L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé |
Ce bois se terminait à environ trois milles plus loin vers l’est, à l’endroit où la route commence à s’élever dans la montagne.
Ces importantes décisions prises, et tous les travaux étant en plein cours d’exécution, nous partîmes d’Ellis sur la «Bacchante» le 13 août pour la rivière Jupiter, afin d’y faire la pêche au saumon.
Débarqués sans encombre avec tout notre personnel, nous nous rendîmes en pool des douze milles où nos restâmes trois jours à pêcher.
Nous primes quatorze saumons de 10 à 16 livres, mais cette fois on était un peu tard dans la saison et le gros des saumons était passé.
Le vrai moment pour la pêche à Jupiter était la première quinzaine de juillet. Il faudrait en tenir compte à l’avenir.
Le 16 août, nos étions de retour à Ellis, le lendemain nous partions pour Québec.
En arrivant dans cette ville, nous apprîmes par Mr. Gibsone, la campagne organisée par les journaux locaux contre notre attitude vis-à-vis des «squatters» de Fox Bay.
Les quotidiens dénaturaient les faits de la façon la plus complète, représentant M. Henri Menier comme abusant de sa fortune pour abattre des malheureux et cherche à expulser de chez-eux des gens qu’il n’avait aucun droit de molester.
Toute leur sympathie allait vers ces braves marins, pères de nombreuses familles, incapables d’une mauvaise action et si religieux.
Le gouvernement était sommé de leur rendre justice en leur donnant son appui.
Les journaux méthodistes surtout poussaient les choses à l’extrême.
Leur chef, un excellent homme du reste, le révérend (St??) ému de pitié et certainement animé des meilleurs intentions, menait la campagne et nous chargeâmes Mr. Gibsone de se mettre en rapport avec lui, pour lui exposer le bien-fondé de nos revendications et lui faire comprendre qu’il était sous l’influence de fausses représentations et que les dires des intéressés étaient absolument contraires à la vérité.
Nous eûmes à ce sujet de longs entretiens avec le Ministère des Travaux Publics, l’honorable Israël Tarte, qui remplaçait le Ministère de l’Intérieur et promit que justice serait rendu, convaincu qu’il était de notre droit par les récits des officiers de marine qui lui avaient fait des rapports détaillés sur la question et lui avaient donné des preuves que ces «squatters» n’avaient aucun droit quelconque à revendiquer et étaient des gens, peu recommandables.
Nous eûmes de belles réceptions chez le lieutenant gouverneur Sir Louis Jetté, qui nous reçut à Spencer-Wood avec Lady Jetté, son gendre et sa fille, le Dr et Mrs Grondin.
Le maire de Québec, nous reçut à l’Hôtel de ville et nous fit visiter les services de la municipalité.
Le colonel Turnbull, président du Garnison club, donna dans ce Cercle une réception en notre honneur, où nous rencontrâmes toutes les personnalités de la société de Québec.
Nous fumes aussi très aimablement reçus dans leur belle propriété des chutes de la rivière Montmorency par Mr et Mrs Price, grands amis de nos constructeurs Mr Peters et notre avocat Mr. Gibsone.
Une grande fête fut donnée à bord de la «Bacchante» où furent conviées toutes les personnalités de la ville et nos amis canadiens, qui, anglais, comme français, nous avaient si bien accueillis depuis notre arrivée dans le pays.
Dans les premiers jours de septembre, nous étions de retour à Anticosti où nous restâmes le temps de voir ce qui avait été fait en notre absence, et où bien des choses restaient encore à décider.
Nous quittâmes l’île après avoir réglé ces différentes affaires et donné nos instructions pour les travaux à venir. Nous avions l’impression que notre travail avait été utile, qu’il restait beaucoup à faire, mais que nous étions dans la bonne voie et n’avions qu’à persévérer pour réussir.
La confiance dans l’avenir et le ferme vouloir du patron devaient nous conduire au succès.
Tout le personnel l’assura, lors de son départ, de la bonne volonté de chacun et du désir général de l’aider du mieux qu’il serait possible, pour la réussite de cette belle et grande entreprise.
Fin août, après une belle traversée - la majeure partie fait à la voile tous feux éteints - nous débarquions au Havre.
Arrivés à Paris, nos trouvâmes un important courrier de Mr. Gibsone, avec des coupures de plus de cent journaux canadiens et anglais au sujet de l’affaire des «squatters».
Le Daily Mail, Witness, Daily Telegraph, St-James Gazette, Evening Standard, Times, l’Argonaut de San Francisco, la Westminster Gazette, le Pall Mall, etc. donnaient des informations des plus singulières sur notre affaire, le plus grand nombre blâmant M. Menier d’abuser de sa fortune pour accabler des pauvres déshérités, allant jusqu’à affirmer l’existence d’artillerie destinés au gouvernement français, pour une expédition qu’il allait entreprendre pour reconquérir le Canada.
D’autres journaux, il est vrai, mais en moins grand nombre, prenaient notre défense et nous rendaient justice, comme le Soleil de Montréal, le Devoir de Mr. Henri Bourassa qui, heureusement, étaient des journaux locaux importants.
À la fin de cette année, la situation était grave, le gouvernement français s’inquiétait, Menier eut de nombreuses entrevues avec les ministres, et de échanges de notes diplomatiques eurent lieu entre les gouvernements anglais, français et canadien à cet effet.
1899
L’enquête demandée à Lord Aberdeen fut commencée par lui, mais comme il quittait le Canada, Mr. Chamberlain envoya une seconde dépêche au nouveau gouverneur Lord Minto le 2 février 1899, lui faisant la même requête.
Le 11 mars, le Solitor général du Canada, Sir Fitzpatrick, écrivit une note au premier ministre, Sir Wilfrid Laurier, lui donnant la liste des divers propriétaires et acquéreurs d’Anticosti depuis Joliet, jusqu’à l’acquisition de l’île par Henri Menier et concluait en reconnaissant que l’achat était parfaitement régulier, sans contestation possible.
Enfin, le 18 mars, Sir Wilfrid Laurier accusait réception de cette lettre et demandait à Sir Fitzpatrick d’écrire au «Colonial Office» d’Angleterre ces renseignements.
Des instructions furent envoyées à Mr. Gibsone pour qu’il agisse avec une grande prudence, mais aussi avec fermeté.
Nous reçûmes une réponse de lui où il nous rendait compte des démarches qu’il avait faites pour arriver, si possible à un règlement amiable avec le Révérend Griffith, nouveau chef des Méthodistes de la province, homme de caractère droit et charitable.
Mais les exigences injustifiables des «squatters» empêchaient toute possibilité d’accord.
Les nouvelles de l’hivernage à l’île étaient bonnes. Pas de malades, la chasse aux fourrures avait été productive, donnant beaucoup de travail aux habitants, ainsi que le chantier d’hiver, et déjà avant Noël, l’équipe Bélanger avait coupé et mis en rool-ways plus de 27,000 billots de 12 pieds de long, billot normal.
Avant mon départ, il fut entendu avec M. Menier que notre centre était désormais à la baie Ellis, que tous les travaux à Ste-Claire seraient arrêtés et que nous allions pousser la construction du port.