L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé, tome 2 |
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Une fois nés, ils se réfugiaient aussitôt dans l'onde en dessous du rabord de ces pierres, mais bien dans le courant, ayant besoin d'une eau incessamment renouvelée.
Mais les conditions de leur réussite étaient plus précaires que celles nécessaires au moustique, le niveau de l'eau dans laquelle étaient plongées les pupes devant rester contant pendant les huit jours de leur complet développement, car elles étaient accorchées aux rocs et ne pouvaient se déplacer.
Sitôt que le niveau s'abaissait et les laissait à nu, elles mourraient par suite de dessèchement, même si leur exposition à l'air ne durait que quelques secondes.
Si le niveau de l'eau, au contraire, s'élevait, elles périssaient noyées.
Il nous vint à l'idée que les castors pourraient être les meilleurs aides que nous puissions trouver dans cette lutte contre la mouche noire.
En effet, leurs digues ne faisaient-elles pas monter ou s'abaisser le niveau des ruisseaux selon les périodes de sécheresse ou de pluies qui alternaient pendant l'été?
Pendant la sécheresse, l'eau arrêtée par les barrages deviendrait stagnante en amont et le courant aboli, les pupes mourraient faute d'oxygène.
En aval le lit du ruisseau se desséchant, les pupes exposées à l'air mourraient par dessiccation, et ainsi de suite selon les alternatives de chuttes d'eau ou de sécheresse, la reproduction de la mouche noire devrait être ainsi arrêtée.
Comme pour bien des choses dans le monde, la nature a prévu ce qu'il fallait pour rétablir la balance de la vie quand elle est déréglée.
Elle avait assuré la destruction de la mouche noire par le castor.
Le remède est toujours à côté du mal, mais on ne le voit pas souvent.
La valeur de la peau du castor avait été seule considérée, jusqu'ici, et sa destruction était tellement avancée que le Gouvernement venait d'en interdire la chasse, nous allions agir de même.
Nous convinmes en conséquence de mettre dans l'île, la plus grande quantité de castors que nous pourrions trouver.
Ceux que j'avais mis à la baie Ellis avaient prospéré, on en rencontrait au Nord de l'île, à la rivière Becsie et même près de la rivière Jupiter.
Nous n'avions pas heureusement dans l'île de carcajoux, le grand ennemi du castor.
Bien entendu, quoique sa fourrure soit très recherchée, nous ne pourrions en faire la chasse que bien plus tard, quand leur nombre serait devenu excessif.
Les grands feux éteints et le calme revenu, nous nous remîmes aux travaux.
Un grand abreuvoir à bestiaux fut creusé dans le roc à la ferme St-Georges, ainsi qu'un puits pour l'alimentation.
Le 10 juillet, nous reçumes la visite du yacht «Mary» ayant à son bord le docteur Peabody, de Gaspé et sa fille, qui me parla beaucoup des gisements de pétrole qui venaient d'être découverts dans la presqu'île de Gaspé, et dont on avait déjà commencé l'extraction.
Il me fit des réflexions intéressantes sur les possibilités du pétrole à l'île, étant donné que les couches du terrain de Gaspé étaient supérieures à celles de l'île d'Anticosti.
Il était tout à fait d'accord avec Mgr. Laflamme et M. Obalski à ce sujet. Le pétrole devait exister à l'île.
Ayant reçu du Département de la Marine une demande pour que nous fassions nos propositions pour la révision des instructions nautiques et du livre des Phares, je suggérai d'adopter les noms nouveaux que nous avions choisis, c'est-à-dire: baie Ste-Claire, Anse aux Fraises, rivière Barbarin, baie Joliet et pour remplacer les anciennes appellations j'ajoutai, le nom de Port-Menier, pour nos établissements dans la baie Ellis.
Ces modifications transmises par le Commandant Wakeham à Ottawa reçurent l'approbation de la Marine, comme elles l'avaient déjà eues de la Poste.
Le 26 juillet, je fis le tour de l'île avec le Savoy et m'arrêtai à la rivière aux Saumons pour visiter les pêcheurs qui y étaient installés.
Ensuite, nous fîmes un séjour à la baie au Renard, où à la homarderie, les boites Max Ams employées en remplacement des Bliss, nous donnaient toute satisfaction.
Le procédé de la double cuisson par autoclave fut un succès et mon essai de nous abstenir de faire le grain de soudure ayant entièrement réussi, nous le supprimâmes désormais dans toute la fabrication, ce qui fut une économie sérieuse.
De retour à la baie Ellis le 30 juillet, je réalisai un projet que je préparais depuis longtemps qui était d'élever le plan de l'eau dans la rivière Gamache, par une série de barrages successifs dans lesquels je ménageai seulement au milieu à la partie supérieure une ouverture pour le passage de l'eau.
J'obtins ainsi une succession de biefs dans lesquels restait souvent plus d'un mètre d'eau, où les truites se mirent à pulluler.
Bien entendu, j'avais pris nos amis les castors comme architectes, et imité leur façon de construire les barrages.
Ayant dans un tournant (à cent mètres en amont du pont de la route), creusé dans la berge une excavation de plusieurs mètres de largeur et de 4 m. de profondeur, je recouvris le tout de gazon supporté par les poutres et j'obtins un véritable pool avec beaucoup d'eau et une profonde retraite pour le poisson, où je pensai que les truites prospéreraient et devraient arriver à plusieurs livres de grosseur.
Je pris plusieurs saumons vivants dans le canal et les mis en cet endroit, et je pouvais tous les jours les voir sauter dans le pool et sembler s'y convenir. Je ne doutai pas qu'ils s'y reproduiraient.
Pendant la construction de ce dernier barrage survint un curieux incident: en arrivant un matin avec mes hommes travailler à cet ouvrage que j'avais laissé la veille à moitié fait, nous eûmes la surprise de le trouver achevé.
Il avait été terminé par les castors. Dans cette construction, j'avais en effet employé le même procédé qu'eux, qui bâtissent les barrages à l'inverse de ce que font nos ingénieurs, en amoncelant les matériaux de construction divers; de branches d'arbres, de pierres, de terre glaise, de racines en amont du barrage, au leu de les mettre en charge en aval.
Ainsi établis, ils ne risquent jamais d'être emportés par le courant, l'eau arrivant sur un plan incliné au lieu de buter contre un mur à pic.
Je crois pouvoir dire que ces barrages construits par les castors étaient infiniment préférables à ceux de nos ingénieurs surtout quand il n'y avait pas de pelle de fond à ménager et qu'il s'agissait de construire une simple digue pour effectuer une retenue d'eau.
On peut les imiter sans crainte, on en aura toute satisfaction comme facilité d'exécution et comme dépense.
À la suite de ces barrages dans la rivière Gamache, nous eûmes non plus un ruisseau, mais une véritable rivière avec possibilité de pêcher la truite près de la maison, ce qui fut très apprécié par nos invités en villégiature.
Je quittai l'île le 13 août et étais à Québec le 15 où je remis au Bureau de la Marine le livre des pilotes, modifié par moi comme dit plus haut.
J'organisai le voyage à l'île avec pêche aux saumons et séjour à la villa (en mon absence) de l'honorable Turgeon, du Juge Langelier et M. Edouard Garneau.
Mr. Gibsone se rendit disponible pour les accompagner et s'occuper de leur déplacement qui eut lieu le 21 aout et leur donna toute satisfaction.
Ils pêchèrent les 21 et 22 août à Jupiter, et à quatre pêcheurs en deux jours, prirent vingt-quatre saumons.
Je pris la Touraine à New-York le 18 août et étais de retour en France le 25 courant, ayant fait le voyage avec nos amis M. et Mme Wibzig et M. Dewilder.
Le 26 octobre, notre entente avec les Pères Eudistes fut signée par le Rév. Père Le Doré leur supérieur. Ce fut la base d'un concordat qui régla définitivement nos relations avec notre chapelain et le clergé.
Mgr. Guay nous quitta et fut remplacé par le Révérend Père Travers.
Le quai de la baie Ellis étant terminé, il devenait nécessaire de l'aménager et de le compléter par les feux qui en indiqueraient l'entrée et donneraient des alignements aux navires qui voulaient s'y rendre.
Aussi Menier s'adressa-t-il à la maison Sautter & Harlé de Paris, les grands constructeurs de phares universellement connus dans le monde.
Il fût décidé que nous aurions deux phares: le moins élevé, de 20 mètres de hauteur, serait placé au bout du quai de Port-Menier, l'autre de 30 mètres près de la villa.
Les navires venant du large prendraient l'alignement de ces deux feux qui les conduiraient au bout du quai.
Ces deux lumières seraient au pétrole sous pression, à feux fixes et les secteurs éclairants ne dépassaient pas les deux caps de l'entrée de la Baie: le cap Henri et le Cap à l'Aigle.
Le Gouvernement Canadien fut informé de cette amélioration que nous apportions aui service de la Navigation à l'île et nous accorda la franchise pour les droits: ils seraient considérés comme «settlers effet». et ne paieraient pas de douane.
Il fut convenu avec Sautter & Harlé, qu'ils seraient expédiés dans le courant de juillet.
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