L'ÎLE IGNORÉE par Martin-Zédé |
C’était pour la naissance du fils à M. Landrieux, le comptable qui avait épousé l’an dernier la sœur de Malouin.
En venant assister au baptême, M. Malouin avait été arrêté, sur le chemin de la pointe ouest, avec sa voiture, par un ours qui lui en disputait le passage.
Le cheval, ayant pris peur, faillit le renverser. Cependant l’accident fut évité.
La «Constance» était arrivée le matin avec le capitaine May, du service des douanes. Il nous salua d’un coup de canon.
Il venait se renseigner sur les débarquements qui se faisaient dans l’île et je pus lui dire que nous ne recevions d’autres visites que celles du «Savoy» venant de Québec.
Son opinion sur les «Squatters» de Fox Bay n’était pas flatteuse pour eux. Il abondait dans le sens du commandant Wakeham. Nous avions affaire à des naufrageurs et à de véritables conviats.
Nous décidâmes la construction d’un sanatorium pour les animaux en cas d’épidémie et même pour les éviter. Nous en choisîmes l’emplacement à trois milles au nord de Ste-Claire, dans une baie abritée, terrain facile à défricher. Il aurait deux hectares de superficie, une petite rivière le traversait qui fournit l’eau aux bestiaux.
Nous construirions un abri ouvert au midi, fermé sur les autres côtés et ferions un chemin pour permettre d’y conduire les animaux. Tous les animaux de boucherie devraient y être conduits aussitôt débarqués pour y être mis en observation.
J’avais envoyé Joe Duguay me faire un portage entre la Baie Ellis et le lac Plantin, grand lac d’environ 500 hectares, situé au nord et à environ douze milles de la dite Baie.
Ce lac, profond par endroits de plus de trente pieds, était en charge au moins de 50 pieds au-dessus de la baie Ellis, ce qui pourrait être très intéressant pour l’avenir, car si notre centre, comme j’avais tout lieu de le croire, se trouvait plus tard dans cette baie, il pourrait fournir sous pression une eau abondante en rapport avec l’importance du développement éventuel de ce centre.
J’étais allé avec le chef des gardes, Richard chercher un emplacement pour faire un parc et créer une ferme à renards. Leur élevage devait être facilité par le poisson avec lequel nous pouvions les nourrir, en ayant en abondance et qui constituait leur nourriture préférée.
C’était celle qui leur donnait le plus beau poil de l’avis des trappeurs, qui étaient tous en général d’accord pour dire qu’il n’y avait réellement, pas de belle fourrure loin de la mer ou en tout cas, des rivières et de lacs, où les animaux trouvent du poisson en abondance.
J’avais pensé qu’il serait intéressant de faire cet élevage que personne n’avait encore tenté. Nous en mettrions dans ce parc, que des renards argentés et ferions par la suite, des sélections pour en améliorer la race.
Il fallait trouver un endroit assez isolé assez grand, bien abrité, où la neige ne «poudrerait» pas, car souvent, dans l’île, celle-ci amassée par le vent s’élevait à plusieurs mètres de hauteur, et, comme nous devions faire des palissades en grillage, les renards auraient pu passer par dessus.
Nous dûmes donc chercher dans le grand bois (car la neige ne poudre jamais dans le bois debout).
Il fallait, au milieu, ménager une clairière pour qu’il y eut de l’eau courante et que la terre fut assez profonde pour qu’il puisse y ensevelir le bas du grillage à 50 cm. de profondeur au moins.
Il était nécessaire de pouvoir agrandir le parc, selon les besoins, car les renards d’âge différent se battent en captivité et il fallait pouvoir les séparer.
Un bon emplacement fut trouvé à peu de distance du pont des «trois milles» et à plus de cent mètres de la route, par conséquent dans un endroit bien tranquille. L’eau y était en abondance, terre profonde, grand bois.
Je décidai d’y faire le parc. Il aurait cent mètres de long sur soixante de large. Nous avions du grillage galvanisé venant de France, très solide, de un mètre trente de hauteur.
Nous enterrerions sa base d’environ cinquante centimètres et la chargerions de terre battue et de lourdes pierres.
Ensuite, trois hauteurs de grillages superposés, puis, au-dessus, une plaque de zinc d’environ cinquante centimètres fixée par de solides fils de fer reliant le tout.
De forts poteaux de cinq mètres de hauteur, placés tous les trois mètres et enfoncés d’un mètre dans le sol, supporteraient tout ce grillage avec des haubans en fil de fer à l’intérieur et à l’extérieur, prenant appui sur les arbres voisins. Porte double à l’entrée, surélevée de cinquante centimètres.
Richard et son frère Pierre, avec deux autres gardes, se mirent tout de suite au travail qui fut terminé quinze jours après. Avant mon départ, Joe Duguay nous ramena deux jeunes renards argentés qui y furent placés et semblèrent se convenir très bien.
M. Picard, chef du Service Agricole, me proposa de construire une vaste porcherie à Baie Ste-Claire, celle que nous avions étant insuffisante. Les porcs avaient passé un bon hiver sans souffrir du froid, ils engraissaient facilement.
D’autre part, ils étaient très friands de poissons et d’anguilles, que nous avions en abondance, et trouvaient de la nourriture importante dans le défrichement où ils fouillaient la terre et mangeaient les racines de salsepareille qui y poussaient en quantité.
Enfin, nous leur donnions tous les déchets du camp où nous avions augmenté le nombre des ouvriers, ce qui fournissait un excès de nourriture d’autant plus grand que le travailleur canadien a une habitude invétérée, celle de ne jamais utiliser les restes de ses repas dû un peu à la vie large qu’ils ont dans ce pays.
Ils ne représentaient jamais le même plat après qu’il fut passé sur la table. Nous pouvions donc envisager l’élevage en grand du porc, étant donné qu’il constituait la principale nourriture de l’ouvrier canadien.
Les moustiques avaient été pour nous de terribles ennemis et nous avions pu constater l’importance qu’il y aurait à les détruire.
Le docteur Schmitt avait fait son possible et avait trouvé, non un remède pour les exterminer, mais un palliatif qui nous avait rendu la vie possible cette année là.
C’était un liquide qui provenait de deux corps solides mélangés, le camphre en poudre et le salol en poudre également, en proportion d’un quart de plus de salol que de camphre. Cent grammes de camphre pour cent vingt-cinq de salol.
Le liquide obtenu était limpide, ne tachait ni ne graissait, avait une odeur agréable. Aucun moustique ne lui résistait, tant qu’il n’était pas évaporé.
La tête, le cou, les poignets, les mains, les chevilles garnis de cette composition étaient absolument protégés de ces insectes et nous n’avions qu’à en remettre quand elle était évaporée, environ toutes les demi-heures. Ainsi nous pouvions travailler en plein air.
Mais il faudrait trouver autre chose. Le docteur s’était mis en rapport avec le Smithsonians Institute de New-York et le Chicago Institute, mais les procédés qui lui avaient été signalés, comme ayant produit bon effet à Panama et à la Jamaïque, semblaient inapplicables ici.
La base en était l’assèchement des marais et l’épandage du pétrole sur les mares stagnantes, Or, la quantité des lacs, des marais des savanes humides, des ruisseaux et des rivières rendait inopérant et impossible l’emploi de ce procédé. La fortune d’un royaume entier n’y aurait pas suffi. Il faudrait trouver autre chose.
Un autre ennemi, nous avait causé aussi de grands ennuis et de perpétuelles alarmes, je veux parler du feu avec lequel nous avions eu à lutter ici pied à pied, pendant tout l’été. Plusieurs fois, nous avions été sur le point de voir nos maisons devenir la proie des flammes.
Nous avions des veilleurs de nuit qui nous avertissaient des sautes et des reprises du vent, d’autres tous prêts pour combattre le feu, mais rien n’y faisait.
Ignorants du danger, nous avions construit nos maisons en bois sur un sol éminemment inflammable de bois en décomposition. Nos constructeurs habitués aux villes, ne connaissaient pas le péril auquel ils s’exposaient en ne commençant pas par faire place nette, chaque fois qu’ils entreprenaient une maison.
Ils avaient élevé leurs constructions sur un bûcher qu’une étincelle suffisait à allumer.
Nous dûmes faire brûler cet amadou entre les maisons, avec des risques très grands, jusqu’à ce que le gravier fût atteint. Le moindre vent s’élevant pendant cette opération risquait de communiquer le feu à tout le village.
J’eus de grosses alertes, la nuit surtout. La responsabilité m’incombait entièrement comme représentant du propriétaire, je devais prendre des déterminations dans l’intérêt commun. Une nuit, le vent s’étant subitement levé, le feu courait entre les bâtiments, la fumée empêchait la vue et les veilleurs n’arrivaient pas à combattre l’incendie.
Je vins au camp des hommes et voulus les faire venir à l’aide. Ils prétendirent qu’ils n’étaient pas payés pour travailler la nuit et je dus sortir mon revolver pour les mettre debout et les envoyer éteindre l’incendie.
Le sol de l’île, n’ayant jamais été cultivé, était un sol vierge où les éléments végétaux et minéraux étaient superposés dans l’ordre de leur formation d’origine. Commençant par le sous-sol, dessous était la roche calcaire sur laquelle se trouvait généralement un faible dépôt d’argile de peu d’épaisseur.
Au-dessus, le sable et le gravier provenant de la décomposition de la roche sous-jacente, puis des lits d’épaisseur variable de marne et de dépôt argilo-calcaire, enfin une couche de quelques centimètres de silice pure.
Alors commençaient, en se rapprochant de la surface, les dépôts de matières végétales dans un état de décomposition d’autant plus avancé qu’ils étaient plus éloignés de la surface du sol.
D’abord, un terreau noir, dont la teinte devenait plus claire en se rapprochant de la surface, puis du bois en décomposition sur lequel s’étendait une couche de feuilles mortes, de pousses et de lichens, selon qu’on se trouvait dans la forêt ou dans les savanes.
C’était cette couche de feuilles mortes et de mousse parsemée de foin naturel et de broussailles qui, lorsqu’elle était desséchée par le soleil et le vent, devenait une matière excessivement inflammable que la moindre étincelle suffisait à allumer.