La huara-puara, fait judicieusement observer M. Chouquet, conservateur du musée instrumental du Conservatoire de Paris, dans son catalogue raisonné des instruments de cette collection, n'a point de clavier et reste par conséquent dans la catégorie des flûtes de Pan ; mais il s'y trouve un rang de sept tuyaux ouverts et un autre rang de sept tuyaux bouchés; cet emploi des tuyaux comme dans la construction des orgues, ne saurait passer inaperçu.
En effet, d'un pareil instrument à l'invention de l'orgue, il n'y a qu'un pas. Mais un pas dans la voie du progrès est un intervalle séparé souvent dans l'histoire des nations par des siècles d'indifférence, de routine ou de timides tâtonnements.
Qui pourrait dire que jamais les Mexicains auraient de leur côté inventé l'orgue, un des plus anciens instruments de l'ancien monde, dont l'invention première serait due à Aesibius, célèbre mathématicien d'Alexandrie qui vivait sous le règne de Ptolémée Thysicon, cent vingt ans avant Jésus-Christ ? Il est tout au moins permis d'en douter.
Mais quittons le Mexique et arrivons dans le royaume des Incas, le plus civilisé des anciens États de l'Amérique, par conséquent celui qui fut le plus musical des pays découverts par les navigateurs espagnols et portugais du XV° et du XVI° siècle.
Le royaume des Incas
Il existait avant la découverte du Nouveau Monde, au Sud du continent américain baigné par la mer Pacifique, entre le fleuve Tumbes et le môle, un peuple nombreux et puissant quoique d'une grande douceur.
Ce fait d'un peuple nombreux et puissant quoique d'une grande douceur est assez rare pour mériter d'être mentionné.
Les aventuriers qui virent ce peuple d'honnêtes gens admirèrent leur civilisation avancée, rendirent justice à leurs habitudes d'ordre, autant qu'à leurs mœurs tranquilles, et les trahirent pour en faire leurs esclaves. Ce fait est moins rare.
Ces Américains formaient le vaste empire des Incas. Ils se croyaient les fils du soleil et adoraient cet astre, auquel ils consacrèrent un temple d'or et d'argent dans leur capitale de Cuzco, à côté du collège mélancolique des vierges vouées au culte du dieu resplendissant.
De ce peuple, le premier entre tous ceux du nouveau continent, dont les sages institutions politiques et sociales auraient pu servir de modèle à plus d'une nation européenne, que reste-t-il à cette heure ?
Rien, que quelques parias échappés aux abominables boucheries espagnoles et un instrument de musique, la triste, la timide, la fatidique quena.
Mais si la quena est le seul instrument qui soit resté aux Indiens du Pérou pour chanter leurs regrets et tous leurs malheurs, elle n'était pas, tant s'en faut, le seul instrument du peuple des Incas.
Dans ses lettres américaines imprimées à Boston, M. le comte Carli, président émérite du conseil suprême d'économie publique, parlant de la célébration des cérémonies religieuses en l'honneur du Soleil, fait une courte description — trop courte, — de la musique qu'on y entendait. Nous citons textuellement :
« Après les offrandes, dit-il, qui consistaient en divers ouvrages d'art : — statues d'or et d'argent, enrichies de turquoises et d'émeraudes ; — après le sacrifice du pain et de la liqueur sacrée, que les prêtres péruviens mangeaient et buvaient, le peuple se livrait à la joie autant que la décence le permettait, et la musique accompagnait les danses, et les chants. »
(Sans doute aussi la musique se mêlait aux représentations théâtrales, très en honneur dans l'ancien Pérou).
Dans ces fêtes, continue M. le comte Carli, où l'on voit des danses et de la musique, chacun avait les mêmes instruments, dans les mêmes provinces. Ceux de Colla se servaient particulièrement d'une flûte composée de cinq brins de roseau de grosseur et de longueur différentes.
Les sons en répondaient à nos premiers dessus (soprano) à la haute ou première taille (ténor), à la haute-contre (contralto), et à la basse (basso).
Lorsqu'ils jouaient à deux, la seconde partie répondait parfaitement en proportion de quinte plus basse ; mais ils ne connaissaient ni la dégradation ni la diminution des tons.
Ils jouaient aussi de flûtes simples qui n'avaient que quatre ou cinq sons. Malgré son peu d'étendue, cet instrument était celui des amants ; il était consacré aux airs et aux chansons d'amour.
Les trompes, au contraire, étaient les instruments militaires, de même que les tambours. Tous ces instruments servaient à mettre le peuple en joie, et à le faire danser. L'empereur aimait la musique telle quelle, avec les joueurs d'instruments et les chanteurs.
Un seigneur aurait été déshonoré s'il avait ignoré cet art utile à la société, et la comédie était un des plaisirs au Pérou.
L'idée de la tyrannie étant inconnue dans le royaume des Incas, on ne songeait qu'à plaisanter sur les ridicules ou à produire les belles actions des héros de la patrie pour donner de grands modèles à imiter.
Quelques missionnaires s'étant aperçu de ce génie et de ce talent des Péruviens, leur firent représenter, au lieu de comédies de mœurs ingénieuses et agréables, de pitoyables scènes sur les actions de la madone, du petit Jésus et sur divers usages de l'église espagnole à cette époque.
Ces sortes de mystères catholiques obtinrent peu de succès, et les Péruviens revinrent toutes les fois que les Espagnols le leur permirent, aux pièces théâtrales de leur pays.