Je dois à l'obligeance de M. Dernier de Valois, qui a longtemps voyagé dans l'intérieur du Pérou, et qui maintes fois a entendu les yaravis des Indiens, chantés, et joués par eux sur la quena, la communication de deux de ces chants.
Ils sont empreints d'une tristesse sans espoir, et l'expression s'y manifeste par des intervalles chromatiques, qui ajoutent au vague de la forme le vague de la tonalité, comme dans certains airs de Lulli et certaines élucubrations des compositeurs les plus avancés de la nouvelle Allemagne.
Qui sait pourtant de quelle époque lointaine datent ces curieux spécimens de l'art perdu des aborigènes américains?
J'ai soumis à mon savant ami, M. Ambroise Thomas, ces airs péruviens qui lui ont paru d'une élévation de sentiment extrêmement remarquable. Il a bien voulu les harmoniser, ce qui, du reste, n'était pas une entreprise facile, car il fallait donner aux parties accessoires le caractère d'étonnante tristesse, de pittoresque grandeur, de sombre fatalité qui caractérise à un si haut degré la partie principale.
Ce travail délicat, M. Ambroise Thomas l'a fait tel qu'on devait l'attendre du poétique auteur du Songe d'une Nuit d'été et d'Hamlet.
L'habit sonore dont le compositeur a revêtu la chaste nudité des thèmes péruviens, n'est point un habit d'emprunt décroché au hasard de l'harmonie dans le grand vestiaire du contre-point par une main lourde et mal inspirée.
Ici chaque note de l'accompagnement est un accent nouveau qui prête aux accents de la mélodie mère une couleur plus vive sans en altérer le sens expressif.
Le timbre, qui joue un rôle si important dans l'effet de ces airs, n'a point été négligé. En les écrivant pour trois saxophones,
M. Ambroise Thomas a justement pensé que cet instrument dont la voix est si suave, si sympathique et si émue, pouvait mieux qu'aucun autre rendre la pensée pathétique de ces étranges mélopées.
Mais avant de faire entendre ces yaravis, notre bienveillant auditoire nous permettra d'en citer trois autres par la voie du saxophone, qui nous paraissent mériter l'attention.
Le premier, que nous empruntons au livre de M. de Rivero en te dégageant des ritournelles et des plates harmonies dont on a voulu l'embellir, se distingue par une tonalité franche et un caractère particulier de mélancolie.
Le second, plus beau que le premier, est tiré du recueil publié par M. C.-E. Soedling, professeur de musique suédois qui a fait un séjour de cinq ans au Pérou.
Le troisième est un air de danse dans le mode majeur, d'une mélodie parfaitement pondérée, d'un caractère tout européen. Il est également tiré d'un recueil publié par M. Soedling à Stockholm.