L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé, tome 2 |
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Le «Vanadis› repartit trois jours après et malgré la réception que je fis à tous à la villa, je fus incapable de changer l'impression fâcheuse produite sur M. Billings et sa famille par ce pénible contre-temps.
J'eus même l'impression que si les circonstances avaient été autres ou simplement normales, des propositions intéressantes m'auraient été faites, les gens que Mr. Billings avait amenés avec lui me le démontrèrent suffisamment, par les enquêtes qu'ils firent.
Le Sénateur Casgrain et sa famille nous honorèrent aussi de leur visite, mais la malchance fut encore de la partie.
Pendant le déjeuner que je lui offrais, je fus appelé au téléphone par le gardien du quai qui me dit que la locomotive était tombée en bas de l'appontement, le mécanicien tué sur le coup.
Je dus m'y rendre de suite, laissant mes invités auxquels je pus cacher la fâcheuse nouvelle, mais mes explications, un peu vagues ne contribuèrent pas à ramener l'ambiance de gaieté nécessaire dans ce genre de réunion.
Il ne nous en remercia pas moins de la réception que nous lui avions faite et nous quitta très satisfait.
Le pauvre garçon que nous conduisîmes à sa dernière demeure le lendemain, malgré la défense qui lui en avait été fait, avait voulu donner toute sa vitesse à la locomotive qu'il conduisait et à l'embranchement de l'évitement au bout du quai, l'avait fait sortir du rail.
Notre chef mécanicien, m'assura qu'il serait capable de réparer la locomotive, et effectivement après l'avoir remontée sur le quai et emmenée aux ateliers, il ne lui fallut que huit jours pour la remettre en état, ce qui prouvait sa compétence, et le bonne fonctionnement de notre atelier mécanique.
Les dix maisons du cap Blanc furent terminées avant mon départ, ainsi que le «Chalêt» qu'allait habiter M. Malouin, le Dr. Verge était installé dans sa maison.
Je fis les budgets avec les chefs de services et partis pour Québec le 22 septembre.
Notre voyage se fit dans une fumée épaisse causée par d'énormes incendies de forêts qui cette année firent de grands ravages dans la province de Québec.
Après un court séjour en ville, nous partîmes Mr. Gibsone et moi par le Québec Central.
Le train fut arrêté plusieurs fois dans son trajet par le feu qui nous occasionna huit heures de retard avant d'arriver à New-York.
Là je quittai Mr. Gibsone et embarquai sur la Provence le 1er octobre.
Pendant le trajet de retour, le 7 octobre à 4 heures de l'après-midi par brume moyenne en face de Cherbourg, étant à l'avant sur le pont, deux violents coups de sifflet se firent entendre venant d'en face et subitement nous aperçues les trois cheminées du navire l'Océanic à moins de deux encablures venant de tribord qui nous présentait son flanc de bâbord.
Le Commandant Poncelet fit mettre la barre tribord toute et machine arrière à toute vitesse, ce qui nous sauva d'un abordage qui semblait inévitable, car nous frolâmes l'arrière de l'Océanic à moins de 10 mètres, en passant près de lui.
Le soir nous étions au Havre.
Je trouvai Henri Menier un peu préoccupé de la comptabilité de l'île.
Le départ du nommé Lacroix (qu'il avait du reste refusé de voir, à son arrivé à Paris) montrait un grand relâchement et un manque d'autorité dans ce service qu'il convenait de réprimer.
Robert Eustache convint qu'étant lui-même toujours à Paris, il lui était difficile de diriger la comptabilité à l'île, et donna sa démission du secrétariat.
Ayant l'an dernier changé d'appartement, j'avais pris le secrétariat chez-moi, 19 boulevard de Courcelles, ce qui était bien préférable pour moi. Je pouvais donc m'en charger personnellement,.
J'exposai alors à Menier qu'il était inutile de remplacer Robert Eustache. Ayant maintenant la comptabilité chez-moi, j'allais m'en occuper, ce serait une économie pour le budget.
Mr. Brunel père resterait à son poste et j'allais travailler avec lui à une réorganisation indispensable, comme dit précédemment.
En 1896 quand j'avais fait l'organisation de l'administration de l'île, je m'étais contenté d'en tracer les grandes lignes et Robert Eustache ayant été chargé de la comptabilité.
Je pensais bien que dans le cadre général que j'avais tracé, chaque dépense, chaque travail, serait inscrits séparément dans des groupements distincts, et que des comptes seraient ouverts chaque fois qu'un travail nouveau serait entrepris.
Je me contentais de me faire remettre les balances mensuelles des dépenses et des recettes et de faire les vérifications de la caisse de temps à autre, n'ayant besoin alors d'aucun renseignement spécial.
Or, quand les travaux furent suffisamment avancés et que les constructions principales terminées, et que je voulus faire un inventaire du coût de chacun des immeubles, il me fut impossible de l'établir, les différentes dépenses ayant été mises dans des comptes généraux dénommés «salaires des équipes».
J'étais dans la situation de quelqu'un ayant hérité d'une cave d'un nombre de bouteilles bien déterminée, mais sans étiquettes d'aucune sorte, et qui pour connaître les vins et liqueurs aurait été obligé d'ouvrir chaque bouteille, d'en goûter le contenu et d'en refaire un classement complet.
C'est le travail beaucoup moins plaisant auquel je dus me livrer, d'abord en m'aidant de mes notes personnelles, des correspondances, des procès-verbaux des réunions.
Après un travail difficile, je finis par retrouver les sommes qu'avaient coûté chacun de nos différents travaux et je pus faire un inventaire immeuble complet.
Chaque habitation, chaque route, les canaux, défrichements, le quai, les ateliers, magasins eurent leur compte.
Étant donné mes absences en France, à Québec, en déplacements divers, je considérai qu'il était impossible d'agir comme doit le faire tout chef d'industrie, c'est-à-dire de tout prévoir et de garer en main une direction rigide.
Je devais donner une grande initiative à mes chefs de services et même à tout employé, mais pour cela je devais dans la mesure du possible n'avoir que des gens capables, que j'entretiendrais du but que nous poursuivions, qui connaitraient nos idées et se les assimileraient pour pouvoir agir et prendre des décisions selon les circonstance imprévues qui pourraient me présenter.
Toujours m'inspirant de l'esprit militaire, j'établis les trois règlements suivants:
Nos «réunions du personnel» du samedi où j'avais l'habitude de tenir nos chefs de services au courant de idées du patron, des buts que nous poursuivions, de nos désideratas, étaient suffisantes pour leur permettre d'exercer utilement l'initiative que je leur demandais.
Contrairement à l'habitude générale en comptabilité de ne s'adresser qu'à la mémoire et à la ponctualité des employés aux écritures, je leur demandai d'employer leur intelligence, ce qui est peut être une hérésie, mais qui dans notre situation spéciale me semblait nécessaire.
Qu n'a pas remarqué l'air assuré et vraiment impressionnante à nos profanes du comptable établissant une balance, ou choisissant dans le grand livre le côté du «Doit» ou «Avoir» qui a le chiffre le moins fort, le met sous le plus grand, en fait la différence, reporte celle-ci sous le plus petit, en fait l'addition, et semble tout satisfait de trouver le même nombre qui constitue «la balance égale d'ailleurs».
Je pensai à leur demander quelque chose de plus.
En conséquence et pour leur faciliter leur tâche, je pensais ne pouvoir mieux faire que de compléter mon organisation quasi gouvernementale en «services» , en lui donnant des subdivisions en «chapitres» et en «articles».
Dans chaque service selon le besoin, il y aurait plusieurs chapitres, et chacun de ces chapitres aurait un nombre déterminé d'articles.
Exemple:
Le service agricole aurait quatre chapitres:
(1) la ferme St-Georges
(2) la ferme de Rentilly
(3) la ferme Ste-Claire
(4) la ferme de l'Anse aux Fraises
Chacun de ces chapitres aurait 14 articles:
Exemple:
Chapitre (1) Ferme St-Georges
(1) Salaires du fermier
(2) Salaires des aides à salaire fixe
(3) Salaires des extras
(4) Dépenses de nourriture
(5) Dépenses de chauffage
(6) Dépenses d'éclairage
(7) Dépenses d'achat de nourriture pour les animaux
(8) Dépenses d'achat de nourriture pour les animaux
(9) Dépenses d'achat de nourriture pour les animaux
(10) Dépenses d'aCHAT D'ANIMAUX
(11) Dépenses d'achat de matériel agricole
(12) Divers
(13) Dépenses de l'entretien du matériel
(14) Dépenses de l'entretien immeubles.
Les derniers articles étaient toujours les mêmes.
Je fis faire de grands tableaux affichés dans les bureaux de la comptabilité où figuraient en haut les «Services» en dessous, les différents «Chapitres», et en dessous de ceux-ci, les «articles».
Quand une dépense ou une recette se présentait qu'il fallait passer dans les écritures, les employés n'avaient qu'à rechercher d'abord le service qu'ils jugeaient compétent, ensuite le chapitre convenable et enfin, l'article dans lequel la dépense ou la recette était à inscrire.
Certaines dépenses ne pouvaient pas toujours trouver e suite leur place dans les articles, dans ce cas elles figuraient à divers et tous les mois, une revue de ces divers était faite pour leur donne rune place définitive.
Au cas très rare, où une dépense ou une recette ne trouvait pas d'affectation, un livre était tenu où elles étaient inscrites et mention était faite de l'endroit où on la ferait figurer le cas échéant.
Ayant reconnu l'inconvénient qu'il y a en comptabilité à faire figurer ensemble les dépenses et les recettes «argent» ou «matières» je décidai d'écire au grand livre, les premières en écriture noire et les secondes en écriture rouge.
L'addition des deux serait à l'encre violette.
J'employai le même système pour les budgets et les inventaires.
Exemple:
J'avais à demander la somme nécessaire pour une construction de maison, j'inscrivais la demande comme suit
Maison du docteur:
En noir: ciment, fers, fourneau, briques, serrurerie, meubles, lavabos, conduites, etc......3.000 d.
En rouge: Transports - main d'oeuvre - charpente - solages - couvertures - lambris, etc. 3.000 d.
En violet: l'addition, soit..... total.... 6.000 d.
Pour la construction d'une telle maison, ou budget extraordinaire, je ne demandais donc que la somme de 3.000 dollars, les autres 3.000 dollars figurent au budget du service des travaux, navigation ou apicole, pour le montage des pièces, le fret, les journées de chevaux, etc... (dépenses matières).
Cette même maison figurait ensuite à l'inventaire toujours dans les mêmes division, ce qui pouvait être utile comme renseignement, et avec les encres différentes.
Je changeai aussi la date du commencement des écritures. Jusqu'ici cette date était le premier janvier de chaque année. Or, l'île était en hivernage à ce moment sans communication aucune avec nous. Cela compliquait inutilement nos écritures, j'adoptai le 1er avril pour l'ouverture de nos comptes.
C'était l'époque de la fin de l'hivernement et du commencement de la navigation. Il en résulta beaucoup de simplicité et de clarté aussi bien dans les comptes que dans le budget des travaux neufs, que nous avions tout l'hiver pour étudier et que j'apportais avec moi à chacun de mes voyages au printemps.
Quoique l'île n'eut qu'un propriétaire, je lui donnai la forme d'une Société ordinaire et toutes les commandes et les instructions étaient signées de l'administration.
J'évitais ainsi ce qui nous avait gêné au début, quand tout se faisant sous la signature «Henri Menier».
Une quantité de correspondances lui arrivaient de tous côtés à Paris, qu'il fallait me réexpédier et en cas de procès, il aurait pu être personnellement mis en cause et obligé de se présenter lui-même aux audiences.
Cela cadrait très bien avec les habitudes des Américains qui n'ont pas la notion qu'une affaire puisse n'avoir qu'un propriétaire, et je n'eus jamais aucune difficulté à ce sujet, avec qui que ce soit.
Ayant remarqué qu'une des principales raisons de l'inexactitude des comptes provenait du manque d'entente entre les services et la comptabilité et surtout dans les rapports des travaux avec elle, je mis entre ces deux services un agent de liaison, M. Chevalier, qui serait chargé de faire ouvrir à la comptabilité des comptes nouveaux chaque fois que le service des travaux créait un nouveau chantier.
Ainsi fut annulé, le compte «Salaires des équipes» qui m'avait causé tant de soucis et que j'avais eu tant de mal à disséquer pour reconstituer le squelette solide de mes inventaires immeubles, et meubles.
Bien entendu, nos inventaires étaient faits à leur valeur exacte, c'est-à-dire étaient évalués à la somme qu'ils avaient couté, il ne pouvait être question en effet de les amortir tant que l'île ne rapporterait pas de bénéfices.
Cette réorganisation m'occupa tout l'hiver et une partie du printemps de 1909.
Nous reçûmes des lettres de Mr. W.H. Eshbaugh qui allait bientôt nous faire des propositions pour l'achat de bois de l'île.
J'avais bon espoir que la nouvelle réorganisation allait faciliter notre tâche.
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