L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé, tome 2 |
Pages | 3 | |||||||||||||||||||
1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 18 | 19 | 20 | 21 |
22 | 23 | 24 | 25 | 26 | 27 | 28 | 29 | 30 | 31 | 32 | 33 | 34 | 35 | 36 | 37 | 38 | 39 | 40 | 41 | 42 |
Ces pêcheurs seraient logés dans un grand camp pour cette pêche spéciale de la boëtte, qui ensuite serait distribuée à tous autour de l'île.
Les autres pêcheurs vivants deux par deux auraient leurs postes de pêche répartis de la baie au Renard jusqu'à «Chaloupe Creck» sur la côte Est de l'île.
L'«Alpha» irait d'un poste à l'autre recueillir les homards vivants dans des caisses construites exprès pour les transporter à la homarderie et distribueraient la boêtte.
Chaque poste de deux hommes aurait deux embarcations, vingt trappes à homards et les caisses de réserve pour les conserver.
Les pêcheurs autour de l'île seraient au nombre de deux cents. À la homarderie nous aurions quarante hommes et trente femmes.
C'était une grosse exploitation que nous allions entreprendre, mais l'endroit en valait la peine, le homard s'y trouvait en abondance et nous étions menacés de perdre le bénéfice d'être les seuls à avoir la licence de la pêche autour de l'île pour prise de homards, si nous ne faisions pas cette exploitation.
Les réclamations de pêcheurs du golfe, devant la négligence du propriétaire ne tirant pas parti d'un telle richesse, obligerait le Gouvernement à nous enlever et à leur donner ce droit de pêche.
J'avais été prévenu à Ottawa de cette éventualité, le cas échéant.
À la pointe Est qui était un excellent endroit pour pêcher la morue et le flétan, nous établirions aussi un camp pour cette pêche et salerions ces poissons au lieu de les sécher, la morue verte ayant un meilleur prix que la morue sèche qui n'était vendue qu'aux Antilles sous le nom de «Baccalac» et n'était achetée que par les nègres.
Je convins avec Doggett qu'il se tiendrait prêt à partir pour Paris au premier signal, et que d'ici là il se procurerait toute la documentation possible pour cette exploitation nouvelle afin que je puisse en soumettre tous les détails à Henri Menier qui dans les affaires commerciales, où il avait une grande compétence, aimait à se rendre compte des choses par lui-même et à tout diriger personnellement.
Avant de quitter la baie au Renard, pour effacer le souvenir des «Squatters», je fis mettre le feu à toutes les maisons et aux cabanes qu'ils avaient élevées sur le pourtour de la baie, et bien entendu aux meilleurs endroits.
Je fis cela pour nettoyer le terrain dont nous aurions besoin pour faire nos constructions à l'avenir (car les «Squatters» avaient laissé leurs demeures ainsi que les alentours dans un état de saleté repoussante) et surtout leur enlever à jamais l'idée de revenir.
Enfin, de retour à la Baie Ellis, ayant donné mes instructions sur les travaux à faire pendant mon absence et durant l'hiver, je partis pour Québec.
Je travaillai là avec MM. Gibsone et Levasseur. Stubbert était toujours en prison, et cette fois personne n'avait fourni caution pour lui.
J'expliquai comment j'avais été obligé à Goose-Point de faire déguerpir ses fils en mettant le feu aux bâtiments de leur installation de pêche au homard.
Mon action était entièrement légale, ces gens n'ayant aucune occupation d'un an. De plus ils avaient pris le bois de l'île pour faire leurs constructions, et avaient emporté tous leurs effets personnels avec eux. Dans ces conditions ils n'avaient aucune réclamation à faire valoir. J'avais agi dans la stricte limite de nos droits.
Le 20 août 1901, je m'embarquai pour gagner du temps à Québec au lieu de New-York comme j'avais l'habitude de le faire, et pris passage sur l'Empress of Ireland de la Compagnie du Canadian Pacific.
Huit jours après je débarquais à Cherbourg. Le lendemain, j'était à Paris.
Je trouvai Henri Menier impatient de me voir et d'avoir des détails sur la fin de notre affaire des «Squatters».
Je le mis au courant de tout, lui exposai l'organisation que j'avais étudiée pour la homarderie de la baie au Renard.
Il fut d'avis de télégraphier au Capitaine Doggett pour qu'il vienne de suite.
Dans le délai minimum, Doggett arriva à Paris et après de longs entretiens où le projet de la homarderie fut étudié dans tous les détails, Menier décida de la faire construire.
Doggett avait apporté les plans du navire l'Alpha. C'était un solide petit bâtiment en première cote du Lloyd de 20 tx. muni de crampons e remorque, d'un fort guindeau pouvant lever de gros poids sur l'avant, avec un espace au milieu pour recevoir les caisses, les filets et les agrès de pêche qu'il aurait à transporter.
Son patron le Capitaine Innès était bien connu de Dogget qui l'avait employé plusieurs années.
Il le garantissait comme un marin consommé, connaissant bien la navigation dans tout le golfe du St-Laurent, et étant capable même de faire une expédition polaire.
La vitesse de l'Alpha était de 8 noeuds, il ne calait que 6 pieds, ce qui était indispensable pour la navigation côtière qu'il aurait à faire, devant accoster constamment en rade foraine où il ne trouverait pas de fond.
Son équipage patron compris se composait de deux chauffeurs, d'un matelot et d'un mousse, le patron et tous donnant la main aux manoeuvres.
Un câble fut envoyé pour en faire l'acquisition. Il devrait être rendu à l'île aussitôt que les glaces lui permettraient d'y aller.
Les échantillons des boites de conserves du type Bliss à fond embouti et à double sertissage comme fermeture évitant la soudure, furent trouvés bons et adoptés ainsi que les machines Bliss pour les faire, mais la qualité de l'étain recouvrant le fer devait être tout à fait exceptionnelle, car si elle ne l'était pas, l'emboutissage se faisant par une très forte friction pouvait produire un décapage de l'étain et un arrachements qui pourrait causer la rouille du fer blanc ainsi mis à nu.
Nous étudiâmes aussi un autre procédé qui avait donné de bons résultats au Cap pour les conserves de langoustes.
C'était celui des boites en verre dont l'étanchéité était obtenue par un ciment en caoutchouc, le vide intérieur produit par la cuisson suffisant à maintenir le couvercle en place.
Ce procédé fut trouvé trop fragile et sa découverte trop récente pour nous donner une suffisante sécurité.
Doggett partit pour le Canada, tout étant d'accord.
Il allait se mettre au travail aussitôt arrivé.
1901
L'affaire des «Squatters» proprement dite était terminée, mais il restait celle du Révérend Griffith qui agitait de plus en plus l'opinion, d'autant que nous sentant dans notre droit, nous ne faisions aucun effort pécuniaire pour nous la concilier.
Sir Wilfrid m'avait conseillé d'aller à Londres pour exposer la situation au Conseil Privé et mettre fin aux nouvelles tendancieuses qui maintenant commençaient à se répandre partout.
Le départ des «Squatters» n'avait rien a rangé, on alléguait maintenant que Menier avait été chargé par le Gouvernement Français de faire d'Anticosti un dépôt d'approvisionnement de matériel de guerre et d'artillerie qu'on débarquait nuitamment dans l'île et qui était dissimulé dans les casernantes creusées dans les dunes ou cachées dans la forêt où personne n'avait le droit de pénétrer.
Cela dans l'éventualité d'une guerre que voulait faire la France à l'Angleterre pour reprendre le Canada.
Les «Squatters» étant les seuls anglais dans l'île, nous les chassions pour éviter leur surveillance.
Leur conseil était certain de ce qu'il avançait, tout cela était prouvé, était vu, on pouvait localiser les endroits où ces dépôts avaient été faits et principalement à la Baie Ste-Claire, ces casemates étant même visibles de la mer pour les navires passant au large tellement notre sécurité était absolue.
Une telle campagne pouvait sembler puérile, mais une partie de la population du Canada et de l'Angleterre y attachait foi et sommait le Gouvernement britannique d'avoir à agir conre nous sans retard et d'expulser enfin tous ces Français indésirables du Canada.
Henri Menier fit une demande au Gouvernement Anglais, exprimant son désir d'avoir une explication pour se justifier de ces accusations, et demanda que je vins moi-même (qui était au courant de tout et responsable de ce qui s'était fait depuis le début à l'île) pour exposer la situation au Gouvernement anglais et répondre aux accusations dont nous étions l'objet.
Le haut Commissaire pour le Canada, Lord Strathcona, auquel il avait adressé cette demande, répondit par dépêche:
«London, Feb. 25 1901 - Regret exceedingly delay in replaying to tour telegram. I have no récent communication with the Canadian Government respecting the Island Anticosti and should ont wish therefore to put tour frend to any inconvenience coming to London.
If however you desire him to see me, s hall be at his service at any convenaient time and will foreward to Ottawa any représentation you may have to make.
Signed: Strathcona»
En conséquence, je me rendis à Londres et fus reçu par Lord Strathcona au Canadan Office.
Je lui exposai la situation dans tous les détails. Il prit notes sur toutes les choses, me posant quantité de questions auxquelles je répondis en disant que nous serions heureux d'avoir une inspection d'un navire de guerre anglais à l'île, pour qu'il puisse faire une enquête sur place sur ce que nous y faisons et que je me mettrais moi-même à al disposition du Commandant pour le mener à tous les endroits qu'il désirerait visiter.
Il me répondit que ce désir serait transmis au Gouvernement Général du Canada représentant directe du Gouvernement anglais.
Cette année, Menier, décida d'aller avec la Bacchante à l'île et les préparatifs de départ furent commencés de bonne heure.
Il fit construire par le carrossier, M. Jeanteau, une forte voiture à trois chevaux de front où 12 personnes seraient à l'aise. On pouvait y mettre des fusils dans un râtelier sur le devant du siège; des haches, des pelles, des pioches y avaient également leur place.
Une grande bâche la recouvrant entièrement (qu'on pouvait enlever en tout ou en partie) trouvait place dans un coffre de la voiture, ainsi qu'une perche de téléphone et quantité d'ustensiles culinaires.
Cette voiture devait nous être très utile à l'île.
Un ami le docteur Paul Barbarin venait avec nous ainsi que le docteur Demay, d'autres moins marins préférant naviguer sur les grands paquebots, nous rejoindraient plus tard au Canada.
Pages | 3 | |||||||||||||||||||
1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 18 | 19 | 20 | 21 |
22 | 23 | 24 | 25 | 26 | 27 | 28 | 29 | 30 | 31 | 32 | 33 | 34 | 35 | 36 | 37 | 38 | 39 | 40 | 41 | 42 |