L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé, tome 2 |
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CHAPITRE XIV 1906-1907
Onzième campagne — Départ pour l'île — Arrivée à Anticosti — Les travaux neufs — À Québec — Réception à Ottawa à «Rideau Hall» — Les phares de Port-Menier — Visite du croiseur le «Chasseloup-Laurat» — Réception et visite du gouverneur général — À Québec — Mr. Alfred Malouin, sous-directeur résident — Retour en France
Je partis seul pour l'île le 21 avril 1906. Je pris passage au Havre sur la «Provence» qui faisait son premier voyage sur la ligne Hâvre-New-York et arrivai en ce dernier lieu le 27 après une traversée record.
À Québec, je trouvai Henri Myard et Mr. Gibsone, qui me mirent au courant de tout ce qui s'était passé à l'île et à l'Agence pendant mon absence. Nous décidâmes de partir de suite pour l'île sur le Savoy où nous arrivions le 4 mai à la baie Ellis.
On était encore en plein hiver, les voitures d'hiver circulaient partout et la glace avait encore par endroits plus d'un mètre d'épaisseur non loin du quai.
Nous nous installâmes Mr. Gibsone et moi à la villa, bien chauffée où tout était en ordre.
À la baie Ste-Claire, la famille de Myard avait bien passé la saison froide dans la maison de l'Administration et ne faisait pas de trop fâcheuse comparaison avec l'hiver qu'elle avait coutume d'avoir au Mexique.
On avait transformé une partie de l'école en chapelle et les nouvelles cloches venues de France, qui faisaient la joie du Révérend Père Travers, sonnaient à notre arrivée.
M. Parent le nouveau chef de culture, avait préféré résider à la ferme St-Georges de la baie Ellis où il avait maintenant tout son travail.
Il avait mis à Ste-Claire son second le nommée Philippe Bouchard, habitant de la Malbaie, qui logeait dans la ferme à la place de M.Picard.
Les six familles de cultivateurs de France étaient arrivés au premier voyage du Savoy et logeaient dans un bâtiment construit pour eux à la ferme Ste-Georges, ils donnaient toute satisfaction.
Un «express» (voiture pour les commissions) établissait tous les jours les communications avec la baie Ellis et ce service se faisait régulièrement.
Après la visite à la comptabilité et dans les divers services, nous repartîmes à Ellis où beaucoup de travail nous attendait.
À la fonte des neiges, le canal St-Georges ne suffisant pas à l'écoulement de l'eau, je mis une équipe pour l'agrandir, il n'avait que dix mètres, je le fis élargir du double, le travail fut facilité par la violence du courant qui emportait de suite tout le gravier que la pelle détachait de chaque rive, et cet ouvrage fut rapidement achevé.
Je prévoyais même d'augmenter la largeur du canal près du pont pour faire un réservoir où l'eau serait retenue par un barrage en béton dans lequel des pelles seraient ménagées.
Nous pourrions installer là une turbine qui actionnerait un dynamo, laquelle devrait donner toute la force nécessaire pour l'éclairage électrique dont nous aurions besoin dans nos établissements actuels.
Livrelli allait s'occuper d'étudier cette question que nous réaliserions aussitôt que possible.
Je rapportais le résultat des analyses faites par M. J. Bernard sur les échantillons argile-calcaires qui lui avaient été soumis.
Son rapport était concluant, la teneur en argile était considérable, dépassant de 40% celle du calcaire qu'il nous était facile de nous procurer dans tous nos lacs avoisinant la baie Ellis.
Un mélange de 22% de silicate d'alumine dans le calcaire étant celui qui permet de faire le ciment de Portland.
Les questions d'extraction, du transport et de la manutention des matières avaient été étudiées, par Myard et Livrelli, ils avaient fait un projet d'une usine fabriquant 20 tonnes par jour qui pourrait être augmentée pour en faire 50 ou 100.
La vase argile-calcaire de la baie serait mise par des dragues à vapeur dans des chalands (que nous pourrions construire par nos propres moyens) qui seraient remorqués jusqu'au quai où des transbordeurs en chargeraient nos wagons à renversement, lesquels la conduirait aux bassins de décantation où les mélanges seraient faits.
Nous éviterions ainsi les extractions de rocs faites à la dynamite, leur manutention, le transport à l'usine et les broyages par les meules à boulets que sont obligés de faire la plupart des usines à ciment qui ne peuvent utiliser que le roc, n'ayant pas comme nous à leur disposition une matière réduite naturellement à un état de division moléculaire presque complet.
L'usine pourrait être construite sur la rive gauche du canal St-Georges à proximité de la route.
Nous avions là de vastes terrains avec un fond de roche à 1 mètre de profondeur, qui permettrait de faire les fondations de toute solidité et le gravier qui recouvrait ces roches nous faciliterait l'établissement des routes macadamisées à peu de frais pour relier les bâtiments les uns aux autres.
Les fines houilles menues de charbon de terre qu'on utiliserait dans les fours rotatifs se trouvaient dans les mines de la Nouvelle-Écosse et pourraient être transportées par eau avec un minimum de dépense.
Myard fondait le plus grand avenir sur cette fabrication, qui se présentait sous un jour favorable et dès mon retour, je soumettrais le projet à Menier.
En face de l'Administration, s'amassait une quantité de varech qui augmentait constamment, amenée par le flot du large dans l'angle formé par le quai et le rivage.
Ayant vu en Norvège et en Bretagne utiliser le goëmon comme engrais pour la terre, en le mettant en tas afin que la pluie lui enlève son salin et qu'il puisse se consommer jusqu'à ce qu'on vienne le prendre pour le mettre dans les terres, et ayant constaté que les plantes marines qui le composaient étaient les même qu'ici: laminaires (genre d'algue employée en chirurgie), raisin de mer, etc... je pensais à faire à cet endroit une réserve permanente qui serait à la disposition du chef de culture.
À cet endroit, je fis faire une plateforme de 20 m. sur 10 m. avec, sur trois côtés, des murs solides en gros billots équarris à la hache, de 1 m. 50 de hauteur.
Le côté libre face au ravage était accessible aux brouettes et aux tombereaux qui venaient y décharger le varech pris aux alentours.
La pluie enlevait l'excès de sel par lavage, la décomposition se faisait rapidement et les voitures de la ferme venaient prendre l'engrais selon leurs besoins.
Ce fut un dépôt permanent d'un excellent compost, dans lequel on pût s'approvisionner sans arrêt, la matière première étant pratiquement inépuisable.
La mission de M. Viaud étant achevée et la comptabilité vérifiée, M. Brunel et son fils, tous deux comptables de Paris, vinrent prendre la charge du contentieux à Ste-Claire, aidés par M. Accolas qui avait travaillé avec M. Viaud.
Ayant reçu une lettre du Gouverneur général me demandant de venir passer quelques jours avec lui au Palais de Rideau-Hall à Ottawa, je partis pour Québec où je pris le 3 juin le bateau pour Montréal et voyageai avec Mr Hayter-Reid et Mr Scarth Stevenson.
J'arrivai le lendemain au Palais de Rideau-Hall où je fus reçu par le Colonel Hanbury Williams, lady Sybil, Mr. Hikll, Capitaine Trotter, Mr. Sladen, Mr. Leweson-Gower, etc...
Le lendemain, visite d'Ottawa et des environ, puis dîner où je rencontrai le Colonel Gourdeau, Sir Charles et lady Fitzpatrick, l'honorable Rodolphe Lemieux, Mr. Gobeil, etc...
Je restai trois jours où tous me comblèrent d'amabilités.
Lord Grey me chargea tout spécialement de ses amitiés pour M. Henri Menier et me fit espérer qu'il ferait son possible pour revenir à Anticosti où tout lui avait plu, surtout la pêche à Jupiter dont il garderait, me dit-il, un souvenir inoubliable.
Lady Gray et lady Sybil me chargèrent également de tous leurs meilleurs souvenirs pour M. Menier.
Après avoir vu plusieurs personnes du Gouvernement et travaillé avec Mr. Gobeil, député ministre des Travaux Publics, au sujet d'essais à faire du téléphone entre Gaspé et l'île, et avec l'honorable Rodolphe Lemieux (qui avait remplacé l'honorable Préfontaine à la Marine) pour l'envoi l'hiver à Anticosti d'un navire du Gouvernement, ce qui n'avait jamais encore été tenté mais que je croyais possible, je repartis pour Québec où je m'embarquai pour l'île et étais le 11 juin de retour à la baie Ellis.
Nous avions retardé le moment d'allumer le feu dans les 100 hectares défrichés cet hiver par l'équipe Bélanger, entre la ferme St-Georges, et la rivière aux Castors, car le temps avait été pluvieux, mais la saison avançait et il fallut se décider.
J'allumai les premières rames de branches le 18 juin par bon vent nord-ouest au plus près de la ferme St-Georges derrière un petit bois que j'avais ménagé entre ses bâtiments et le défriché.
Le baromètre haut et l'air frais, le feu travailla admirablement, le vent garda la même dissection en gaiblissant vers le soir, tout avait bien brûlé et nous pûmes circuler le lendemain partout aisément.
Là où le feu avait passé, quelques souches très écartées fumaient encore, l'abatis seul était brûlé. L'incendie avait été arrêté par la rivière aux Castors, le bois était intact sur l'autre rive. Tout était pour le mieux.
Deux vastes camps avaient été établis près de la villa, entre elle et la mer, pour y loger pendant la durée de sa construction les ouvriers qui l'avaient bâtie, ce qui n'embellissait pas la vue.
Quand je voulus les faire démolir, je me rendis compte que j'allais entreprendre là un long travail qui me prendrait beaucoup de main d'oeuvre car il fallait déclouer des planches où des clous, rouillés depuis trois ans, refusaient de se laisser arracher et que de plus, le bois que j'en retirerais serait inutilisable.
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