L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé, tome 2 |
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Le débit de la rivière dans cette saison sèche, en haut de la chute s'écoulait dans une section d'environ vingt mètres de large sur un demi-pied de hauteur, ce qui, étant donné les deux cents pieds de hauteur de différence pouvait fournir une force de plusieurs milliers de chevaux, probablement quatre ou cinq.
Nous remontâmes la rivière à plusieurs milles sur de véritables dalles de pierres plates, et pûmes nous assurer qu'un travail de peu d'importance pourrait faire une retenue d'eau en amont de cette chute d'une étendue considérable qui donnerait toute l'alimentation nécessaire à une turbine de grand diamètre.
Revenant sur nos pas, nous descendîmes au bas des rochers, où un vaste entonnoir d'au moins cinquante mètres de diamètre (qu'on ne pourrait mieux comparer qu'à la fontaine de Vaucluse) recevait l'eau formant une sorte de cratère d'une grande profondeur où de gros saumons sautaient sans arrêt.
Des aigles fauves à tête blanche survolaient la muraille à pic qui surplombait l'immense cascade, en rendant l'aspect imposant et sauvage.
Nous descendîmes à la mer au pas de nos chevaux, traversant à gué le lit de la rivière chaque fois que la profondeur de l'eau nous obligeait à changer de rive, et longeant quantité de pools remplis de saumons et de truites.
Rentrés à la baie Ellis, nous fîmes nos préparatifs de départ, M. Myard et Livrelli avaient organisé tous leurs services.
M. Parent avait remplacé comme chef de culture. M. Picard rentré en France pour cause de maladie, sa famille ne pouvant supporter le climat rigoureux de l'hiver.
M. Accolas avait pris la place de M. Landrieux démissionnaire, comme chef de la comptabilité avec M. Floran comme second.
M. Balbeau ancien employé de la Compagnie Révillon, devenait chef des gardes, M. Jacquemard fut remplacé par Tancrède Girard, comme chef des travaux.
Le 4 septembre, nous quittions l'île, tout le personnel sur le quai nous accompagna au départ de la «Bacchante» qui nous emportait, et qui s'éloigna du quai au son de plus en plus affaibli du «God cave the King» de la «Marseillaise» et «Vive la Canadienne» joués pourtant avec une rare énergie par la fanfare sous le bâton de son chef éminent M. Drolet, notre estimé chef des douanes.
Nous passâmes cette fois par le détroit de Belle-Isle, au Nord de Terre-Neuve, notre route la plus courte, et fûmes pendant 24 heures environnés d'icebergs et plongés dans une brume glacée, avec la seule compagnie des baleines, des phoques et des narvals, qui semblaient s'y plaire mieux que nous.
Nous fumes ensuite favorisé par le vent d'ouest, fîmes bonne route à la voile et fûmes au Hâvre au bassin Bellot le 14 septembre.
Le 26 septembre, l'honorable Ministre de la Marine du Canada, M. Raymond Préfontaine (que nous avions reçu à l'île pendant notre séjour) nouvellement arrivé à Paris, sans que nous ayons eu le temps de le voir, décéda subitement, et Henri Menier étant absent, je reçus la visite de l'honorable Rodolphe Lemieux, solicitor général du Canada, qui m'annonça cette triste nouvelle.
Je me rendis avec lui chez l'honorable Hector Fabre, l'excellent Commissaire général du Canada à Paris.
À notre grande surprise, il nous apprit que nulles funérailles officielles ne pouvaient lui être faites.
Il n'existait aucun règlement qui prévoyait soit en France, soit en Angleterre, que des honneurs quelconques puissent être rendus en cas de décès à un haut personnage, quelque fut son importance.
Avec M. Hector Fabre, accompagnés de M. Gaston Menier, le sénateur, frère d'Henri Menier, nous nous rendîmes à l'Élisée et fûmes reçus par le Président de la République, M. Loubet, auquel la situation fut exposée.
Des notes diplomatiques furent échangées avec Londres, et un accord intervint où il fut convenu que les honneurs militaires seraient rendus au ministre, l'Honorable Préfontaine, par la garnison de Paris qui défilerait devant le corps à la fin du Service qui serait fait à la Madeleine.
Depuis ce jour, pareille règle fut suivie dans chaque occasion. Elle était conforme aux lois de l'hospitalité et mieux en rapport avec les bonnes relations d'entente cordiale qui existaient alors entre la France et l'Angleterre.
Le 30 septembre, aux funérailles de la Madeleine où tout le Gouvernement était représenté, l'Honorable Rodolphe Lemieux prononça un éloge funèbre du défunt, qui fut un des plus beaux discours qu'on nous ait jamais été donné d'entendre, et après l'absoute, les troupes de la Garnison de Paris: infanterie, cavalerie, artillerie, défilèrent aux sons de la musique de la Garde Républicaine.
C'était un digne hommage rendu à un des meilleurs amis que la France eut au Canada et nous fûmes heureux d'avoir pu y contribuer pour quelque chose.
L'Angleterre ne voulut pas être en reste avec la France et envoya à Cherbourg un cuirassé qui ramena le corps du défunt au Canada.
Nous reçûmes plusieurs visites de Canadiens au printemps. Celle du major et Mrs Ogilve et de Mlle Languedoc, pour lesquels une chasse à courre fut donnée à Villers Cotterets, puis celles de l'honorable Adélard Turgeon, ministre de l'agriculture de la province de Québec, et de MM. Edouard Gardeau et Philéas Coriveau qui furent reçus au château de Noisiel, résidence de M. Menier.
L'organisation de l'île avait fait un grand pas cette année. D'importants travaux avaient été exécutés. Ses principales difficultés semblaient aplanies et les relations que nous avions avec les hautes personnalité du Canada, en nous assurant leur concours nous donnaient confiance dans l'avenir.
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