L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé, tome 2 |
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CHAPITRE XV 1907-1908
Douzième campagne — Départ de France — Arrivée à Anticosti — Les constructions du cap blanc — Réussite des animaux sauvages — Les pêcheries de harengs — Réception de l'honorable Rodolphe Lemieux — Service du croiseur «Montcalm» l'hiver — Les baleiniers des Sept-Iles — Mortalité des bestiaux — Départ des chiens — Retour en France — Le Dr. Schmitt nous quitte
Je partis du Havre le 13 avril avec la «Provence» et j'étais à New-York le 19 passant par Montréal, j'arrivai le 23 à Québec où je fus retenu plusieurs jours à cause du mauvais temps.
La glace recouvrait encore le St-Laurent et la navigation dans le Golfe n'était pas encore ouverte.
Je travaillais pendant ce temps avec Mr. Gibsone, Mr. Malouin et Dr. Schmitt, pour voir les représentants du gouvernement, nos fournisseurs, régler les achats du magasin et des entrepôts et procéder à l'embarquement à bord du Savoy de son chargement ainsi que des pièces de la scierie nouvelle que nous alions installer à Port Menier.
Nous partimes le 7 mai et nous étions à la baie Ellis le 9.
Le nouveau résident Malouin partit pour aller faire son installation dans la maison de l'administration à Ste-Claire. La villa était sous la neige.
Les glaces recouvraient les récifs de chaque côté de la baie à notre arrivée, et nous pûmes juste nous frayer un passage pour accoster au quai.
À terre, la neige formait des murailles de plus de deux mètres de chaque côté de la route (qui heureusement venait d'être dégagée) depuis une forte tempête qui était survenu quelques jours avant.
Le Savoy opéra le déchargement des appareils de la scierie, que nous apportions, mais il fallut attendre plusieurs jours jusqu'à ce qu'on puisse les amener au Lac St-Geroges à l'emplacement choisi pour la construction.
L'ancienne, à Port Menier, devait être démolie, car elle occupait la place réservée à nos nouvelles installations et de plus, sa chaudière était hors de service, mais nous utiliserions son banc de scie et ses transmissions à la nouvelle scierie.
Nous apportions un appareil qui y serait installé pour écorcer le bois que nous allions livrer aux marchands de pâte à papier, pour qu'ils puissent en étudier la qualité.
Nous nous mîmes de suite à faire les fondations des maisons de Malouin et du Dr Schmitt, qui tous deux viendraient les occuper aussitôt construite.
La première fut commencée sur la côte près de la route entre la maison Gamache et les sources, la seconde également sur la côte et à environ 100 mètres du canal.
Un entrepôt avait été commencé l'an dernier sur le même alignement que le magasin, et une glacière était construite entre les deux, les murs s'élevaient déjà à une certaine hauteur.
La villa n'avait pas été chauffée pendant l'hiver, ceci contrairement à la coutume du pays, mais le chauffage d'une maison de telle importance m'avait semblé devoir être si coûteux, que j'avais pris sur moi d'en faire l'économie.
La toiture était parfaite, les portes et fenêtres aussi, j'avais fait vider les chaudières, les conduites et les réservoirs, et prescrit aux Lejeune d'aller de temps en temps l'ouvrir pour se rendre compte de ce qui s'y passerait.
Ils avaient fait ce que je leur avais dit et avaient constaté avec inquiétude qu'à chacune de leurs visites, les murs intérieurs étaient recouverts de givre ressemblant à de la moisissure, les tentures et les meubles aussi.
Mais depuis que la température s'était élevée au-dessus de 0, celui-ci avait peu à peu disparu sans laisser de de trace, et rien ne semblait avoir souffert.
Je pus m'y installer le jour de mon, arrivée, après avoir fait fonctionner le chauffage.
Bien entendu, je le fis très modéré pendant plusieurs jours, pensant qu'il valait mieux avoir une transition graduelle avant la reprise du chauffage normal
Je craignais que le piano n'ait subi de dommage, mais il n'en était rien, son accord était resté juste, et le son parfait.
Je m'étais basé en faisant cet essai économique sur l'habitude qu'ont les Canadiens quand une de leurs maisons de bois est envahie par les punaises, de quitter celle-ci en allant résider chez des voisins pendant quelques jours, abandonnant leur maison au froid et à la gelée lorsque la température est aux environs de 30 degrés au-dessous de 0.
Or, en y rentrant, ils ne trouvent jamais rien d'abimé et toute la vermine est détruite.
Cet essai valait la peine d'être tenté.
Dans mes premières sorties, je pus constater avec satisfaction que nos cerfs de Virginie avaient réussi au delà de ce que nous pouvions espérer.
Les années précédentes, nous en voyions un peu partout puisque certains avaient été aperçus près de la baie au Renard à l'autre extrémité de l'île, mais en petit nombre.
Cette fois j'en voyais par troupeaux. En allant à Ste-Claire, j'en comptai vingt qui traversaient la route, souvent une dizaine à la fois et mes gardes avaient commencé à en tuer l'hiver pour se nourrir quand les provisions leur faisaient défaut.
Leur progression devait maintenant s'accélérer, car ces animaux étaient acclimatés et avaient leurs passées bien frayées dans le bois, ce qui avait une grande importance au point de vue de leur reproduction.
Avant que ces cheminements n'aient été frayés, les femelles qui mettaient bas le faisaient souvent dans des endroits embarrassés, d'où elles sortaient aisément, mais qui pouvaient être des obstacles infranchissables aux petits faons, la forêt n'étant qu'un abatis d'arbres superposés, abattus les uns sur les autres, où les chiens eux-mêmes renonçaient à pénétrer.
Actuellement les faons mis bas dans les endroits que fréquentaient les cerfs trouvaient des chemins dans lesquels ils pouvaient aisément suivre leurs mères et échapper ainsi plus facilement aux fauves.
L'automne dernier, j'avais envoyé des commandes pour la capture de lièvres arctiques que nous avions décidé de mettre dans l'île.
Cet animal fait trois portées par an, de 4 à 6 petits chacune, sa chair est excellente, sa peau a de la valeur et est d'une finesse remarquable.
Nous avions pensé Schmitt et moi, que c'était l'espèce idéale pour obtenir le résultat que nous attendions des animaux mis sur l'île, pour donner du sang aux moustiques nous évitant ainsi d'avoir à le fournir nous-même.
Nous allions gagner un temps précieux avec ces lièvres qui pulluleraient. La finesse de leur peau aisément traversée par les dards des moustiques en ferait une proie facile qui la leur ferait préférer à toutes les autres.
Une centaine avait déjà été amenés par le premier voyage du Savoy et deux cents autres débarquèrent peu de temps après mon arrivée.
Tous furent mis en liberté aux environ de la baie Ellis à plusieurs endroits, et à ses emplacements, j'en voyais tous les jours.
Nos hommes avaient vu pendant l'hiver un orignal et plusieurs wapitis jeunes provenant de ceux que j'avais fait lâcher à Ste-Claire.
Il fallait mettre le plus possible de tous ces animaux dans l'île. Nous étions certains par la réussite des cerfs de Virginie, les plus délicats de tous d'en avoir une encore meilleure avec les animaux rustiques du nord, tels que le caribou, l'orignal, le mule deer.
Notre buffalo de Ste-Claire vivait toujours bien et n'avait jamais souffert l'hiver, quoique dehors par tous les temps.
Nous devrions chercher à en avoir pour en faire un troupeau. Le Gouvernement maintenant bien disposé en notre faveur, pourrait nous aider à nous en procurer.
Le professeur C.K. Hornaday du Bronx Park de New-York, dont j'avais fait la connaissance et que nos essais à Anticosti intéressaient beaucoup, était d'avis que le «Wood Buffalo», dont un troupeau venait d'être découvert dans les solitudes du Lac de l'Esclave au Nord du Canada, conviendrait mieux dans nos forêts que le «Prairie Buffalo».
Il n'avait pas été contaminé comme le second par la fièvre aphteuse, et vivait dans la forêt comme l'auroch d'Europe.
C'était l'animal qui devait le mieux se comporter à l'île, dont la viande remplacerait celle dui boeuf, et dont la peau avait une bien plus grande valeur.
Le 15 mai, nous allumâmes les deux phares qui fonctionnèrent bien et pûmes constater que pour les navires venant du large, l'approche était facile, les deux lumières travaillant bien l'une par l'autre et s'éloignent ou s'écartant rapidement au moindre changement de barre.
J'avais écrit au bureau de la Marine à Ottawa pour prévenir la navigation de l'existence de ces feux, de leur portée, de leur angle d'éclairage; qu'ils n'étaient pas permanents et n'étaient allumés que pour les navires attendus ou pour ceux qui en feraient la demande.
Je reçus la réponse à cette note du bureau de la navigation d'Ottawa qui remerciait au nom du Ministre de la Marine de l'aide que nous rendions à la navigation et mention allait être fait dans la nouvelle édition du pilote du St-Laurent de cette amélioration.
La fin de mai fut marquée par la venue à la baie Ellis, d'une quantité de harengs qui viennent annuellement à cette époque jeter leur frai sur les rivages de cet endroit bien abrité.
Ces bancs de harengs sont poursuivis sans relâche par les loups marins qui en font une destruction sans merci.
Des milliers de ces phoques gardent l'entrée des baies qui comme Ellis servent de refuge au hareng et les surveillent jusqu'à leur départ.
Nous tendîmes deux grands filets de fonds qui furent remplis presque tout le temps.
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