L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé, tome 2 |
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J'eus à ce sujet des conversations avec le juge du district, mais qui n'eurent pas de suite et j'eus tout lieu de croire qu'il n'y en aura pas et que je garderai ma prison.
Le service du constable Vézina consistait principalement dans la surveillance du chemin de fer et du quai, pour éviter la fraude de l'alcool.
Il avait aussi à visiter les bagages des gens quittant l'île, car certains faisaient à nos dépens le commerce des fourrures que des affiliés prenaient dans le bois où travaillaient les «jobbers» d'hiver.
Enfin, il avait à s'occuper de la police en général, les incendies, et de la surveillance des magasins et ateliers.
Je m'avisai d'un moyen d'éviter ou tout au moins de restreindre l'alcoolisme et l'ivrognerie, qui ne tarda pas à donner de bons résultats.
Nous avions affaire à deux catégories employés, les Canadiens, les Anglais et les Américains d'une part, et les Français de France ou de St-Pierre et Miquelon de l'autre.
Les premiers ne buvaient pas de vin et ne prenaient que le whisky ou le gin, les Français, au contraire, ne buvaient que le vin.
Nous n'avions aucune sérieuse difficulté avec les buveurs de vin, mais de très grandes avec les autres.
La raison me semblait en être la suivante. Le vin ne contient généralement que 10 à 12 degrés d'alcool, tannique le whisky et le gin, titrent souvent 45 degrés.
Il faut donc qu'un homme buvant du vin absorbe 3 litres et demi de vin pour obtenir l'ivresse qu'une seule bouteille de whisky. Or, cette quantité de liquide le rend malade car l'estomac ne peut le garder.
Le remède est donc à côté du mal, et c'est la raison qui fait que rarement le buveur de vin devient alcoolique.
Il n'en est pas de même de celui qui boit de l'alcool. Il peut très bien sans être indisposé absorber un litre de ce produit, il n'en est nullement indisposé et devient rapidement un alcoolique invétéré.
Or, le whisky est peut-être un des meilleurs alcools que l'homme puisse boire. Bien fabriqué il est moins nocif que le cognac et le brandy et ne contient pas les principes toxiques et les éthers de ceux-ci.
La distillation en est bien surveillée et les produits dits de tête et de queue en sont toujours éliminés avec soin, ce qui n'est pas le cas des eaux de vie de vin ou autres que chacun fabriquait comme il l'entend.
Dans ces conditions, étant donnée l'habitude générale de boire le whisky avec une certaine proportion d'eau et de soda, je pensai à ne vendre le whisky qu'avec un mélange de soda dans lequel la proportion d'alcool serait la même que celle de vin..
J'autorisai donc, comme essai, la vente au magasin de bouteilles de whisky & soda ne contenant que 10% d'alcool.
La saveur en était très bonne et ainsi était évité l'abus fatal de celui qui, bien décidé à mettre une certaine quantité d'eau dans sa boisson, mais qui peu à peu augmente l'alcool tout en diminuant l'eau, ce qu'il achemine rapidement et sans qu'il le veuille à ne plus mettre d'eau, ce qu'il fallait éviter. Nous verrons ce que cet essai donnera.
Nous eûmes d'excellents résultats dans le service agricole avec notre troupeau de «short horns» (courtes cornes).
Il se composait maintenant de 150 têtes, 50 veaux naquirent ce printemps. La stabulation hivernale avait encore été réduite de deux mois. Le troupeau ne restait plus à l'étable que quatre mois. Lâché dans le bois où il ne coûtait rien à nourrir, le 1er avril, il n'était rentré que le 1er décembre.
Les veaux naissaient dans le bois au printemps et la mortalité était bien moindre que lorsqu'ils naissaient à l'étable.
Je projetai de faire un nouveau parc de grande étendue, au nord de la ferme Georges où ils seraient rentré que le 1er décembre et relâchés en mars.
Nous construirions dans cet enclos un vaste «sied» couvert et fermé sur trois côtés, celui tourné au midi restant toujours ouvert.
Nous fournirions au troupeau un minimum de fourrage selon le besoin, les frais de la stabulation complète seraient ainsi bien diminués, les animaux trouvant une partie de leur alimentation dans le bois et leur rusticité y gagnerait.
Bien entendu, ce troupeau comme dit plus haut était en dehors de celui fait pour l'alimentation qui restait dans le parc du fond de la baie et continuait à approvisionner la boucherie pour les besoins de l'administration.
Ce troupeau n'avait pas d'hivernage, car les derniers animaux qui y avaient passé l'été étaient abattus au début de l'hiver et mis en glacière pour la consommation de la période froide.
La ferme St-Georges disposa cette année de plus de 200 hectares de terre labourable, le défrichement allant de cette ferme à la rivière aux Castors ayant été entièrement terminé.
Il en fut de même pour la ferme Rentilly où les défrichements atteignirent le lac Plantin, où un grand espace de plus de 500 hectares put être mis en culture.
Dans chacune de ces fermes, deux nouvelles granges de 50 m. de long par 200 de large furent ajoutées aux deux autres existant déjà, et toutes, à l'automne, furent pleines de fourrage.
La pêche à la rivière Jupiter, ou MM. Gibsone, Turgeon, E. Garneau et L.H. Taché furent invités, eut lieu cette fois de bonne heure.
Nous arrivâmes à la rivière le 28 juin et nous y restâmes 6 jours.
À cinq lignes, nous prîmes 59 saumons, le plus gros étant de 26 lbs 5 3/4, la taille moyenne était de 11 lbs 3.
Le 5 juillet, nous reçumes la visite du yacht «Sémiramis» ayant à bord, son propriétaire M. Gordon et ses amis, Mr. et Mr. Davidson, Mr. Pritcher, Mr. James Clarke et Mr. Newcombe.
Mr. James Clarke propriétaire des grands moulins de pulpe mécanique de Clarke City venait avec Mr. Newcombe, propriétaire de la nouvelle fabrique de papier du «Bush Terminal» à Brooklyn près de New-York.
Ils eurent avec moi des entretiens intéressants sur l'exploitation de nos bois et la possibilité d'une entente entre nous, Clarke City et le Bush Terminal.
Ils visitèrent le moulin des écorceurs et vinrent examiner le bois le long de la ligne du chemin de fer.
Ils s'intéressèrent au chargement du «Quérida», trouvèrent notre organisation bonne, et la qualité de notre bois excellente.
Ils me firent remarquer qu'il y aurait à leur idée moyen de tirer un meilleur partie de notre bois que celui que nous en obtenions actuellement.
Tout ce bois était destiné aux grands moulins qui nous l'achetaient à devenir de la pulpe chimique.
Nous vendions le bois à raison de 8 dollars 50 la corde.
Or, si nos fabriquions chez-nous la pulpe chimique au sulfite, nous vendrions la tonne de ce produit somme toute peu dispendieux et facile à faire, 36 dollars.
Il fallait une corde et demie pour fabriquee une tonne de pulpe. Une usine de 100 tonnes par jour, travaillant 300 jours par an, produirait 30,000 tonnes et donnerait un produit brut de un million quatre vingt mille dollars.
Il fallait compter comme dépense pour la fabrication d'une tonne de pulpe:
Coupe du bois ..... 3 dollars
Transport au moulin .... 2 dollars
Écorcage ..... 3 dollars
Fabrication ..... 12 dollars
Coût de la tonne .... total..... 20 dollars
soit un bénéfice net sur 36 dollars .... 16 dollars
soit bénéfice net sur 30 t. x 26 dollars .... 480,000 dollars
Une usine de pulpe chimique pour une fabrication de 100 t. par jour coûte environ 3 millions de dollars, rémunération à 5% du capital engagé, 150,000 dollars à déduire de ..... 480,000
soit ..... 150,000
reste net ..... 330,000 dollars
Soit pour 3 millions de dollars bénéfice net de 11%
Il fallait d'autre part tenir compte qu'un cinquième du bois dit «culled» était refusé par nos acheteurs, que nous aurions pu utiliser, en évitant l'écorçage exagéré et inutile qui diminuait énormément l'épaisseur des billots en pure perte.
Une usine moderne comme celles de Norvège ou de Suède, que nous construirions, utiliserait certains sous-produits de bois découverts récemment et que nos concurrents n'emploieraient pas et utiliserait les derniers procédés connus.
Ces usines modernes retiraient du bois tout ce qui était utilisable, elles ne rejetaient dans la rivière que de l'eau non contaminée et sans odeur, ce qui était à considérer étant donné que l'emplacement de l'usine serait à proximité Port-Menier près du canal, là où le sous-sol est solide, le canal voisiner la voie de chemin de fer à proximité.
L'idée générale de ces messieurs était la suivante: La grande production du papier dans toute l'Amérique étant principalement destinée au papier de journal, réclamait deux espèces de pulpe: la mécanique, dans la proportion de 80%, et la chimique dans celle de 20%.
Or, Clarke City disposant d'une grande puissance hydraulique, pourrait fabriquer aisément 120,000 tonnes de pulpe mécanique qui avec les 30,000 que ferait Anticosti, donnerait le mélange désiré pour la fabrication de 150,000 tonnes pour le papier à journaux dans les proportions requises.
D'autre part, Mr. Newcombe achevait une fabrique de papier au Bush Terminal, à Brooklyn près de New-York, qui serait à même d'employer ces 150,000 tonnes pour en faire du papier à journaux demandé par les grands journaux du pays, tels que le New-York Herald.
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