Oscar Comettant est correspondant de Guerre pour le journal parisien Le Siècle dans la dispute Holstein-Schlewing du Danemark se défendant contre la Prusse et l’Autriche.
Copenhagues, le 29 février 1864
Le navire de guerre qui doit me conduire dans l’île d’Als ayant retardé son départ de quarante-huit heures, je me suis vu forcé de rester ce temps-là à Copenhague.
Aucun fait important ne s’est produit devant Düppel depuis la dernière reconnaissance des Danois, reconnaissance effectuée il y a huit jours, et qui leur a coûté cent hommes morts ou blessés. Les dépêches qui nous arrivent ici deux fois par jour du théâtre de la guerre, nous annonçaient hier que de forts détachements de Prussiens se sont avancés jusqu’à porté de canons danois; ces canons pourtant, sont restés muets, et les soldats prussiens de leur côté n’ont pas brûlé une amorce.
Il semble qu’on craigne de part et d’autre d’entamer une lutte générale, qui pourtant paraît inévitable. En effet, outre la question politique qui a amené le commencement des hostilités, il y a, entre les Prussiens et les Danois une question d’honneur militaire engagée. Les Prussiens veulent prendre leur revanche de Missunde; les Danois, effacer par une résistance héroïque, sinon par une bataille gagnée, le mauvais effet produit dans tout le pays et devant l’Europe par la retraite de Danewerke, qui ressemblait fort à une déroute. Après la bataille, lorsque des flots de sang humain seront répandus, que mille familles seront dans le deuil, alors seulement on pourra conclure quelque arrangement.
Hier soir, après bien des hésitations et cédant à une véritablement pression morale, le roi a signé la destitution de l’ex-général en chef de Meza (?) et nommé son remplaçant, le général de division Gerlach, Cette nomination a été très bien accueillie parmi le peuple autant que dans l’armée.
Le général a soixante-quatre ans, et c’est lui qui commandait à Missunde. En 1849, il s’est distingué à la bataille de Fredericia et s’est montré un peu plus tard, à la bataille d’Isted, plein de sang-froid et d’intrépidité. C’est peut-être l’officier le plus populaire, le plus national et le plus libéral de toute l’armée danoise.
On croit généralement qu’un des premiers actes de son commandement en chef sera de prendre l’offensive contre les Prussiens.
Le général Gerlach est né dans le Schleswig, qui jusqu’ici a eu le privilège de fournir les plus illustres généraux danois. En effet, les généraux Bulow et Krogh, qui commandaient à Frédéricia et à Isted, étaient tous deux Schleswigiens.
Les journaux danois ne cessent de protester contre l’accusation que la confédération germanique a portée contre le Danemark, d’avoir, par la constitution du 18 novembre dernier, incorporé le Schleswig au royaume proprement dit. Ils se plaignent, et non sans raison, des subtilités de la diplomatie allemande dans le but évident d’embrouiller à plaisir une question déjà si peu claire par elle-même. Suivant les Danois, la constitution incriminée ne change en aucune façon l’ordre de choses établi; la magie seul d’élection serait changé, pour le figurant, lequel continuant à ne s’occuper que des affaires générales, laisserait, comme par le passé, au Schleswig, l’entière liberté de ses affaires, (illisible).
D’un autre côté, les journaux danois déplorent que la presse n’ait pas généralement saisi les nuances qui forment comme (illisible) l’objectif et le subjectif de la politique allemande d’où est née cette bouteille à l’encre appelée la question des duchés.
Il faut pardonner aux Français, dont le génie est la clarté, dont la vertu est la franchise de s’être laissés égarer dans ce labyrinthe de dépêches, de protocoles de traités et de constitutions où le plus habile peut se trouver perdu.
Toutefois, et sans entrer dans l’examen de toutes le pièces déterrées par les Allemands pour prouver que les Danois n’ont aucun droit sur le Schleswig; sans parler de celles exhibées par le Danemark pour établir avec infiniment plus de raison que le Sleswig est danois et n’a jamais appartenu aux Allemands que tout-à-fait accidentellement, il est du moins facile de se former une idée exacte du mécanisme gouvernemental danois et par suite de juger sainement des modifications que peuvent apporter dans l’avenir le nouveau système à deux chambres inauguré par la constitution du 18 novembre 1863.
Le gouvernement se compose de deux catégories de chambres. Les chambres appartenant à l’une de ces catégories dont l’une s’occupant que des affaires particulières du royaume. Cette réunion de chambres s’appelle (illisible). Les chambres appartenant à l’autre de ces catégories ne traitent que des affaires générales du royaume. Cette dernière réunion de chambre a pris le nom de (illisible).
Les affaires particulières dont s’occupe le Schleswig sont la justice, la dette, l’instruction et l’administration intérieure.
Les affaires générales qui ressortent du (illisible) sont les affaires étrangères, les finances, la guerre et la marine.
(deux à trois lignes illisibles). ...l’autre, dont le nom est... est le produit du suffrage universel à deux degrés, avec un sens d’illisibilité basé sur un impôt de 200 écus ou un revenu de 1,200 écus (l’écu danois vaut 2 fr. 80).
Le Schleswig a sa chambre particulière siégeant à Flensbourg. Le Holstein a la sienne siégeant à Ilson (?). Le Luxembourg a aussi la sienne siégeant à Ratzenbourg.
Jusqu’ici rien de plus clair. Mais avec le rigsraad (?), si souvent torturé par le caprice et l’intérêt germanique, nous entrons dans la nébuleuse allemande.
Par la constitution de 1855, le rigsraad, comprenant les affaires de toutes les dépendances de la couronne, était une chambre unique, fruit d’un suffrage restreint et d’une combinaison passablement compliquée.
Cette chambre fonctionna librement jusqu’en 1856, époque à laquelle la confédération germanique s’aperçut tout à cop que le rigsraad se trouvait par essence incompatible avec les lois fondamentales de la Confédération; qu’en conséquence il était de toute nécessité que le Holstein et le Lavenbourg, qui font partie des états allemands, fussent au plus vite soustraits à l’action du rigsraad.
En quoi le rigsraad (illisible) de la constitution de 1855, était-il par essence incompatible avec les lois fondamentales de la confédération germanique? Voilà ce qu’on n’a jamais pu savoir, malgré trois ou quatre mille pages écrites pour élucider la question.
D’abord, le Danemark résista aux exigences tardives de l’Allemagne qui avait mis trois ans à s’apercevoir d’un fait aussi grave; mais la confédération menaça d’une intervention armée et il fallut céder, à partir de ce moment, les deux duchés allemands, tout en faisant partie de la couronne de Danemark, échappèrent à l’action du rigsraad. Cette position anormale dure encore, car la constitution du 18 novembre dernier n’y a point remédié.
En quoi cette constitution a-t-elle donc pu exciter les susceptibilités de la Confédération, susceptibilités qui ont amené le conflit actuel que la Confédération déplore sans doute elle-même aujourd’hui dans son propre intérêt?
Voici: par cette constitution, le rigsraad, au lieu de n’être formé que par une chambre, se trouve composé de deux chambres, dont l’une doit être le produit du suffrage universel direct, l’autre du produit du suffrage universel aussi, mais avec un sens électoral basé sur un impôt de 200 écus ou un revenu de 1,200 écus.
C’est là toute la différence. Évidemment le Sleswig qui continue de faire, au moyen de la chambre qui lui est propre, ses affaires d’intérieur, ne se trouve pas incorporé au royaume de Danemark, par le fait seul de ce nouveau système de rigsraad à deux chambres. Il est incontestable toutefois, que la conséquence de ce changement de système sera d’attirer dans le rigsraad un plus grand nombre de députés scandinaves, au détriment des députés allemands.
Mais si dans une dépêche malheureuse de 1861 le représentant du Danemark s’est engagé à ne jamais incorporer le Sleswig au royaume, ni même à prendre jamais aucune mesure pouvant amener ce résultat, cette dépêche n’était point un traité, et elle ne doit être considérée que comme l’expression d’une volonté particulière inspirée par la situation du moment.
En tout cas, il n’y avait pas de quoi s’alarmer comme l’a fait la Confédération, et c’est vraiment un spectacle étrange et triste de voir l’Autriche et la Prusse réunies pour marcher ensemble contre un petit peuple inoffensif et éminemment pacifique, à la délivrance du Sleswig opprimé au nom du principe des nationalités.
Les dames de la société de Copenhague se sont faites marchandes pour un jour et ont ouvert boutique au profit des blessés danois. Les élégantes et gracieuses marchandes ont joint à leur commerce de détail quelques petites industries qui ont réussi à merveille. Il en est qui ont organisé des loteries, et la plus jolie femme de Copenhague, où il y a tant de jolies femmes, s’est fait.... bonne aventure.
Comme tout le monde ici, j’ai porté mon obole pour le soulagement de l’infortuné. Il m’en a coûté deux risdales, moins que rien, pour connaître mon avenir d’après la sorcière du lieu. Cette intéressante Pythonisse m’a prédit les choses du monde les plus galantes... et en français, ce qui en doublait le prix à mes yeux.
La charité ne s’intéresse pas seulement aux blessés, elle s’étend aux familles rendues nécessiteuses par la perte ou l’éloignement du chef de la communauté. Des sommes assez fortes déjà ont été recueillies dans ce but au moyen de souscriptions.
On parle d’une adresse à l’Europe signée par la population toute entière du Danemark. Hélas! pendant qu’on signera cette adresse et on la signe, les canons austro-prussiens feront leur œuvre à Duppel.