L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé |
Nos hommes avançaient du côté du vent, empilant les souches éparses, les rallumant ainsi que les racines et bientôt, le tout s’éteignit faute d’aliment.
Nous eûmes un espace d’environ quarante hectares, prêt à être labouré.
Le feu n’avait causé aucun dommage, mais en aurait-il fait, qu’on ne pouvait le regretter, car sans lui, pas de colonisation possible.
Ce défrichement fut une date pour nous, car il mettait à l’abri de l’incendie l’emplacement où nous allions construire nos établissements définitifs.
Tout ce qui était inflammable dans le sens du vent régnant, le nord-ouest, avait disparu, nous n’avions plus dans cette direction que des terres labourées. L’expérience du défrichement de la baie Ste-Claire, nous avait profité.
L’ingénieur, M. Jacquemart, se mit tout de suite à faire les dessins du brise-lames et les sondages nécessaire.
Le point de départ de cet ouvrage fut fixé à cent mètres au sud du canal, sur une pointe d’un terrain déboisé d’une dizaine d’hectares, où seraient édifiés nos bâtiments sur une place centrale autour de laquelle les constructions seraient établies, la face principale regardant la mer.
Le quai déboucherait donc sur cette place, en face du bâtiment de l’administration, ce qui était pratique pour le contrôle de tout ce qui se faisait sur l’appontement.
Mr. Joe Peters, dont le père avait une grande partie du port de Québec, nous fournit des modèles de caissons «cribbs» que nous devrions employer pour notre quai.
Ceux-ci, en bois carré entrecroisé de forts madriers, furent construits à terre avec le bois de l’île. Ils avaient à leur extrémité des encastrements pour s’emboiter les uns aux autres.
Le premier, solidement fixé à terre, les autres égaient mis en flotte et amenés à leur place, au fur et à mesure de l’avancement des travaux.
On les chargeait de pierres et on les posait au bout, les uns des autres.
Le transport des caissons se faisait à marée haute, qui n’était que de cinq pieds, mais suffisait pour permettre de les mettre en place sans difficulté.
Nous devions ainsi, mettant des caissons bout à bout, arriver à l’endroit où le sol prenant de la profondeur, on devrait commencer le port et où des caissons de taille de plus en plus grands seraient alors requis, mais ce point serait atteint qu’à une distance d’environ mille pieds du début du quai et le «Savoy» n’y accosterait que lorsqu’il serait achevé, ce qui ne pourrait être fait que dans deux ans.
Nous donnerions au port, proprement dit la longueur de 400 pieds, qui serait prise après les mille pieds dont il est question plus haut, pour que deux navires de la dimension du «Savoy» puissent y tenir ensemble.
Les premiers caissons furent mis en place au début d’août et le travail se continua jusqu’à l’hiver.
Au lieu de n’employer pour ceux-ci que l’épinette «spruce» ainsi qu’on le faisait partout au Canada, ayant confiance dans ce que m’avait dit l’explorateur Joseph Bureau lors de notre premier voyage autour de l’île, je ne pris que le sapin, très commun sur celle-ci tandis que l’épinette y était très rare.
Il m’avait affirmé que notre sapin ordinaire valait le «spruce». Ce sapin ne nous donna jamais aucun ennui et nous l’employâmes dans tous les travaux du quai, sans avoir à le regretter.
Les défrichements le long de la route de Ste-Claire à Rentilly furent poussés activement. On fit d’autres de ce dernier endroit au lac Plantin et on commença à dessoucher les deux côtés de ces chemins.
À la jonction de cette voie avec celle de la baie Ellis, à l’emplacement choisi pour faire la ferme de Rentilly, nos construisîmes un grand camp et une écurie.
Ces deux bâtiments furent ensuite incorporés à la ferme. À proximité, nous défrichâmes un terrain de très bonne terre où l’on trouva de l’eau en abondance, il fut réservé pour les potagers.
Mr Picard avait trouvé le sol excellent. L’endroit nommé la «dynaraisre?» (où la rivière Plantin traverse la route de la baie Ellis, sous un pont fait l’an dernier, d’où elle tombe en cascade dans la prairie du fond de la baie «Joliet») estima que ce serait un bon emplacement pour une ferme qui, construite à flanc de coteau et en contrebas d’une chute, recevrait cette eau sous pression et pourrait l’utiliser dans tous les bâtiments.
Nos décidâmes d’y faire construire, en attendant, un camp et une écurie pour permettre aux gens de se loger pendant les défrichements que l’on ferait alentour.
J’eus la visite du juge Simard qui m’apprit comment s’était conduit à son égard le nommé John Stubbert l’opérateur du télégraphe de Fox Bay, se solidarisant avec les «squatters», celui-ci le reçut à son débarquement par une fusillade telle qu’il dût rejoindre le «Savoy».
Il avait été envoyé par le gouvernement signifier aux gens de Fox Bay, le jugement qui leur ordonnait de quitter l’île, et voilà quelle réception lui avait été faite.
Il se rendait à Québec pour porter plainte contre cet homme et le faire mettre en prison.
LE 10 JUIN 1899
Je décidai de remonter en même temps que le juge par le «Savoy» à Québec, pour les mesures à prendre contre les «squatters» et John Stubbert en particulier, vu leur attitude nouvelle.
Aussitôt arrivé à Québec, Mr. Gibsone et moi eûmes plusieurs entretiens avec l’honorable Marchand, premier ministre de la province de la province et le Révérend Griffits, très ému de la conduite de son protégé.
Il fut convenu avec lui qu’il se rendrait à Fox Bay pour voir par lui-même ce qui en était et tâcher de faire entendre raison aux insoumis.
Gibsone et moi, nous nous rendîmes ensuite à Ottawa où nous fûmes reçus par l’Honorable Israël Tarte, ministre fédéral, auquel nous exposâmes la situation, dont il était déjà prévenu par le juge Simard qui lui avait envoyé un câble de l’île.
Il avait tout de suite donné l’ordre d’emprisonner Stubbert et venait d’apprendre que Mr. Pope, le surintendant des lumières de l’île, avait fourni caution pour lui, empêchant ainsi son emprisonnement.
Il nous dit qu’il allait signer tout de suite la révocation de cet employé, et que l’incarcération de Stubbert se ferait immédiatement aussitôt la caution retirée.
Il nous assura qu’il considérait notre cause comme absolument juste et tenait à nous protéger, et me demanda ce qu’il pourrait faire pour nous venir en aide.
Je lui suggérai alors de ne plus donner qu’à nos gens les licences de pêche autour de l’île, ce qui fut accordé. Il fut entendu qu’il serait signifié aux gardiens des lumières d’avoir à cesser la chasse et la pêche qu’ils pratiquaient sans droit.
Les terrains du gouvernement qui entouraient les phares allaient être exactement délimités, comme position et quantité de terrain. Certains où résidaient les employés des postes seraient déplacés car ils pourraient nuire aux installations nouvelles que nous avions l’intention de faire dans l’île.
La licence que plusieurs s’arrogeaient, de couper le bois où bon leur semblait, leur serait supprimée. On aurait à nous payer celui qui serait coupé dans l’île et nous-mêmes indiquerions les endroits où on pourrait le prendre, cela sous la surveillance de nos gardes.
J’obtins aussi l’autorisation d’acquérir un lot en eau profonde dans la Baie Ellis, à l’endroit où nous construisions notre quai, ce qui nous rendrait entièrement maitre de toute la baie.
Mr. Tarte téléphona au nommé Bradley, de la rivière Chaloupe, qui avait également donné caution pour le nommé Stubbert, d’avoir à nous vendre sa terre au prix très raisonnable que nous avions offert de 600 dollars qu’il refusait actuellement, sinon il serait aussi révoqué et exproprié toute suite pour cause d’utilité publique. Bradley s’inclina immédiatement et accepta toutes ces conditions.
Il nous fut aussi reconnu le pouvoir de continuer à mettre nos lignes de téléphone sur les poteaux télégraphiques du gouvernement.
Notre visite avait été profitable. J’en remerciai sincèrement l’honorable Ministre de la part de M. Menier.
Étant rentré à Québec, je pus repartir tout de suite pour l’île. Nous emportions des castors que j’avais achetés d’un trappeur du nord. J’allais les remettre en liberté en arrivant.
Pendant mon séjour à Ottawa, l’équipage avait embarqué toutes les pièces pour le montage de la scierie nouvelle que nous allions mettre à la baie Ellis.
Le 17 juillet, aussitôt descendu à l’île, je fis transporter les castors de l’autre côté du lac St-Georges, dans la rivière qui s’y jetait et eus le plaisir de les voir tous bien portants, bondir hors de leur caisses et se livrer à mille ébats de joie dans l’onde, en la faisant jaillir sur nous, et rependre le fil de l’eau pour disparaître à nos yeux. Cette rivière s’appellera désormais la rivière aux Castors.
La veille de notre arrivée, un grand navire, le «Merrimac» de 4,000 tonnes, avait fait naufrage à la baie aux oiseaux à l’est de l’île, par temps de brune et s’était échoué par haute mer, ce qui rendait sa perte probable.
J’envoyai tout de suite le «Savoy» pour lui porter secours. Arrivé près de lui, le capitaine demanda au nôtre de prendre une amarre à bord et de haler dessus pour essayer de le déséchouer. Il fit le prix de 500 dollars par jour, pour dix journées pendant laquelle le «Savoy» serait à sa disposition.
Le «Savoy» lui apporta toute l’assistance possible, mais n’obtint aucun résultat, le navire se démolissait d’heure en heure. Tout à coup, il s’éleva une forte tempête d’est, qui ouvrit le bâtiment en deux et l’équipage et les officiers n’eurent que le temps de quitter le bord et d’embarquer sur le «Savoy».