Oscar Comettant est correspondant de Guerre pour le journal parisien Le Siècle dans la dispute Holstein-Schlewing du Danemark se défendant contre la Prusse et l’Autriche.
Swendborg, le 18 avril 1864
Depuis le 8 février qu’une partie de la petite armée du Danemark s’est concentrée sur les hauteurs de Düppel, elle a tenu en échec jusqu’à hier 17 avril (deux mois et huit jours) les deux nations colosses qui ne se sont fait aucune scrupule de se coaliser contre une peuple faible et inoffensif.
Un mois et sept jours ont été nécessaires aux puissantes armées de l’Allemagne pour se préparer à combattre un ennemi après l’abandon précipité du Danewerke.
Une artillerie formidable, composée de pièces de sièce et de campagne, tirant à une distance énorme avec une précision admirable, fut tournée contre les bastions danois, munis de canons ordinaires d’une grande infériorité relative.
Depuis le 15 mars, les austro-prussiens ont obscurci l’air de tous les genres de projectiles nouvellement inventés et recouverts la terre de Duppel d’une croûte de fer.
Cependant les danois ont conservé sous ce feu terrible tous leur courage et toute leur sécurité.
Ils avaient un espoir: c’est que les deux géants qui les combattaient à une si grande distance, s’avanceraient enfin à portée de leurs armes, et qu’ils pourraient lutter avec eux.
Cet espoir se réalisa le 28 mars dernier.
Un assaut fut tenté par les troupes alliées. Il fut renouvelé à trois reprises différentes. On sait quel en fut le résultat. Après un combat de cinq heures pendant lequel les danois donnèrent le plus bel exemple de fermeté que puisse offrir une armée assiégée, les allemands furent repoussés dans leurs positions ayant eu un nombre relativement considérable de tués et de blessés.
A ce moment l’honneur militaire était complètement satisfait, et les troupes du Danemark, véritable milice, auraient pu, dès le lendemain même abandonner Düppel, qui fatalement devait d’un jour ou l’autre, tomber dans les mains des allemands si supérieurs en nombre, peut-être y pensèrent-ils, mais le cœur l’emporta sur la raison, le patriotisme sur tous les autres sentiments, et les défenseurs du Danemark restèrent à leur poste. Je vous envoie à la hâte les détails suivant qui m’ont été fournis par un officier récemment blessé, à la fin de la dernière bataille.
Dans la nuit qui a précédé la prise de Düppel, les prussiens ont fait feu de toutes leurs batteries avec une violence extraordinaire. Lundi matin, de quatre à six heures, ils ont envoyé sur les ouvrages déjà bouleversés jusqu’à cinquante obus à la minute. La terre tremblait sous les pieds.
A six heures, la canonnade se ralentit un peu, et à dix heures eut lieu la première attaque contre les bastions no 4 et 5.
De profondes colonnes s’avancèrent au pas de course et franchirent les fossés au moyen de ponts volants. Elles furent vigoureusement repoussées. Mais à ces colonnes succédèrent aussitôt de nouvelles colonnes munies de deux pièces de campagne et qui firent dans l’épaisseur des rangs danois de terribles ravages.
Le terrain qu’ils durent abandonner fut à l’instant occupé par les prussiens, qui trouvèrent les bastions offrant l’aspect d’une masse de terre et tous les canons démontés ou hors de service.
Profitant de leurs avantages, les prussiens se précipitèrent comme des torrents humains à gauche en avant des ouvrages pour attaquer par derrière la première ligne de défense des danois et leur couper la retraire. En un instant cette ligne, composée des 8e et 9e régiments d’infanterie, fut enveloppée et faire prisonnière, après que le chef de brigade, colonel... fut tombé blessé terriblement d’une balle dans la tête.
Pendant que ces événements s’accomplissaient sur l’aile gauche, les prussiens attaquaient l’aile droite avec des forces considérables. Ils se ruèrent sur la ligne de défense formée des 10e et 17e régiments de la 3e brigade, qui opposa aux efforts de l’ennemi une résistance des plus énergiques.
Il y eu là une épouvantable fusillade presque à bout portant. Les prussiens tiraient trois coups de fusil, grâce à leurs fusils rayés nouveau système, pendant que les danois tiraient une fois.
Le sol fut en quelques minutes jonché de morts et de blessés par-dessus lesquels les colonnes prussiennes passèrent au pas de course pour se précipiter sur les bastions dont ils trouvèrent les canons ou enlevés déjà ou démontés.
Seuls les canons de la batterie dite de l’Église purent appuyer le feu de l’infanterie danoise, pendant que le navire cuirassé Rolf-Krake, embossé dans le Vemmingbund, envoyait des paquets de mitraille sur les collines prussiennes massées le long de la côte.
Ce fut un affreux carnage, un moment de lutte désespéré de la part des danois, pendant laquelle le général Du Plat, le chef d’état-major Schau, le major Rosen et deux ou trois autres officiers encore, tombèrent mortellement blessés.
Tout étant désespéré, il fallut songer à la retraite, ce qui n’était pas une opération facile, Duppel n’était pas relié à Als que par deux ponts en bois, assez étroits et sans parapets (un troisième pont inachevé se construisait depuis quelques jours pour parer à toutes les éventualités).
Pour protéger cette lente et périlleuse retraite, la 2e brigade, composée des 3e et 18e de ligne, soutint sur la tête de pont le choc terrible de toutes les colonnes d’assaut réunies. Ce fut un massacre qu’il est plus facile de se représenter que de décrire.
Pendant que l’infanterie allemande envoyait sur les troupes danoises une grêle de balles, des pièces de 12 écrasaient les derrières de colonnes, prises non entre deux feux, mais entre quatre, et littéralement broyées de toute part par le fer et le plomb. Le sang coulait à flots et le terrain était trop étroit pour recevoir les blessés qui tombaient les uns sur les autres.
Dans le plus fort de la mêlée, et comme pour augmenter par une horreur nouvelle toutes les horreurs de ce tableau, une bombe tomba dans le magasin à poudre de la batterie du Moulin, qui sauta avec un bruit de cataclysme. Les hommes de garde autour du magasin à poudre disparaissent dans les flammes, sans qu’on puisse savoir ce que sont devenus leurs os calcinés. Un certain nombre de soldats furent blessés à une assez grande distance de l’endroit où l’explosion a eu lieu.
Cependant, les danois opèrent leur retraite, et le gros de l’armée sera sauvé par l’héroïsme et le dévouement de quelques centaines d’hommes. Seuls, ils continuent la lutte sur la tête de pont, arrêtant l’ennemi surpris de la résistance qui leur est faite.
Une chose par-dessus toutes choses était à craindre, c’est que les prussiens ne passassent dans l’île en même temps que les danois et sur les mêmes ponts. Avec plus d’élan, ils eussent pu le faire; ils ne l’ont pas fait heureusement pour l’armée danoise, qui, débandée en ce moment, presque sans chers, on cite un régiment entier qui n’avait plus qu’un seul capitaine, aurait couru les plus grands risques d’être fait prisonnière (illisible).
Ce danger avait été prévu et de longues chaînes reliaient les ponts (illisible) qui, à un signal donné (illisible).
Au moment où les dernières compagnies danoises traversaient sur les ponts, des prussiens en g rand nombre tentèrent de les précipiter à la mer et de passer à leur place. Il fallut alors sacrifier ses compagnies avec les braves soldats qui luttaient encore sur la tête de pont. Le signal convenu fut donné et les canonnières se lançant à toute vapeur firent décrire aux ponts un demi-cercle. Ensuite, elles allèrent les ranger à l’abri d’un coup de main, le long du vieux château de Sonderborg.
La mission de courage et de déplacement des hommes qui combattirent sur la tête de pont étant terminée, ils cessèrent la lutte, et le peu qui restait encore debout fut fait prisonnier.
Cette bataille, ou plutôt ce massacre a dû coûter aux danois de six à sept mille hommes tués, blessés ou disparus. Un certain nombre sont tombés à la mer et ont été noyés en traversant le Sund. Quant à la perte des prussiens, tout en étant moins considérable que celle des danois, elle a dû être néanmoins assez importante.
A bord, du Rolf Krake, il y a eu un lieutenant tué et deux sous-officiers et huit matelots blessés.
Demain et après-demain, vous recevrez mon chef directeur, les nouveaux renseignements qui seront parvenus à ma connaissance.