L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé, tome 2 |
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Durant le mois d'août, ayant des approvisionnements à faire pour des entrepôts à Gaspé, je m'y rendis avec le Savoy et y restai deux jours pendant lesquels je visitai le port afin de chercher un emplacement pour le Savoy, où il serait au quai et où nous aurions un entrepôt et des locaux pour installer un réfrigérateur, ainsi que des viviers pour le homard.
Je trouvai un excellent emplacement non loin des entrepositaires de la marine, MM. Le Boutillier et Carter.
Le terrain avait 300 pieds de long par 150 de large, la voie du chemin de fer futur était prévue passant contre ce terrain.
Le Savoy pouvait y accoster en tout temps et le prix qu'on m'en fit fut de quatre mille dollars, celui n'était pas excessif.
Je visitai aussi la nouvelle exploitation du pétrole qu'on venait de découvrir à quelques milles de Gaspé et vis une centaine de barils de pétrole, provenant d'un premier puits qu'on venait seulement d'achever.
Ceci était intéressant pour Anticosti dont les couches de terrain étaient inférieures à celles de Gaspé.
Donc cela donnait de fortes probabilités pour l'existence du pétrole à l'île, ce qui du reste était entièrement l'avis de Mgr. Laflamme, le grand géologue d'Amérique comme dit plus haut.
Mr. Anette l'opérateur du télégraphe, me montre son appareil de téléphonie, avec lequel il communiquait maintenant avec la Pointe du Sud-Ouest à Anticosti.
Je pris plusieurs éperlans vivants que je mis dans un récipient plein d'eau de mer et quand nous rentrâmes à la Baie Ellis, je les mis dans la mer le long du quai.
On n'en avait encore jamais vu à l'île. Je fis cet essai pour voir si ce poisson peuplerait chez-nous, les conditions de vie entre Gaspé et la Baie Ellis me semblant identiques.
Rentré à l'île, je hâtai mon départ, car je désirais voir à New-York Mr. W.H. Eshbaugh qui avait préparé une proposition d'organisation du service forestier et la travailler avec lui avant de la soumettre à Menier.
Les budgets terminés, je partis de l'île le 28 août. Dans le voyage à Québec, l'étambot du Savoy fut brisé dans un coup de mer et nous dûmes établir un gouvernail de fortune.
Arrivé à Québec, je le fis entrer au bassin pour lui faire la réparation nécessaire et décidai par la même occasion de lui faire mettre des quilles de roulis qui diminueraient peu sa vitesse mais lui donneraient une bien plus grande stabilité au roulis qui quelquefois par la mer de travers atteignait des angles de 40 degrés.
Les quilles permettraient de l'échouer facilement au besoin.
Ayant tout réglé avec Mr. Gibsone à l'Agence, je partis pour New-York où venait d'arriver la nouvelle de la découverte du pôle Nord par le navigateur américain Cook.
Je travaillai plusieurs jours avec M. Eshbaugh et convins avec lui que si son plan convenait à M. Menier, il viendrait à Paris le lui soumettre.
Il demandait encore un peu de temps pour tout mettre au point et serait prêt à partir vers la fin de l'année.
Je quittai New-York sur la Provence le 9 septembre et arrivai au Havre le 15.
Ayant exposé les grandes lignes du projet de M. Eshbaugh, Menier décida de le faire venir et des instructions lui furent envoyées en conséquence.
Dans le milieu de Janvier 1910, M. Eshbaugh arriva à Paris et nous étudiâmes son projet.
Il avait une connaissance approfondie de l'exploitation du bois en Amérique et au Canada, ainsi que de son utilisation, aussi bien pour les scieries que pour la pulpe et la fabrication du papier.
Il considérait les Suédois et les Norvégiens, ainsi que les russes et les Allemands, comme supérieurs aux Américains dont la fabrication de la pulpe et du papier et que dans la suite, à l'île d'Anticosti, ce seraient leurs procédés de fabrication que nous devrions adopter.
Pour le début à l'île, connaissant les difficultés qu'allaient présenter l'exploitation du bois dans ce pays neuf, séparé du continent presque la moitié de l'année, où rien n'avait encore été tenté, son opinion était de ne rien précipiter.
Il avait la certitude toutefois que la quantité de bois ainsi que sa qualité ne laissaient rien à désirer, comme il avait pu s'en rendre compte lui-même en se basant sur ce qu'il avait vu, et sur les rapports de Joseph Bureau et l'exploitation de son prospecteur, Mr. Hondricks, qui avait circulé dans toute l'île.
Mr. Eshbaugh proposait de commencer par couper du bois de pulpe, de l'écorcer et d'en faire la vente aux grands moulins de pulpe du Canada qui en demandaient.
Nous commencerions par faire l'installation nécessaire à la coupe et à l'écorçage d'environ 20,000 cordes de bois.
Ce bois vendu, on ferait l'année suivante 30,000 cordes, puis on porterait ce chiffre à 50,000 suivant les conditions du marché
Ce bois serait vendu avec un bénéfice qu'il était difficile d'évaluer avant le premier essai, mais il donnerait certainement un profit qu'on pouvait évaluer sans exagération à 2 ou 3 dollars net la corde.
Alors seulement, nous pourrions selon les conditions de l'exploitation penser à faire la pulpe à l'île, sinon le papier.
Les dépenses pour la fabrication de ces deux produits étant considérables, il ne fallait l'entreprendre qu'après une étude approfondie que nous aurions le temps de faire pendant l'exploitation du bois de pulpe qui en serait pour ainsi dire la préparation et que nous allions entreprendre progressivement.
Cette exploitation allait toutefois demander un capital important.
Il fallait construire un moulin pour l'écorçage de 50,000 cordes de bois nécessitant au moins 20 écorceurs, nombre qui devrait pouvoir selon les besoins être porté au double.
Un tel moulin, étant donné que nous ne disposions d'aucun pouvoir hydraulique, devrait être actionné par des machines d'au moins 1500 HP avec les haussières appropriées.
Il préconisait l'emploi des écorceurs de la firme Grooker-Wheeler de New-York qui étaient les meilleurs.
La firme Corliss de New-York fournirait la machine principale et la firme Waterous les moteurs électriques pour la lumière et la force.
Les transbordeurs pour monter les billots aux écorceurs, les faire circuler dans le moulin jusqu'au dépôt du bois écorcé, les embarquer dans le wagons, et transporter les écorces au brûleur, devaient être mus électriquement.
Un brûleur devrait être adjoint au moulin pour détruire le surplus des écorces que les
«dutch owen» ne pouvaient brûler.
Il fallait faire un barrage pour retenir l'eau dans un vaste bassin où le bois serait approvisionné avant d'être pris par le monte-billots, pour être monté aux écorceurs.
N'ayant pas de rivière suffisante à la baie Ellis par laquelle le bois aurait pu être apporté au moulin, il fallait prévoir une voie ferrée qui partirait du quai et s'enfoncerait dans l'intérieur de l'île et qu'on augmenterait au fur et à mesure des besoin.
Deux milles de voie en exploitant 4 milles de chaque côté donneraient les 20,00 cordes nécessaires pour la première année.
Pour l'embarquement du bois sur les navires qui devait se faire automatiquement, il fallait augmenter le quai de trois nouveaux caisson de 90 pieds chacun et de très solide constructions.
Il devait supporter un plan incliné sur lequel des wagons à renversement seraient refoulés pour pouvoir être capables de déverser leur chargement dans des «chutes» aménagées spécialement au-dessus de la cale des navires à quai.
Cette exploitation nécessiterait en plus, à part quelques maisons pour le personnel supérieur, un grand camp pour les ouvriers du moulin et ceux du chemin de fer, une maison pour les employés, et un hôtel pour loger les fournisseurs et les visiteurs, parents ou amis des employés divers, celui de la Baie Ste-Claire étant trop éloigné et totalement insuffisant.
Menier donna son assentiment à ce commencement d'exploitation pour une expérimentation en grand avant la fabrication de la pulpe, laquelle devait être le but définitif vers lequel nous devions tendre.
Le 16 février 1910, le contrat fut signé avec Mr. Eshbaugh qui devenait chef du service forestier à l'île.
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