de l'arrangement à intervenir furent définies.
L'arrangement ne pouvait se faire que sur des bases préliminaires, car notre contrat de bois ne nous permettait pas la formation pour 1912 d'une telle société.
Mais Mr. Clarke ayant manifesté l'intention de venir en France s'entendre avec M. Menier, il convenait d'être prêt pour pouvoir en discuter les conditions.
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